4 jours et 4 nuits en Europe
“Nous sommes tous fatigués”, a déclaré la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen.
Michel du Bois d’Enghien qui a réalisé une très belle synthèse des dernières négociations européennes me donne le prétexte de poser quelques questions que n’aurait pas désavouées le général de Gaulle très à la mode en ce moment.
« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “l’Europe !”, “l’Europe !”, “l’Europe !”, mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. » de Gaulle[1]
Guerre de Sécession?
Ce qui s’est déroulé dans l’enceinte européenne au sujet du Plan de relance de l’économie européenne est un débat vieux comme les causes de la guerre de sécession américaine entre 1860 et 1865.
On écrit souvent que cette guerre eut pour cause le problème de l’esclavage entre abolitionnistes au Nord et esclavagistes au Sud.
Ce ne fut en réalité que le détonateur.
La question centrale reste toujours d’actualité dans la construction européenne et les négociations qui la jalonnent font tout pour éviter de trancher violemment le débat suivant:
Celui de la place des pouvoirs respectifs
d’un État de type fédéral
et d’un système d’États fédérés.
Dans les années qui suivirent la déclaration d’indépendance vis à vis du royaume de Grande-Bretagne, s’opposèrent deux partis:
- celui consistant à se limiter à un Congrès gérant les affaires étrangères, déclarant la guerre et levant une armée en cas de besoin, battant monnaie, et servant de cour d’arbitrage en cas de litige entre les États. L’État se réduisant ainsi à un rôle de représentation à l’étranger, sans interférer avec la gouvernance des États de l’Union.
- le second militait pour un État fédéral fort, capable d’imposer, si nécessaire, ses décisions aux États fédérés. sachant qu’un sérieux problème était posé par les dettes que les différents États avaient contractées pour financer la guerre d’Indépendance.
Entièrement souverains dans la gestion de leurs finances, les États étaient loin d’adopter une attitude commune face au problème, et leurs relations en souffraient .
Ce second parti proposait pour y remédier un système financier élaboré, doté d’une banque centrale, et dans lequel le gouvernement fédéral consolide les dettes des États et en assume la charge.
Naturellement, le remboursement de la dette, désormais nationale, impliquait la perception de revenus réguliers de la part du gouvernement fédéral, principalement sous la forme de droits de douanes
Ce désir d’indépendance financière de l’institution supra-nationale vis vis des États membres d’une association volontaire de nations n’est donc pas nouveau.
Heureusement l’Europe n’en n’est pas au point de se livrer à une guerre de Sécession, surtout qu’elle a été créée sur les décombres de la sanglante seconde guerre mondiale et de la rivalité séculaire entre la France et l’Allemagne.
Malheureusement on retrouve aujourd’hui, en 2020, un Nord et un Sud qui se sont déjà affrontés lors de la crise de la dette grecque, comme nous le rappelle Michel Du Bois d’Enghien, les pays du Sud et le couple franco-allemand d’un côté et de l’autre, ceux que l’on nomme les “frugaux”, Autriche, Pays-bas, Danemark et Suède.
Un troisième camp, qui ayant souffert de l’intégration communiste, et qui de ce fait résiste à toute tentative de dilution de ses identités nationales, le groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque.) venant compliquer les négociations.
Que s’est-il passé dans le détail?
L’analyse des 4 jours et 4 nuits de négociation européenne dus à l’irruption du Coronavirus et de la mise en danger des économies nationales est intéressante dans le détail mais ne saurait dissimuler le problème de fond:
Voulons-nous, européens rester ensemble et pourquoi faire?
Les menaces de sécession ne peuvent plus être prises à la légère face à la rupture anglaise et face aux tensions nationalistes et identitaires qui fissurent le faible ciment de l’Union.
Alors? cette négociation une réussite?
Oui, nous disent ses principaux dirigeants, le Président du Conseil européen, Charles Michel, Angela Merkel et Emmanuel Macron, en tête.
Non, répond une majorité relative de députés européens.
Une révolution? oui, celle, pour l’entité Europe, d’emprunter en son nom propre.
Une unanimité? Non! pourquoi? parce que les clivages demeurent et les risques de rupture continuent d’exister.
Que disent les acteurs de cette négociation?
Charles Michel, le président du Conseil européen, a twitté: “Deal“ ! à 5h30 du matin, puis commenté : “Nous l’avons fait! l’Europe est unie! les négociations ont été difficiles, à une époque difficile pour tous les Européens, mais cet accord est un bon accord.”
Il considère qu’il a réussi à trouver le bon moment pour faire s’engager les dirigeants dans “une dynamique de concessions mutuelles“. le moteur franco-allemand était prêt à fonctionner mais “vingt cinq États devaient encore avoir, chacun, la capacité d’imprimer leur empreinte (sic) dans le processus de délibération.”
Pour lui, l’essentiel était de ne pas se séparer.
Et il raconte ses difficultés:
En plénière, ce n’était pas possible d’avoir le moindre débat, j’ai donc dû les limiter à une heure et provoquer de nombreuses réunions par petits groupes de pays.
J’ai rarement vu des positions aussi diamétralement opposées a confié, Xavier Bettel le Premier ministre luxembourgeois.
“Nous sommes prêts à être des payeurs nets , mais nous voudrions être certains que les réformes seront appliquées, car la solidarité va dans les deux sens”, réclamait le Nord. Et il refusait le principe même de la subvention et réclamait que chaque pays puisse avoir un droit de veto qui permettrait de suspendre les versements à un État qui se révèlerait non vertueux selon les dogmes néo-libéraux.
le point de départ c’était, zéro subvention, rappelle Charles Michel; pour leur faire abandonner le principe même de la subvention (mot qui fâche le libéralisme) il a fallu trouver un terrain d’entente sur les réformes économiques.
Dans le chaudron des négociations
Au départ l’Allemagne et la France prévoyaient 500 milliards de subventions et 250 milliards de prêts.
Emmanuel Macron et Mark Rutte, le premier ministre néerlandais se sont affrontés sur le principe des subventions.
la revendication du groupe du Nord était qu’un État pouvait contester auprès du Conseil le versement des subventions.
Comme pour ce qui s’était passé pour la Grèce, (déjà un néerlandais dirigeait l’Eurogroupe à la baguette), certains pays ont trouvé ce procédé “humiliant”.
Ce qui s’était passé pour la Grèce donne un avant-goût amer de ce qui pourrait se dérouler si un camp l’emportait… voir:
https://yveshalifa.com/une-negociation-thriller/
Charles Michel, le négociateur en chef raconte:
“nous avons été en danger le samedi soir et le dimanche soir.
Sang-froid, lucidité et sens de la tactique sont nécessaires et,
quand on négocie non-stop, il y a des moments d’émotion très forte, et on doit mobiliser à la fois,
la force de son instinct et la force de sa raison.“
C’est pour cela qu’une méthode fondée sur des concessions mutuellement acceptées a été menée pour sauver l’essentiel, rester ensemble.
De multiples objets de négociation ont été mis sur la table:
- les avantages pour les contributeurs nets: on a discuté de rabais.
- les critères d’octroi: pour distribuer les subventions, la Commission voulait se baser sur le taux de chômage. 70% seront octroyées selon ce critère. une part des 30% selon l’évolution du PIB en 2020 et 2021.
- l’État de droit: La Pologne et la Hongrie, en dehors des clous pour la justice et la presse étaient en ligne de mire pour être sanctionnées. La Hongrie a menacé de bloquer le sommet et la proposition de sanction a été diluée. La Commission doit “réfléchir” et l’Allemagne a promis d’abandonner l’application de l’article 7 sur la procédure en cours vis à vis de ce pays.
On a aussi discuté des références, des points de comparaison: par rapport à quoi, dire qu’on avance ou qu’on recule? par rapport aux propositions de la Commission? ou par rapport à l’existant?
- Erasmus? + 50%.
- Santé? X4.
- Numérique? en augmentation.
- Climat? aussi.
- Qui décidera en dernier ressort?
Les sanctions par rapport à l’État de droit? Ce sera à la Commission d’en proposer.
Les ratifications par les Parlements nationaux ? vers un débat approfondi pour convaincre.
Si un Parlement bloque l’accord? Ce problème n’existe pas encore.
Alors Monsieur le Président Michel, vous qui êtes belge?
Qu’est-ce qui est plus difficile à gérer, le gouvernement belge ou l’Union européenne?
Joker!!!
il faut qu’il y ait interaction entre les plans nationaux et l’ambition européenne.
La dette commune, est-ce un premier pas vers une Europe fédérale?
C’est un renouvellement de nos voeux de mariage pour les 30 prochaines années.
Conclusion provisoire
La guerre de Sécession européenne n’est pas pour demain. La volonté de rester uni prime encore en Europe; mais les lignes de fracture s’élargissent et les trois camps restent très divisés.
Se superposent également des tensions hyper-nationalistes de régions européennes réclamant leur indépendance, ou le renforcement de leur autonomie: Irlande, Écosse, Catalogne, Flandres, Lombardie…
Quel nouveau séisme? quel événement sanitaire, écologique, politique ou social permettra de devenir créatif en quittant la méthode des concessions?
Quel est le groupe, l’homme ou la femme qui permettront à l’Europe de se fédérer vraiment autour d’un projet créateur d’une véritable mobilisation des citoyens européens?
Le recours à la menace et à la force sera t-il dominant ou bien la négociation sera t-elle érigée en méthode privilégiée de résolution des conflits?
En octobre prochain la parole sera au Parlement européen.
Yves HALIFA
29 juillet 2020
[1]deuxième entretien radiodiffusé et télévisé avec M. Michel Droit, 14 décembre 1965
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