Israël-Palestine : comment sortir de la guerre ?
Que faire quand deux belligérants ne veulent pas la paix mais la destruction physique de l’adversaire ?
Que faire quand ceux qui s’estiment victimes avec leurs bonnes raisons mettent en avant le désir de vengeance et entrent ainsi dans une violence de tous contre tous ?
Que faire lorsque les ultras des deux camps remettent en cause toutes les tentatives d’apaisement de même que ceux qui pourraient être investis des mandats de négociation ?
Nombreux sont ceux qui ont cessé d’aborder ce sujet extrêmement polémique et présenté comme inextricable, de peur de ruptures relationnelles avec leurs relations familiales, amicales et professionnelles. Prenons malgré tout quelques instants pour prendre du recul au travers de quelques enseignements méthodologiques livrés par Michel Rocard.
Ses écrits[1] sur l’art de la paix et son expérience sur la décolonisation, offrent une grille de lecture salutaire. Pour commencer, il écrivait : « Lorsqu’un conflit a éclaté, il est presque impossible qu’il trouve une solution pacifique avant que les combattants n’aient d’une manière ou d’une autre mesuré l’immensité de l’écart entre leurs espérances et leurs possibilités. ».
Cet écart se creuse et devient de plus en plus visible aux yeux de la communauté internationale. Si la riposte armée d’Israël a constitué une légitime défense face aux actions terroristes du Hamas, cette guerre s’installe dans la durée de manière extrêmement dangereuse à tel point que la Cour internationale de Justice (CIJ) a ordonné le 26 janvier qu’Israël prenne immédiatement des mesures pour garantir que son armée ne viole pas la Convention sur le génocide.
« L’art de faire la paix répond à des règles étonnamment constantes ». Explorons les quatre étapes recommandées par Michel Rocard.
- Vouloir la paix
Les accords d’Abraham en 2020 conclus entre Israël, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc ont pu laisser croire que ce conflit israélo-palestinien pourrait être contourné et n’être jamais résolu. Faire la paix redevient prioritaire. C’est la seule voie possible pour stabiliser le Moyen-Orient mais aussi pour au moins trois raisons qui se suffisent chacune à elles-mêmes.
- Un bilan humain qui ne cesse de s’alourdir chaque jour et touche essentiellement les civils: d’après l’UNICEF, au 07 février, le bilan faisait état d’au moins 1 200 morts dont 36 enfants et plus de 7 500 blessés en Israël. 138 personnes seraient encore retenues en otage. Dans la bande de Gaza, 27 585 Palestiniens, dont plus de 5 350 enfants seraient décédées. Près de 66 978 personnes auraient été blessées. Les femmes et les enfants représenteraient 70 % des victimes.
- Une guerre dont l’objectif est inatteignable et qui n’anticipe pas le jour d’après. Inatteignable car il est vain et illusoire d’éradiquer le Hamas qui recrute d’autant plus facilement que le sentiment d’injustice mobilise les Palestiniens. C’est la première fois qu’un gouvernement israélien aussi marqué à l’extrême droite va jusqu’à évoquer dans ses déclarations une élimination des Palestiniens. Le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a déclaré, le 9 octobre, que son pays combattait « des animaux humains »et qu’il « allait tout éliminer à Gaza » ! L’objectif serait la réoccupation, voir même la recolonisation de la bande de Gaza. « Vouloir la victoire n’est pas vouloir la paix. C’est vouloir réduire l’autre par la force, quel qu’en soit le prix. » avertit Rocard.
- Une guerre qui préserve l’immunité du premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou face à la triple procédure qui le vise pour corruption, fraude et abus de confiance. Faire durer la guerre, c’est aussi éviter de questionner sa stratégie face au Hamas et sa lourde responsabilité dans l’effondrement de la sécurité d’Israël. Cette fuite en avant, le conduit à exclure tout retour à Gaza de l’Autorité palestinienne. Faut-il encore rappeler qu’il est proche d’un certain nombre de dirigeants autocratiques dont Vladimir Poutine jusqu’au 7 octobre ?
2 Briser le tabou majeur
« Lorsqu’il existe un élément aussi central, toutes les autres composantes du conflit s’organisent par rapport à̀ lui. Et la paix de compromis n’est possible que si cet élément est clairement identifié, puis réduit »prévient Rocard. Ce tabou majeur est bien évidemment la solution à deux États qui représente l’une des perspectives de règlement durable de cette guerre.
Michel Rocard a été l’instigateur du processus de paix en Nouvelle Calédonie qui a donné lieu aux accords de Nouméa et dont le préambule peut nous inspirer ici, afin de poser ce que les deux camps ont besoin d’entendre pour enterrer la hache de guerre.
Transposons.
Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période de création de l’État d’Israël, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière.
La période d’installation des Juifs, suivie par une période de colonisation d’autres territoires non-inclus par la déclaration de l’ONU en 1948, a porté atteinte à la dignité du peuple palestinien. Repoussé aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays, ce peuple fier a organisé des révoltes et des actes de vengeance, lesquelles ont suscité des répressions violentes, aggravant les ressentiments. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes et les faits, de restituer au peuple palestinien son identité pleine et entière, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de l’histoire de sa présence sur ces terres et de sa souveraineté.
Dans le même temps, le peuple israélien qui a subi les plus graves persécutions de l’histoire de l’humanité, depuis les pogroms jusqu’à la Shoah, s’est également vu reconnaître par l’ONU, le droit de vivre sur cette terre d’où il tire ses origines. Ce peuple a également souffert des attaques de Fédayins à sa création puis des attentats de l’OLP à partir de 1964 suivis des actions terroristes du Hamas. Cette volonté de destruction a été financée et soutenue par certains pays voisins. Le peuple israélien entend faire reconnaître aussi par l’ensemble du peuple palestinien et du monde arabo-musulman son histoire sur ces terres et sa pleine souveraineté.La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Israël, en Cisjordanie, à Gaza, en permettant au peuple palestinien d’établir avec le peuple israélien des relations nouvelles correspondant à d’autres réalités souhaitées de notre temps. Les habitants de cette région du Moyen-Orient choisissent ainsi de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité.
Il convient d’ouvrir une nouvelle étape, marquée par la reconnaissance réciproque pleine et entière de l’identité palestinienne et de l’identité israélienne, préalable à la refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent dans cette région, et par un partage de souveraineté entre Israël et la Palestine.
- Négocier
Les ingrédients en sont multiples : « le temps, l’information et la discrétion sont parmi les plus évidents. Il faut y ajouter un minimum de confiance mutuelle et le degré de latitude juridique et politique de chacun des négociateurs ».
- Identifier les mandataires des deux camps, capables d’avoir non seulement la légitimité de chercher un accord détaillé avec l’adversaire mais aussi la hauteur de vue et l’ouverture nécessaires pour négocier loyalement et efficacement.
- Côté palestinien, Marwan Barghouti, semble constituer un profil pouvant faire l’unanimité. Il n’apparaît pas corrompu ou autoritaire comme Mahmoud Abbas, et pourrait faire barrage à la montée du Hamas. Considéré comme le « Nelson Mandela de la Palestine », il pourrait remporter des élections si elles étaient organisées à nouveau (les dernières présidentielles remontent à 2005 et les dernières législatives à 2006). Incarcéré en Israël depuis 2002, il a déclaré en 2006 à une chaîne de télévision américaine « qu’Israël et la Palestine avaient besoin de deux leaders prêts à prendre des décisions critiques et prêts à prendre des risques des deux côtés. Je pense que mon peuple serait prêt à envisager la paix avec le peuple israélien ».
- Côté israélien, Yaïr Golan, héros de guerre et dans l’opposition laïque à Netanyahou, semble pouvoir unifier les israéliens. Si sa popularité est grandissante, cet ancien numéro 2 de Tsahal n’est pas encore en position de remporter les élections et pourrait être soutenu par la communauté internationale pour convaincre davantage le peuple israélien. Il a déclaré que « Les objectifs actuels du conflit ne sont pas réalistes » et propose au contraire de soutenir le retour au pouvoir d’une autorité palestinienne dans la bande de Gaza. Il conseille aussi de se rapprocher de l’Égypte et la Jordanie, pour qu’ils œuvrent en tiers à la recherche d’une solution durable.
Il faudra leur offrir une protection renforcée car « tout chercheur de paix commence par être un traitre à son camp ».Les plus grands hommes de paix l’ont payé́ de leur vie : Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin, entre autres.
2. Trouver les médiateurs sécants, pour reprendre l’expression de Michel Rocard. Dans un tel contexte interculturel, la légitimité́ des médiateurs vient en grande partie de leur connaissance de la langue, de l’histoire, des représentations du monde des parties prenantes. En l’espèce, il s’agit de trouver sans doute deux médiateurs ayant une légitimité internationale du fait de leurs actions véritables pour la paix, afin d’éviter de renouveler les erreurs du passé, liées selon Jean-Pierre Filiu[2], au « parti pris pro-israélien du médiateur américain dans un “processus de paix” qui s’apparente moins à une négociation entre deux parties sur un pied d’égalité qu’à une discussion sur les termes de la défaite palestinienne».
3. Construire des diagnostics, celui des intérêts, celui de la relation, celui des rapports de force, avant de parler solutions.
Lorsqu’on parle « intérêts », on englobe des problèmes à résoudre, des valeurs à défendre, des lignes dites « rouges »…
Parfois, des intérêts difficiles à exprimer de manière raisonnable représentent des désirs de vengeance, de jalousie, des questions d’honneur, des ressentiments anciens qui se sont stratifiés en couches d’inexprimable haine de l’autre.
4. Une fois partagés, en mettant de côté (temporairement) ce qui fâche, en validant ce qui rassemble, et en prenant en compte, chacun, le problème spécifique de l’autre, il devient alors possible de se mettre d’accord sur les désaccords pour se focaliser sur la construction de périmètres de négociation.
Il s’agit de les faire s’exprimer sans provoquer de spirales argumentatives en laissant une place très importante à l’écoute. Les désirs de justification, d’explication, d’accusations de mauvaise foi doivent être impérativement mis à l’écart pour ne laisser place qu’aux versions de chaque partie ; c’est encore mieux si chacune des parties s’entraine à écrire l’histoire à la place de l’autre…
L’évolution des rapports géopolitiques et les luttes d’influence entre l’islam sunnite d’une part et les chiites safavides d’autre part, ont divisé le camp palestinien. De même que la nation israélienne a toujours été fragmentée entre laïcs et religieux fondamentalistes. Avec la montée de ces aspects religieux, une solution à deux États est devenue de facto plus complexe qu’auparavant.
Pour autant, rappelons que ce travail a déjà été fait. Suite à l’échec des dernières négociations, dites du sommet de Taba en 2001, facilitée par Bill Clinton, entre Ehud Barak, Premier ministre de l’Etat d’Israël et Yasser Arafat, Président de l’Autorité palestinienne, un chercheur en sciences politiques de nationalité suisse, Alexis Keller, a réuni les diplomates des deux camps pour tenter d’aller au bout de cette négociation. Cette Initiative de Genève, est signée le 1er décembre 2003 entre l’ancien ministre israélien Yossi Beilin et l’ancien ministre palestinien Yasser Abd Rabbo. Sans que ce soit exhaustif, cet accord soutenu par 58 personnalités (Mikhail Gorbatchev, Boutros Boutros-Ghali, Jacques Delors, Mary Robinson, Sadako Ogata…), prévoyait :
- Le partage de la souveraineté sur Jérusalem qui serait la capitale des deux États ;
- L’évacuation par Israël de 98 % de la Cisjordanie (dont la plupart des colonies) ;
- Concernant le droit de retour des Palestiniens, une indemnisation des réfugiés qui auraient le choix entre plusieurs options.
- Équilibrer
« Un accord de cette nature n’est durable qu’avec le souci d’inclure dans la négociation les changements de règle de droit nécessaires pour que l’équilibre prévu par l’accord ne puisse être mis en cause dans l’avenir. »
Rien n’est plus difficile car cela « suppose une égale compréhension des cultures de l’un et de l’autre, c’est- à̀-dire très souvent, voire la plupart du temps, une violation des acquis reçus de la culture dominante ».
L’équilibrage d’un accord ne peut s’envisager sans négociation des règles du jeu. Les négociateurs devront obligatoirement prévoir un calendrier de vérification de la réalité de la mise en pratique des accords signés ; une communication et une explication sincère et objective de l’état d’arrivée du contenu de ces négociations auprès des peuples concernés et de leurs opinions.
L’équilibrage d’un accord dans la durée devra également passer par le déminage des droits de chacun déterminés par les constitutions de chaque État ainsi que la Charte de l’ONU : ce qui implique de revoir les règles de Droit international, car elles ont été érigées et gravées dans le marbre de l’histoire. Mais le Droit n’est-il pas en grande partie le résultat de négociations passées qu’on a voulu figer pour éviter d’avoir à renégocier sans cesse ?
Pardonner enfin, ce qui ne veut pas dire oublier mais renoncer à la vengeance. Cette page de 75 ans d’histoire ne pourra être tournée qu’après avoir été lue et reconnue. Nous n’oublierons pas que :
- l’existence de l’État d’Israël résulte en grande partie de la culpabilité de l’Occident (URSS incluse) dans le drame immense de la Shoah ;
- la cause palestinienne a été de nombreuses fois trahie par le Royaume Uni, par les États arabes et parfois par les dirigeants palestiniens eux-mêmes ;
- les croyants sont capables de renoncer à la haine en suivant les traces d’Abraham, le père du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Le Dôme du Rocher à Jérusalem, est selon la tradition le « nombril du monde », le lieu où fut créé le premier homme, et le lieu sur lequel Abraham a pu renoncer au sacrifice ultime de son fils.
Jean-Édouard GRESY et Yves HALIFA
14 février 2024
[1] Cette citation et les suivantes en bleues sont tirées de Michel Rocard, L’Art de la Paix, Atlantica,1997.
[2] Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, Seuil, 2024.
Tout à fait d’accord, il y aura quand même quelques prérequis, que Nathanyaou et Abbas soient dégagés, de plus il faudra que les arabes acceptent de renoncer à leur principe qu’un territoire qui fut un jour musulman doit le rester à jamais, et que le statut de dhimmi n’est plus acceptable si on veut négocier avec les occidentaux que sont devenus les israéliens. D’autre part il faudra que les Israéliens fondamentalistes comprennent que l’idolâtrie de la terre, celle de la Cisjordanie, à cause des tombeaux des patriarches, est une hérésie dans le judaïsme, mais l’accès aux lieux de culte devront être garantis partout et pour tous. Que s’il y a 20% de citoyens arabes en Israel, il pourra aussi y avoir des citoyens juifs en Palestine. Les deux parties devront aussi accepter que même si la Jordanie fit partie de la Palestine mandataire initiale elle ne pourra plus faire partie de ce partage. Les deux parties ne pourront pas quitter la table de négociation avant accord (et ça peut prendre plusieurs années) sous peine d’arrêt des subsides étrangers…
On souhaite bien du courage à Barghouti et à Golan !