L’intelligence individuelle contre l’intelligence collective ? Depuis quelque temps, la remise en cause systématique des leaders politiques et des patrons d’entreprise interroge la pertinence des processus de décisions.
Sortir du modèle hiérarchique, qui stérilise innovation et agilité, implique le recours à de nouveaux processus de décision fondés sur l’intelligence collective.
Le besoin d’incarnation de la vision de l’avenir dans la figure du chef constitue un frein (interview vidéo de Jean-François Zobrist). La désaffection des citoyens envers la politique devient la norme. À l’image de la cité, dans les entreprises, on parle de plus en plus de désengagement1. Face aux nouvelles contraintes et opportunités de la mondialisation, l’intelligence sociale devient un levier essentiel de développement de la performance économique.
La transformation des rapports de pouvoir dans l’entreprise, en poussant le plus loin possible les mécanismes de codécision, est une solution parmi d’autres. La négociation est un moyen.
La diffusion du documentaire sur ARTE, « Le bonheur au travail » (vidéo), provoque encore des ondes de réflexion agacées, intéressées et radicales dans les cercles patronaux.
Peut-on remettre en cause le pouvoir centralisé de la décision ?
De nombreuses réflexions portent sur le type de gouvernance et sur les rapports entre actionnariat et direction ; il ne s’agit plus de cela aujourd’hui, c’est la notion même du partage de la décision qui est posé.
L’opinion majoritaire, patrons et salariés confondus, milite pour dire qu’il ne peut y avoir d’organisation sans leader, c’est-à-dire sans celui qui, par sa vision et sa crédibilité, oriente l’action collective sur le long terme. Mais le leader doit être exemplaire, que l’on soit patron d’une entreprise privée, publique, ou à la tête d’un syndicat…
Quand l’ancien secrétaire général de la CGT refait à neuf son bureau, il est ostracisé en interne et en externe.
Quand Mathieu Gallet, président de Radio France prépare, avec « sa garde rapprochée », les décisions de reprise en mains face à la dérive financière constatée par la Cour des comptes2, il est suspecté d’intentions cachées. De plus, le décalage entre les apparats du pouvoir et la dérive du coût des travaux de rénovation du bâtiment de la Maison de la Radio provoque une émotion qui va de l’incompréhension à la maladresse, et même jusqu’à la révolte :
« On ne nous parle que de formats et non de contenus, de marques et non d’identité d’antennes, d’argent et non de richesses », accusaient des grévistes dans une tribune.
« Mathieu Gallet gaspille l’argent public pour son image et son confort personnel plutôt que de s’investir pour l’image de Radio France. Le CSA a peut-être été séduit par sa modernité, nous sommes atterrés par sa désinvolture ».
Dans les faits, la situation est complexe car le Président de Radio France est soumis à l’héritage du passé, au non respect de la continuité du financement de sa tutelle, au fait qu’il doit sa nomination au CSA, indépendant de la tutelle. Mais pour autant, a-t-il vraiment besoin de s’affirmer en tant que président avec des signes extérieurs de pouvoir ?
« Il est primordial que vos actes ne s’inspirent jamais de vos promesses. »
Promesses, par Micaël (LeMonde, 09 avril 2015)
Rétablir le dialogue social avec des excuses ?
Quand l’exemplarité et la confiance ont disparu entre une direction et ses salariés, en plus du désengagement, on hérite d’une motion de défiance.
Que contient cette motion et comment interpréter les accusations qui s’y trouvent ?
• “stratégie de communication”
Il y a une différence entre négocier et communiquer, les salariés perçoivent la communication comme un outil de pouvoir et non comme un outil du dialogue…
• “mépris du dialogue social”
Gérer le dialogue social c’est d’abord construire la relation en établissant une réelle négociation au cours d’un débat créatif d’options innovantes…
• “aucune véritable séance de négociation ne s’est tenue dans le cadre des préavis de grève”
On reproche au président de ne pas avoir établi un lien permanent pendant la durée du préavis, qui, en théorie sert justement à cela…
• “il préfère communiquer”
Ici encore le président est accusé de prendre les autres acteurs de la crise à témoin, contre les salariés, la presse en particulier…
• “il a choisi de le déposer au Ministère plutôt que le présenter aux élus du personnel (son projet)”
Entendez “Il ne reconnaît pas notre fonction, nous ne sommes pas sa priorité et il ne nous associe pas à sa stratégie.”
• “l’exemplarité d’un responsable”
Il a trop de choses personnelles à se reprocher pour qu’on puisse le suivre et les excuses émises dans un communiqué de presse ne règlent rien…
• “incarner les valeurs fortes et intangibles de la radio publique”
Entendez “Il n’a pas compris ce qu’était notre identité et il la menace en voulant fusionner les différents outils de la radio (orchestres, antennes locales).”
En conclusion
Philippe Meyer, producteur et animateur sur France Culture et France Inter a écrit un article au cœur de la crise qui résume bien le malaise du management :
• Problème d’exemplarité : « réclamer pour soi une substantielle augmentation de salaire à sa tutelle »
• Vision à court terme : une « période d’austérité demande plus que jamais une vision, une volonté et le sens du risque. »
• Construction de la confiance : « les personnels sont réduits à interpréter des bruits de couloir »
• Expression de son impuissance : « faute de moyens, il lui était (Mathieu Gallet) impossible de présenter une ambition. »
Philippe Meyer conclut sur l’hypothèse que cette absence d’ambition soit « la raison la plus forte d’une déception devenue désarroi avant de tourner à la colère. »
Partager les décisions, c’est déjà ne pas avoir peur de ses propres salariés.
Un dernier mot :
Et si on faisait confiance aux salariés ? Dans ce cas le plus important n’est pas la décision (collective ou individuelle), mais le processus qui conduit à la décision.
Quels sont les processus à partager ?
• la construction de la confiance par une bonne gestion de la relation (quand il n’y a plus rien à négocier, il reste toujours la qualité de la relation à négocier),
• le respect des Instances Représentatives du Personnel de Radio France (on peut contester les syndicats, mais pas leur existence),
• la transparence des intentions (dire à l’autre où je veux aller, le rassure et l’ouvre à la compréhension),
• le partage des idées pour trouver ensemble les meilleures solutions (seul on va plus vite, ensemble on va plus loin).
Est-il vraiment inconcevable de faire confiance aux salariés pour d’une part trouver les solutions à une crise financière grave, et d’autre part continuer à promouvoir un service public de qualité ?
Et surtout, pourquoi ne pas prendre un médiateur quand la confiance n’existe plus ?
La cour s’en prend à la gestion des antennes, au « développement peu ordonné et dispendieux ». « Leurs budgets ont augmenté de 27,5 %, sans recherche de coordination des activités ni de mutualisation des moyens », constatent les magistrats, et « Radio France n’a pas achevé sa mue numérique ». Source AFP
Hello Yves,
Bel article comme tu nous y as habitué depuis quelques mois…Voici quelques un de mes commentaires….
Tout le monde s’accorde pour dire que nous faisons face à une mutation profonde de ce monde. Une grande transformation…majeure où se perdent nos manières de travailler, où se meurent des concepts qui éclairaient notre ignorance, où se défont des économies entières, où se mettent en place de nouvelles croyances, où s’organisent de nouveaux pouvoirs, où naissent de nouvelles industries, où se développent de nouveaux langages, et j’arrête là. Tant de personnes, de populations, de structures sont dépassées….Et tu le signales bien cette transformation impacte tous les aspects que tu mentionnes : intelligence individuelle versus intelligence collective, autorité versus leadership, verticalité versus horizontalité, patronat versus syndicat, conception du pouvoir- centralité versus dé-centralité ou coproduction ou codécision – Ce PDG de Radio France tient le pouvoir comme dans le temps : hiérarchique, centralisé, monodirectionnel (du haut vers le bas) dans un contexte de déficits financiers relativement importants, communiquant du haut vers le bas avec une novlangue managériale privilégiant la viabilité économique sans se soucier de ce que tu signales très bien : la confiance. La confiance est une valeur économique. Sans elle la méfiance puis la défiance s’installent, ainsi vident de tout sens toute volonté d’accepter de discuter d’une quelconque ré-organisation. La confiance a des rites, des totems, des mythes fondateurs, des héros…et si on néglige voire on nie tout cela on ruine toute possibilité de négociation, de réconciliation…et on brouille ainsi l’identité de l’entreprise….Assurément ce PDG, produit d’une élite sûre d’elle, droit dans ses convictions largement technocratiques, certain de son pouvoir délivré par le CSA, n’est pas taillé pour gérer une transformation, une crise, une mutation où des intérêts divergents s’expriment, où le lien social se délite, où les contraintes budgétaires ont un impact vitale sur l’organisation..Alors oui, dans un contexte pareil, l’intelligence collective, dans un contexte incertain,conflictuel et à risque doit s’imposer….cela suppose un vrai leadership i.e développant une vision assurant le sens du devenir de l’organisation (plus) promouvant la confiance sans quoi pas de compromis ni de décision, (plus) du charisme s’imposant à la tutelle et défendant au mieux son personnel, et ayant le sens de la relation informelle en dehors de toute hiérarchie…Le second préalable, ce leader, pour gérer cette ressource invisible qu’est la confiance, doit savoir conduire le changement et non simplement produire de la communication où le message est brouillé par tant d’incertitudes et de confusion….Qu’il comprenne que les processus de décisions sont collaboratifs et participatifs, et sont à même de faire passer de la suspicion à la confiance….Enfin qu’il mesure qu’il dirige un monument culturel qui ne se restreint pas à une gestion de budget à 12 lignes ! Que les productions de ce haut lieu sont crées, diffusées par des professionnels reconnus et appréciés par de multiples horizons d’auditeurs…Un service public unique, riche et très lié à son public…La crise actuelle ne peut se résoudre par le PDG seul, et que dit le CSA et que fait le ministère de la culture si ce n’est de la dilution de responsabilité c’est quoi ? les recettes à l’ancienne où on nomme un médiateur ont fait long feu….Une nouvelle manière de concevoir les grandes institutions de service public sont à portée de main : plus de collaboration, une hiérarchie plus proche et à l’écoute des personnels, de l’intelligence collective par métier par secteur en lieu et place aux décisions de cénacles qui ne comprennent rien aux acteurs et à leur création, des processus de décision transparents où les organisations syndicales ont un rôle influent, des leaders et non des chefs promus par l’ENA (ils peuvent avoir un rôle secondaire d’administration et non de leader car ils ne savent qu’une chose “tirer le parapluie” !), de la gestion de risques, de la conduite saine des changements, de l’information partagée, de la négociation partout..Allez de la transparence pour générer la confiance ! J’en ai trop dit et pourtant il y a encore tant de choses à dire et à faire !!! A bientôt
bonjour Abder et merci pour cette brillante analyse que je partage totalement. une nuance malgré tout: peut-on encore avoir besoin de dirigeants pour conduire ce mouvement de mutation à grand échelle et à grande vitesse impliquant ke devenir de nombreuses personnes qu’on nomme des salariés? Ne peut-on imaginer que plus le bateau implique de passagers plus on doit partager les décisions? Quand va t-on pouvoir se passer de l’idée de l’homme providentiel?
A bientôt pour poursuivre de vive voix, en mai, par exemple…
Amitié
yves
Merci Yves….
Je ne crois plus au chef providentiel…ni au leader magnétiseur…je pense, tout comme toi, que l’importance de la transformation est telle, qu’il faille faire participer le plus de personnes concernées possibles dans toutes les instances, les lieux possibles…Cependant cette mutation, on la voit sous nos yeux, n’est pas un big-bang…elle roule ici comme une grosse vague qui engloutit tout, là comme un puzzle qu’on résout petit à petit. C’est pour cela que je crois à un compromis entre la vieille organisation hiérarchique – hélas qui a encore une grande espérance de vie devant elle – et la nouvelle organisation horizontale, plate, où interagissent les idées, les nouveautés (souvent provenant de l’expérience ancienne et de l’écoute des clients)….à l’interstice de tout ça la négociation, la confiance, la transparence etc doivent co-habiter….Ce shift devrait permettre à la fois de satisfaire les actionnaires (qui tiendront à la verticalité coûte que coûte), les managers dont le discours sera plus crédibilisé et les personnels qui produisent qui créent, qui font fonctionner l’ensemble. Une décision, depuis toujours, est le résultat d’un processus (sinon ce n’est pas une décision) où s’affrontent les faits, les préférences et les utilités…une décision marine toujours dans des univers incertains, dynamiques et (allez je vais faire mon matheux) non linéaires…comment alors croire qu’une organisation verticale menée par un chef peut appréhender à elle seule cette complexité. Et c’est pour ça que la période de transition doit être conduite par un mixe bien pensé entre la multitude d’acteurs (on dit les parties prenantes) tout le long de ce processus de ré-organisation et d’adaptation soit des services publics soit de l’appareil productif. On peut croire à l’économie de la connaissance favorisée par les industries numériques et élaborer/partager du sens que l’on doit donner à ces nouvelles structures dans ce nouveau monde avec des leaders qui soient plus des collectifs qu’un individu. Basta de ces monétaristes qui ne savent parler que de la dette et du déficit…je croit plus à leur déficit intellectuel et à leur “binairisme” comptable absurde vidant le sens de toute réforme nécessaire qu’à leur capacité à diriger d’une part et à transformer d’autre part. Oui en mai je suis à Paris…on peut se voir quand tu peux..Amitié..Abder
Bonjour à tous les 2,
Je réagis un peu tard, mais, là, j’ai le temps de lire un peu…
Ne dit-on pas pourtant que quand il y a deux capitaines à bord le bateau coule? Personnellement, je crois au leadership, au personnage charismatique dont l’aura un peu magnétique trace des perspectives, donne une vision probable à une organisation. Ce n’est pas pourtant Dieu sur terre, mais quelqu’un payé pour penser, puis réfléchir et qui permet aux collaborateurs de réfléchir puis de penser pour créer. À ceci près que l’on nomme des individus, non en fonction de qualités ou compétences, mais en logique de réseau ou cercle d’influence, comme le dit très bien Abder. Le problème vient du contrat de délégation, de sa formalisation et donc de son contour, lequel doit impérativement comprendre un système de régulation et de contrôle qui contraignent et imposent la transparence. Regardez les dérapages constatés a fortiori, que ce soit à la tête de la CGT ou de radio France, aussi bien que dans tout type d’organisation livrée à elle-même sans supervision: La création d’un pouvoir absolu, dans une sphère opaque qui induisent de abus comportementaux, via le syndrome du “melon”. C’est valable même pour les organisations à forte valeur charismatique ou à vocation “missionnaire”.
Dès lors que l’on commence à parler “expert” on commence à cacher de l’incompétence voire de l’impuissance. Parler “expert” est une stratégie absconse qui vise à réduire le profane à l’impuissance, permet de conserver un pouvoir rendu occulte alors qu’il est dérisoire et normalement accessible, et construit un “code” permettant un corporatisme auto-protecteur.
C’est donc tout un système qu’il faut refondre de façon à restituer la bonne place à chacun dans une organisation, et dont le but doit être explicité. Si les hommes qui composent ce principe créé autour d’un argument, comprennent le sens réel de l’objet, ils s’impliquent. Si cet objet est détourné, même subrepticement, le sentant, les hommes se détournent ou détournent le sens de leur mission, chacun à sa mesure. C’est là où les grands idéaux rencontrent les bas instincts. Comme dit le sage: “Un poisson pourrit toujours par la tête.”
Je crois indubitablement au leadership, aux conditions suivantes:
-Je dis ce que je fais, je fais ce que je dis.
-Je m’astreint à l’exemplarité.
-J’explique avec clarté les buts de mes actions à tous les collaborateurs et je rends compte de ces actions.
-Je rends des comptes aux autorités qui m’ont conféré les responsabilités.
-Les autorités sont soumises aux même règles
-Je partage pour régner au lieu de diviser en responsabilisant les compétences repérées.
-Je pars en pleine gloire au lieu de m’accrocher à des résidus de pouvoir et de pourrir sur pied ou par la tête (cf. + haut).
Bien amicalement.
Bernard