Que nous réservez-vous pour cette nouvelle année, vous les français ?
Ariane Chemin nous informe que plus de 50% des sondés[1] souhaitent que la France soit dirigée par un homme fort qui n‘a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections.
Elle cite Michel Crozier qui écrit au sujet de notre belle et douce France:
« Ce pays très centralisé instaure des autorités fortes, incarnées et lointaines dont le modèle est le roi, qui est à la fois tout puissant et très distant.Ce modèle a traversé les siècles, il est devenu napoléonien, puis républicain, mais aujourd’hui il est en crise : les citoyens ont le sentiment que cet État puissant et lointain est impuissant, que les alternances ne débouchent sur rien, que le pouvoir s’est déplacé vers l’Europe et les régions. Ce sentiment nourrit une demande d’autorité ambiguë. : Ce que l’on veut rétablir ce n’est pas l’autorité mais ses symboles ».
Ariane Chemin fait témoigner en parallèle le sociologue Philippe d’Iribarne,[2] qui essaie de nous comparer à d’autres nations :
« Le chef, en Europe du nord, est censé organiser la coopération et les compromis nécessaires à la bonne marche de l’entreprise et du pays.
Aux Etats-Unis, le dirigeant est dans la position contractuelle du client, pas plus, pas moins.
En France le dirigeant doit avoir une vision globale de l’avenir et précise de tous ses métiers. Il doit tenir son rang, diplômes prestigieux, grands corps, il doit aussi respecter les compétences et doit être un entraineur. »
Comment, dès lors, ne pas s’étonner de notre aversion à la négociation comme mode privilégié de résolution de problèmes ?
Plus nous sommes dominés, plus on en a envie.
En écho, Raffaele Simone, linguiste et sociologue italien[3] contemporain fait appel à Tocqueville qui, dans De la démocratie en Amérique, décrit une nouvelle forme de domination qui pénètre la vie privée des citoyens, développant un autoritarisme “plus étendu et plus doux”, qui “dégraderait les hommes sans les tourmenter”.
Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s’associer pour résister ces hommes remettent alors leur destinée à “un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d’assurer leur jouissance (…) et ne cherche qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. Ce pouvoir aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il pourvoit à leur sécurité (…) facilite leurs plaisirs (…) Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète.”
Heureusement face au pouvoir politique existe le pouvoir des citoyens.
Les valeurs de la coopération parviennent à survivre pour peu que des énergies se coalisent indépendamment des pouvoirs constitués, indépendamment des gouvernements démocratiques paralysés par leurs opinions sur la défensive, en « élargissant le gâteau » au-delà de la maladie nationaliste.
Sésame ! Ouvre toi !
Le 16 mai 2017 sera inauguré en Jordanie, le premier synchrotron du Moyen-Orient par les 9 membres du projet :
SESAME est une collaboration inédite, qui rassemble des scientifiques issus de ses membres, à savoir l’Autorité palestinienne, le Bahreïn, Chypre, l’Égypte, l’Iran, Israël, la Jordanie, le Pakistan et la Turquie. Il s’agit d’un accélérateur d’électrons pour fabriquer un microscope très puissant, un synchrotron qui contribue aussi à créer des liens entre différentes cultures dans une partie du monde qui fait généralement la une de l’actualité pour les conflits qui s’y déroulent.
Le projet a vu le jour dans la cafeteria du C.E.R.N. il y a 20 ans. Ce sont les scientifiques qui ont décidé du lieu, en Jordanie ;
http://peacetalks.net/pt-videos/eliezer-rabinovici-la-science-comme-passerelle-pour-la-paix/
“Nous avons construit une communauté”, déclare le premier initiateur du projet, Eliezer Rabinovici, ancien vice-président de Sesame.[4]
” Le synchrotron Sesame, c’est un univers parallèle où les scientifiques de tout le Moyen-Orient peuvent travailler ensemble “.
Pour le Professeur Eliezer Rabinovici, la science peut briser les obstacles à la paix, et permet de rapprocher des gouvernements dans des secteurs où ils ne retrouveraient pas autrement.
Pourquoi ça marche ?
- Parce que des scientifiques sont obligés de coopérer pour avancer.
- Parce qu’ils ont un langage commun, celui de la science.
- Parce qu’ils ont intérêt à la paix.
L’état d’avancement de ce projet de coopération scientifique va peut-être ouvrir l’espace confiné et méfiant des pouvoirs politiques à la remorque des émotions populaires.
SESAME est l’histoire remarquable de la ténacité d’énergies individuelles capables de redonner courage à des groupes d’intérêts opposés pour transcender leurs divergences et contribuer à une coopération impensable car souvent impensée.
« Nous travaillons ensemble en vue de buts scientifiques (…) grâce à la confiance qui s’est établie au cours de nombreuses années de collaboration, loin des pressions que l’on trouve dans le domaine politique ».
Serait-ce une leçon pour 2017 ?
Bonne année.
Yves HALIFA
1er janvier 2017
[1] (CEVIPOF, l’enquête électorale française, 20 000 personnes) dans Le Monde du Samedi 17 décembre 2016.
[2] L’Étrangeté française (Seuil, 2006)
[3] http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/10/14/pourquoi-l-europe-s-enracine-a-droite_1409667_823448.html#q4f8OiBGuIlpjaL2.99
[4] https://home.cern/fr/about/updates/2015/04/sesame-passes-important-milestone-cern
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