L’intelligence, la polémique, l’idéologie et l’expertise face au Code du travail
Tous les commentaires sur le Code du travail débutent par un constat, celui du chômage. Le combat contre ce mal absolu devrait permettre la remise en cause des totems d’une certaine république que l’on trouverait trop sociale…
Les économistes sont partagés et de ce fait, en l’absence de modélisation chiffrée partagée par tous, il est difficile d’affirmer qu’un assouplissement du droit du travail permettrait de supprimer les freins à l’embauche.
En revanche un consensus s’établit pour déclarer qu’une adaptation à l’économie mondialisée et surtout aux nouvelles activités plus ou moins précaires, plus ou moins indépendantes serait nécessaire.
Existe-t-il un lien entre Code du travail et emploi ?
Pour résoudre le problème du chômage il faut arrêter de détruire des emplois
et en créer d’autres. Pour freiner la destruction d’emplois faut-il protéger les secteurs d’activité en déficit de compétitivité ? Pour créer des emplois faut-il desserrer les protections sociales ?
Le combat se résume à :
- Ne touche pas à mon code !
- Y a trop de contraintes !
- J’embauche plus si tu ne viens pas m’embêter avec des règles tatillonnes !
- La loi d’abord, et le contrat ensuite seulement s’il donne plus de droits que la loi !
- Le contrat est plus près du terrain c’est pour ça qu’il est meilleur !
Autant d’interjections qui masquent les véritables enjeux.
Du combat au débat ?
D’abord une question essentielle, toujours la même quand on parle de négociation :
- qui demande quoi et à qui ?
Les employeurs ? Les salariés ? Les syndicats ? Le gouvernement ? La Commission de Bruxelles ?
Ensuite une seconde question :
- donner la priorité au contrat sur la loi, pourquoi pas, mais les rapports de force dans l’entreprise le permettent-il ?
le débat derrière le combat.
Philippe Askenazy se livre à une comparaison avec le droit du travail britannique et pose les questions suivantes qu’il considère plus important que « l’allègement du code ».
- Comment définir l’employeur ?
- Faut-il construire une frontière entre travail salarié et travail indépendant ?
- Comment garantir les droits à la santé et à la sécurité du travail ?
Terra Nova, think tank proche du PS, a publié un rapport sur la réforme du droit du travail. (le rapport commis par le juriste Jacques Barthélémy et l’économiste Gilbert Cette pour la fondation Terra Nova)
Sa proposition de donner la priorité à l’accord collectif sur le code du travail rejoint une autre étude publiée par l’Institut Montaigne proche de la droite afin de simplifier le code du travail et fluidifier ainsi le marché de l’emploi.
Les rapports Terra Nova comme Montaigne sont sur ce point convergents. Ils veulent que les accords d’entreprise ou de branches constituent désormais les échelons prioritaires.
Les lois Auroux de 1982 et Fillon de 2004 autorisent les dérogations au Code du Travail par le biais d’un accord de branche ou d’un accord d’entreprise.
Les lois Aubry sur les 35 heures ont également consacré le principe de négociation locale sur le temps de travail. Mais la dérogation locale ne peut exister que si elle est davantage favorable au salarié.
Gilles Auzero, professeur de droit à l’université de Bordeaux, (cité par Mediapart[1]), considère qu’une« contractualisation accrue est un jeu dangereux, vu l’état des forces syndicales et du rapport de force dans les entreprises aujourd’hui »,
Jacques Freyssinet[2], économiste, va plus loin : « L’idée que l’on puisse simplifier le droit du travail en simplifiant le code du travail est un mythe absurde. La complexité du droit reflète la complexité des rapports de travail avec de multiples statuts soumis à des règles différentes… Si on sabre dans le code du travail, on va transposer cette complexité dans les accords collectifs. Aux États-Unis, vous avez des conventions collectives qui font des centaines de pages car justement, il n’y a pas de code du travail. L’autre possibilité, c’est un développement exponentiel des jurisprudences. »
Surgit alors dans le débat le rapport de Jean-Denis Combrexelle sur la place de la négociation collective vis-à-vis du code du travail.[3]
Bison futé et le gendarme[4]
Le rapport, dit Combrexelle, outil de travail du gouvernement pour préparer les prochaines négociations avec les partenaires sociaux, comprend 44 propositions pour privilégier le contrat par rapport à la loi.
Il souhaite rétablir la confiance, la responsabilité de chacun et la volonté d’agir pour refonder le droit du travail.
Une réduction radicale du code du travail est d’emblée écartée : elle mettrait à nu la faiblesse des acteurs et des pratiques et paradoxalement renforcerait le rôle du juge et des administrations.
Ce rapport propose pour chacun des thèmes suivants :
- le temps de travail
- les salaires
- l’emploi
- les conditions de travail
de mieux définir ce qui relève de l’ordre public social et de la négociation, en réduisant le nombre de branches de 700 à 100 en 2020.
De considérer qu’« en dehors du champ de l’ordre public législatif et de l’ordre public conventionnel, l’accord d’entreprise s’applique en priorité. »
Que la majorité soit portée à 50% aux élections professionnelles pour la légitimation des organisations syndicales représentatives.
Que les rapports entre l’accord collectif et le contrat de travail, l’intérêt collectif prime sur l’intérêt individuel.
Il affirme que le droit social français n’est plus adapté à la réalité des entreprises, et qu’il ne cesse de se complexifier au point de manquer l’un de ses principaux objectifs, à savoir sa fonction protectrice, que l’on se place du côté du salarié ou de l’employeur.
« l’État est à la fois Bison futé, en ce qu’il facilite la circulation et évite les retards, et le gendarme qui contrôle les violations de la loi. »
Bison furieux n’est pas content
Pour la CGT : « le code du travail est le socle minimal de garanties collectives. Il doit être applicable à tous. Les négociations dans l’entreprise doivent améliorer ces garanties mais pas les fouler au pied. »
Pour FO : « il ne faut pas abandonner la république sociale ».
Bison attendri dans l’expectative
Pour le MEDEF : « la logique qui consiste à se rapprocher du terrain pour élaborer les règles du jeu nous paraît positive. »
Bison opportuniste en profite
La CGPME milite pour une extension du recours aux referendums.
Derrière les bisons futés ou non attendent les salariés, objets de toutes ces attentions
En conclusion
L’Express pose la question suivante : Les syndicats sont-ils bien placés pour négocier au nom des salariés ? [5]
Les salariés sont-ils prêts aujourd’hui à laisser massivement des questions traitant de leur “sort” (emploi, temps de travail, rémunération, conditions de travail) entre les mains de centrales dont ils se sont éloignés, comme en témoigne le faible taux d’adhésion syndicale
La négociation collective a progressivement changé de nature depuis les années 1980 : Elle ne sert plus seulement à obtenir un ajout de garanties sociales supplémentaires, mais elle devient plutôt une négociation de “concession”, qui consiste à consentir collectivement des sacrifices.
Un dernier mot
Plus les sacrifices demandés aux salariés seront grands, plus la légitimité syndicale devra être forte. (voir article précédent du 6 septembre)
Yves Halifa
18 septembre 2015
[1] http://www.mediapart.fr/journal/france/020915/reforme-du-code-du-travail-la-boite-de-pandore-est-ouverte
[2] 2006) Travail et emploi en France. État des lieux et perspectives, La documentation française, Paris
(2004-2007) Hétérogénéité du travail et organisation des travailleurs, Documents de travail IRES, fascicules 1 à 4
(2004) Le Chômage, La Découverte, coll. « Repères », 10 éditions depuis 1984, (ISBN 2-7071-4335-9)
[3] http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021138028131-code-du-travail-lurgence-de-la-reforme-1128545.php?3Dthc1U3t35TigLm.99
[4] rédigé à partir de l’article de Bertrand Bissuel et Michel Noblecourt du Monde.
[5] http://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/les-syndicats-sont-ils-bien-places-pour-negocier-au-nom-des-salaries_1714507.html
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