Les négociations dangereuses
La négociation au service du confinement.
Ou
Comment devenir médiateur quand on est aussi impliqué en tant qu’acteur
Ah ! C’est ce jour de Mars où j’apprends que nous allons être confinés pour 15 jours.
15 jours qui me semblent déjà très longs alors qu’au moment où j’écris nous savons qu’a minima 15 jours de plus seront nécessaires.
Qui suis-je ? une mère de deux grands enfants, presque adultes, nés d’un autre père que celui dont je partage la vie trépidante depuis longtemps.
J’ai moi-même une activité professionnelle qui me laisse le temps de développer harmonieusement mes passions artistiques principalement.
Première question à résoudre : suis-je un pion sur un échiquier que d’autres vont manipuler ? suis-je une joueuse, mais face à qui ? Est-ce d’ailleurs un jeu ? et qui sont les autres joueurs ? des pions ? des acteurs ?
Donc comment joue-t-on ? et avec qui ?
Je prends connaissance des règles du jeu non négociables : le confinement c’est sévère, c’est sérieux et pour le coup, pas négociable. Rester chez soi donc.
Il va donc falloir négocier sur cette scène où l’élément principal est le huis-clos.
Commençons donc à jouer dans ce qui n’est peut-être pas un jeu, et sans avoir éclairci mon propre rôle.
Mais les événements vont peut-être décider pour moi ?
Afin d’aider les joueurs, je fonce sur l’excellent dictionnaire en ligne de l’Académie Française afin de remonter à la source du mot « confinement », colonne vertébrale de notre nouvelle donne.
Le confinement est l’action de confiner dans un lieu. Confiner c’est reléguer dans un endroit précis, dans un espace limité. En effet, le diplomate ne peut pas simplement dire:
« Dans confinement qu’est-ce que tu ne comprends pas : con ou finement ? »
Beaucoup trop court.
Mon expérience de la négociation acquise grâce à la méthode d’Harvard, me pousse à ouvrir des canaux de négociations du type « gagnant-gagnant » dans un contexte de confinement parfaitement non négociable.
Les joueurs ou pions, (on ne sait pas encore) sont au nombre de 4.
Dont moi-même.
2 sont en classes préparatoires, Prep1 et Prep2.
Le troisième joueur prépare toujours, mais appelons Superboss. Sa carrière est au sommet, il est super bosseur, sociable et ultra mobile d’ordinaire avec un passeport saturé de tampons (son empreinte carbone est très très moche).
Et enfin le 4ème joueur le diplomate de l’équipe, encore indécise sur son rôle mais consciente qu’elle seule possède les outils conceptuels d’une négociation réussie. Nommons-la Superdiplo.
Sourire du chat du Cheshire aux lèvres, griffes affutées, Superdiplo voit là une opportunité, de relever un challenge plutôt détonnant.
Autant se jeter dans l’aventure avec optimisme. En même temps (what else ?), a-t-elle le choix ?
Le début du Paradis
Dès la première semaine, dans ce cadre non négociable, apparaît un effet désirable non attendu, un peu comme celui de canards promenant leur ennui place de la Concorde, convivialité et complicité s’invitent au moment des repas : les rires fusent et les alliances pour rire et moquer joyeusement les uns et les autres valsent allègrement. Chacun aide sans qu’il soit nécessaire de rappeler cet « état de service », le partage des tâches se fait comme jamais ! Et si ce confinement était une bénédiction ?
Comme le disent, dans le journal Le Monde, les psychothérapeutes convoqués pour l’occasion, il faut réhabiliter l’altruisme, être moins égoïste et autocentré, entretenir des liens, pratiquer une activité physique, se distraire pour résister, s’évader en se livrant à la rêverie… Et par-dessus tout, être indulgent, tolérant et bienveillant avec l’être émotif que nous sommes.
Bien sûr !
Abel et Caïn entrent en scène
Deuxième semaine, le joueur Prep1 qui a ses concours cette année (on n’en sait toujours rien d’ailleurs ce qui met le moral du principal intéressé au plus bas) n’en peut plus de l’autre, Prep2, qui, lui, n’a ses concours que l’année prochaine et qui commence à s’agiter. Superdiplo endosse alors le rôle du médiateur en faisant des allers et retours entre ces deux joueurs en situation pré conflictuelle ; écouter les doléances de chacun, et chercher l’apaisement.
C’est à dire écouter, reconnaître et mettre en relief les propositions avancées par chacun, et tenter de construire de nouvelles options avec eux. On se met d’accord par exemple, sur les heures de lever, pas avant 7h le matin, le couvre-feu est fixé à 23h pour les conversations téléphoniques qui gênent le voisin, enfin est acté, l’écoute au casque des cours en ligne, de la musique et des vidéos.
Ouf !
Sans oublier, évidemment, les détails qui risquent de rouvrir la ligne de front, comme de ne pas aller chez l’un ou l’autre le matin ou l’après-midi sans, bien entendu, frapper avant d’entrer.
Et voilà Superdiplo qui reprend son souffle : avec ce lot de mesures cela devrait aller ! Hop en voiture, tout le monde remonte à bord.
Et voici Superboss!
Quelques jours plus tard, Superdiplo ressent les tensions négatives s’accumuler et enregistre des défections au moment des repas. Superboss, qui, jusque-là, avait pris le parti de ne prendre aucun parti, (comme disait ce grand philosophe français, Pierre Dac) reste impassible et laisse entrevoir un brin d’agacement sur le fait qu’il y ait deux services du « restaurant » puisque Prep1 et Prep2 ne se parlent plus ; pire, ils s’évitent absolument.
Superdiplo se contracte un peu, entrevoit son échec sans vouloir l’assumer complètement et décide de tout reprendre face à cette rupture de cessez-le feu ; elle abandonne en urgence sa résolution sportive «un esprit sain dans un corps sain » car elle n’a plus le temps si elle veut renouer les fils d’un dialogue gagnant-gagnant.
Cette troisième semaine, Prép1 ne passe plus à table, Prép2 se paye Superdiplo à table en lui déclarant qu’elle n’a qu’à utiliser son fameux côté « schwepping » pour faire revenir Prép1 à la table de la convivialité familiale.
En fait, Superdiplo est sommée de prendre parti ; oui ou non es-tu pion, joueur ou médiateur ?
Prép2 va jusqu’à souhaiter à Superdiplo, « bon courage dans ta mission ». Superboss lève le nez de ses ouvrages et comprend que, là, cela coince vraiment entre ces joueurs et que c’est plutôt chiant en fait, surtout pour lui…
Superdiplo décide alors de pratiquer avec application la seule posture qui lui vient à l’esprit : raie Manta écartelée entre ces mauvais joueurs. Son pouls s’accélère… Vite trouver une autre porte d’entrée, ou de sortie, créer des solutions pour ouvrir de nouveaux couloirs, garder un esprit ludique et se débrouiller pour que des clés différentes ouvrent la même porte… Vite, la pression monte.
L’escalade, ou la chute du haut de l’Eden
Prép1 ne veut rien entendre, s’expatrie sous son duvet pour ne voir personne.
Prép2 se lâche de plus en plus : le confinement lui monte à la tête.
Superboss continue sa routine online avec sa communauté de travail.
Superdiplo voit la rupture arriver sur elle comme un menhir dans un mauvais cartoon.
Les lignes de front se déplacent
Fin de troisième semaine : Prép1 est exfiltré ailleurs ; dans le studio d’une amie américaine confinée à Boston ; Prép2 pète les plombs et envahit le territoire de Prép1 qui a abandonné ; Superboss en a marre mais n’a pas du tout vu arriver le truc ! Superdiplo est très stressée car elle tient des réunions au sommet avec elle-même et le chat, principalement la nuit car elle ne dort plus.
La dépression généralisée
4 ème semaine: Prép1 est triste d’être tout seul (il ne sait pas cuisiner ; donc il galère et pire, il n’a pas de four à micro-ondes!) mais bon il n’a pas le choix. Prép2 est désormais comme une vachette landaise dans l’appartement.
Superdiplo essaie de l’attraper au lasso et échoue, Superboss en a plein le dos de ce bazar et commence à remettre en question les talents de négociation de Superdiplo.
Matin du discours du président, (celui sur le 11 Mai) : Prép2 va peut-être devoir partir avant de devenir complètement dingue, Superboss et Superdiplo sont épuisés et énervés. Prép1 déprime toujours et flippe chaque jour un peu plus sur cette saleté de virus. Superdiplo ne sait plus où se retrancher dans cette ambassade assiégée, se promet de reprendre des cours de négociation avec son maître dès que le confinement sera levé car manifestement elle a occulté une partie des enseignements. D’ici là elle tente de maintenir un équilibre précaire et compte les jours en mangeant en cachette les cloches de pâques des autres joueurs.
Et maintenant ?
Superdiplo est en échec… elle aimerait savoir pourquoi…
Elle voudrait recevoir des conseils, des analyses… Où a-t-elle fait des erreurs ?
Elle est prête à s’améliorer mais elle voudrait que, vous lecteurs aiguisés, puissent lui donner quelques pistes.
N’hésitez pas !
dans un second épisode, vendredi prochain, elle vous écrira pour vous raconter comment elle aura essayé d’en tenir compte.
Merci à vous, experts de la négociation et de la médiation.
Stéphanie C. avec la complicité de Yves Halifa
17 avril 2020
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