Et si nos élus apprenaient enfin à négocier ?
Chacun pensera naturellement ce qu’il veut de la réforme des retraites sur le fond. Attardons-nous cependant quelques instants sur la forme.
Depuis la grève de 1995, pas un gouvernement de droite comme de gauche, n’a fini par se prendre les pieds dans le tapis du dialogue social.
- Méconnaissance des usages,
- Arrogance des élites qui méprisent la forme à la mesure qu’ils pensent maîtriser le fond.
C’est avec lassitude et désarroi que nous prenons connaissance de la manière dont les arbitrages ont été pris au sein du gouvernement.
Le bras de fer est désormais engagé en ce dimanche 8 décembre 2019 !
Qui battra en retraite ?
- Le Premier ministre, Edouard Philippe, annonce que la réforme des retraites par points sera menée jusqu’à son terme pour les personnes nées après 1975 et qu’il y aura un glissement de l’âge de départ en retraite à 64 ans !
- Le secrétaire général, Laurent Berger, du premier syndicat français, la CFDT, annonce que la ligne rouge a été franchie et il appelle ses adhérents à rejoindre la mobilisation générale avec une grève interprofessionnelle le 18 décembre.
Comment en est-on arrivé à un tel blocage ?
Réunion tardive dans le bureau du Président de la république le lundi 6 décembre avec, entre autres, Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et quelques conseillers[1].
- La prochaine présidentielle se jouera à droite ; le recul de l’âge de départ en retraite et la suppression des régimes spécifiques montreront à cet électorat que nous sommes de bons gestionnaires. N’oublions pas que 56 % des électeurs de François Fillon me soutienne.
- Oui, mais, attention, on est en train d’arriver à un moment, au bout de six-huit jours de conflit, où les grévistes ont trop perdu pour reprendre le travail avec rien. Rappelez-vous 1995, on a vu arriver ce point de bascule où la grève prend une dimension qui peut devenir irrationnelle.
- Le problème n’est pas là. Nous gagnerons la bataille de l’opinion ! Avec une grève à Noël, les syndicats seront tout, sauf populaires.
- Ne pensez-vous pas qu’il faille garder la CFDT avec nous ?
- On s’en fout ! Ils ne pourront pas se mêler aux autres syndicats et ils ont toujours déclaré qu’ils étaient pour le système à points.
- Certes, mais Laurent Berger nous a averti à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas que nous touchions à l’âge de départ…
- Je vois qu’il y en a qui ont oublié leurs couilles en se levant ce matin !
Si c’était à refaire…
Réunion tardive dans le bureau du Président de la république le mercredi 11 décembre avec, entre autres, Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Murielle Pénicaud[2].
- Nous avons une chance de participer à une transformation aussi profonde du pays. Si on fait de la politique au fond, c’est pour vivre des moments comme ceux-là.
- Delevoye préconise de démarrer la réforme à partir de la génération 1963.
- Attention, il ne faut pas éluder la question budgétaire et, ne pas perdre la CFDT ! Il y a déjà eu 800000 manifestants !
- C’est l’argent des Français ! On ne peut pas faire payer nos enfants et nos petits-enfants…
- D’accord, inscrivons le principe de l’équilibre dans la loi, mais donnons de la souplesse. On ne peut pas passer avec quelque chose de trop raide.
- Laissons donc aux syndicats la responsabilité de cet équilibre budgétaire dans une gouvernance paritaire?
- C’est exactement cela qu’il faudrait faire : leur laisser la gouvernance, ne pas indiquer de suite un âge pivot et répondre à leurs revendications sur la pénibilité. Ainsi on récupère la CFDT et l’UNSA.
- On n’annoncera ces arbitrages aux Français qu’après avoir obtenu leurs accords.
- Oui, il faudra aussi en parallèle, parler non seulement aux enseignants, aux infirmiers, aux policiers mais surtout aux agents de la SNCF et de la RATP.
- Qui téléphone à la CFDT et à l’UNSA pour leur proposer une réunion dès demain matin ? Bien évidemment avant ton intervention, Edouard…
- Pour un meilleur dialogue social, proposons aussi à la CGT, à FO et à Solidaires de les voir rapidement ?
Fiction ou réalité ?
A vous de juger.
Jean-Edouard Grésy et Yves Halifa
17 décembre 2019
[1] Cet article prend ses sources dans les informations données par plusieurs médias, dont, Le Parisien, Les Échos, Libération et Le Monde (voir en particulier le récit D’Olivier Faye, Alexandre Lemarié, Manon Rescan, Cédric Pietralunga du samedi 14 décembre : Réforme des retraites : la semaine où Philippe a repris la main.
[2] Pourquoi la ministre du travail nous direz-vous ? Car décider qu’entre hommes blancs quadragénaires inexpérimentés dans le dialogue social, nous a précisément conduit où nous en sommes aujourd’hui.
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