10 ans après les émeutes urbaines de la banlieue française, une chemise arrachée à un DRH, des paysans en colère, des électeurs qui ont peur… un écrivain[1] poursuivi par la justice pour apologie du sabotage, puis relaxé. Des écrivains et des philosophes avec leurs interrogations et leurs réponses…
La violence n’existe que parce que les conflits ne sont pas assumés. Un conflit géré devrait permettre de canaliser la violence.
Comprendre ce qu’est la violence avec René Girard, la décrire avec l’actualité politique et sociale et la gérer avec les outils de la négociation, pour mieux éclairer les difficultés d’aujourd’hui.
Qu’est-ce que la violence ?
René Girard, anthropologue décédé la semaine dernière à Stanford baignait dans une époque violente et il a tenté de la comprendre :
« Nous faisions partie des gens qui comprenaient que tout était en train de foutre le camp. Nous avions une conscience profonde du danger nazi et de la guerre qui venait… Dans la cour de récréation, je me tenais avec les petits, j’avais peur des grands brutaux. »
Pour lui la violence part du désir qu’il considère comme une maladie. Chacun désire toujours ce que désire autrui ; c’est le ressort de tout conflit.
De cette concurrence naît le cycle de la fureur et de la vengeance. Ce cycle n’est résolu que par le sacrifice d’un bouc émissaire. Ce qui permet à la foule de se réconcilier.
Le monde actuel, période de transition dit-on, paraît submergé par la violence, violences conjugales, politiques, sociales, commerciales. Elle se trouve exacerbée par :
- l’impuissance de convaincre,
- l’impossibilité de négocier
Comment se manifeste –t-elle ?
D’abord avec des mots :
Le représentant régional d’une formation politique dépose une liste de candidats qui n’a pas l’heur de plaire au dirigeant national qui d’une phrase l’exécute : « S’il ne corrige pas sa copie, il sera abattu sans sommation, politiquement, humainement et financièrement ».[2]
Ce qui naturellement n’a pas empêché la personne en question d’assumer sa transgression.
Ensuite avec des actes :
Revenons sur la violence des relations sociales constatée à Air France. La vidéo de la chemise arrachée fait le tour du monde. Le premier ministre réagit en traitant de voyous les auteurs des violences. La presse enquête sur l’enchainement des faits et montre une salariée au bord des larmes :
«Je me suis sentie humiliée par l’attitude des personnes que j’avais en face de moi. Face à ces personnes complètement détachées, alors qu’on parle de mon avenir, je n’ai pas su supporter cette pression ».
Un autre délégué syndical considère que le terme voyous, utilisé par le premier ministre a été blessant.[3]
Comment éviter la violence ?
La prévenir en assumant le conflit. C’est à dire en incitant les personnes à parler, à ne pas se taire, à les rendre libres pour pouvoir négocier.
Le conflit implique la nécessité de choisir entre l’expression du rapport de forces, la violence, et l’expression de la civilité, se parler, discuter, négocier.
Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature, a déclaré dans un entretien au Monde :
« Ma question est au fond : Qu’est-ce qui s’est amassé à l’époque soviétique, dans la profondeur du peuple, et qu’est-ce qui va en sortir ? En 1991, le peuple s’est réveillé dans un pays nouveau, incompréhensible. Et il s’est tu. »
On pourrait ajouter que le silence est probablement le début du cycle de la violence.
Faire exprimer les humiliations ressenties c’est déjà poser les termes du conflit.
Prévenir la violence c’est se mette autour d’une table pour tenter de résoudre une divergence d’intérêts en parlant de ce qui fâche.
Mais on ne peut ouvrir une discussion sur le fond que si on partage un minimum de civilité.
La violence reste toujours possible sous une forme ou une autre, physique ou verbale…
Alors ? Négocier l’abandon de la violence ?
La résolution d’un problème suppose le renoncement à la violence.
Elle peut se produire en amont, ou au cours d’une négociation.
Même en cas d’arrêt du recours à la violence les rapports de forces subsistent. Il va alors falloir entamer un autre processus avant de régler le problème par la discussion : négocier un compromis, celui de la civilité.
Mais le partage de la civilité, ciment d’une relation non violente, ne suffit pas à aplanir les conflits.
La violence reste toujours possible, chacun se prépare à y recourir de nouveau :
- en cas de blocage prolongé d’une discussion,
- en cas de pratique considérée comme déloyale par l’autre partie.
Pour éviter cette régression toujours possible, on recourt souvent au compromis qui est dit mauvais ou bon selon qu’il gèle la résolution du problème ou qu’il reste acceptable pour chacune des parties.
Qu’est ce qu’un compromis durable?
Franck Pfetsch de l’université de Heidelberg, [4] propose ses solutions :
- tous les participants touchés par le conflit doivent être inclus dans la négociation.
- tous les intérêts, même divergents, doivent être discutés sans qu’aucun ne soit mis de coté parce que difficiles.
- Les personnes doivent être respectées.
- Il doit y avoir proportionnalité des efforts consentis relativement aux rapports de force préexistants à la négociation.
- le compromis doit refléter la réalité du moment.
Un dernier mot ?
Il existe une autre manière de gérer les rapports de force en mettant en lisière, sans la désarmer, la violence potentielle des parties.
On l’appelle la MESORE[5] en français, la BATNA[6] en anglais.
Vous arrivez dans une négociation avec une solution alternative en cas d’échec.
- Ce n’est qu’une solution de rechange et si vous allez négocier, c’est que vous espérez plus que votre solution en poche.
- L’annoncer, c’est d’abord montrer son peu d’espoir dans une solution négociée.
- L’annoncer, c’est aussi menacer et enclencher le cycle de la violence.
Mais la MESORE ne s’use que si l’on s’en sert : l’exemple de l’annonce par AIR France du plan unilatéral de la direction en cas d’échec du plan négocié a été considéré par les syndicats comme une provocation donc comme un acte violent.
N’oublions pas que dans tout conflit mal géré le recours à la violence reste toujours possible.
Non à la violence, ni physique, ni verbale, oui aux conflits.
Yves HALIFA
9 novembre 2015
[1] Erri de Luca
[2] Nicolas Sarkozy a propos de Dominique Reynié, tête de liste LR en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Alain Auffray Libération.
[3] http://www.20minutes.fr/societe/1708251-20151013-violences-air-france-salaries-recus-assemblee-nationale-confient-humiliation
[4] Négociations 2013/2, n°20
[5] Meilleure Solution de Rechange
[6] Best Alternative To a Negotiated Agreement
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