Négocier ou bien frapper, taper, cogner, fesser, gifler, tabasser ?
Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant ?
– « Bonsoir mon petit bonhomme, tu as vu ? c’est l’heure d’aller au lit. Je vais te lire une histoire et après hop ! on éteint, on vient te faire des bisous et tu fais de beaux rêves. »
– ” Non!”, répond de manière inattendue ce fameux petit bonhomme ce soir là, alors que d’habitude il ne fait pas d’histoire…
Vous connaissez tous la suite. Piste verte ou piste rouge ?
Étonnamment les familles françaises adorent le hors-piste.
Au lieu de demander tout bonnement pourquoi ? elles préfèrent souvent entrer dans une spirale argumentative à haut risque.
Première étape: « Je te rappelle que c’est ton père qui te parle ! »
Intérieurement, le petit bonhomme le sait bien ; comme il ne comprend pas le pourquoi de cette question il fait, in petto, deux hypothèses : « soit mon père a des doutes sur sa paternité et il faudra que j’en parle à maman, soit il fait péter les galons en me rappelant son statut ; il est donc faible profitons-en en campant sur notre position. »
– « C’est non. »
Seconde étape: « Attention, je compte jusqu’à 3 et si à 3 tu n’es pas au lit je te donne la fessée ! »
Que se dit notre petit bonhomme : « pourquoi compte-t-il jusqu’à 3 ? cela signifie sûrement qu’il n’a pas envie de me la donner cette fessée… Testons le. »
– « C’est toujours non. »
Troisième étape: Après un entracte significatif montrant la pauvreté de la méthode de négociation du père qui, vous le devinez, n’a pas réussi à aller jusqu’au bout de son ultimatum et s’est arrêté misérablement à 2,5, il se résout à passer à l’acte pour ne pas perdre sa crédibilité. (au départ il voulait que son enfant soit au lit pour être en forme pour aller à l’école le lendemain, maintenant il cherche à sauvegarder sa crédibilité en voie de dissolution.)
– « Bon, maintenant viens ici que je te donne la fessée ! »
« Non mais je rêve”, se dit le petit bonhomme, ” il voudrait qu’en plus je sois une victime consentante. »
Et il fuit à l’autre bout de la maison, bientôt rattrapé par son père qui lui donne la fessée mais trop fort parce qu’il l’aime et qu’on est juste dans le symbole de la punition.
Quatrième acte: Le petit bonhomme, qui n’a pas encore saisi les finesses de la psychologie de l’adulte, répond alors, « même pas mal ! », ce qui ne fait qu’attiser l’aveuglement de son père qui mélange tout et inverse l’échelle de ses intérêts en oubliant que c’est un enfant qu’il a devant lui.
Face au défi, le combattant se réveille :” il n’a pas mal ? Et bien il va avoir mal !” et il tape pour relever ce défi du faible au fort.
Cinquième acte (on l’espère): Le petit bonhomme a mal et donc il pleure, il hurle, et sa mère surgit en interpellant l’agresseur :
– « Que se passe t-il ici ? Tu es incapable de coucher ce gosse correctement dans provoquer une crise ? Pour une fois que je rentre après toi ! »
– « C’est à moi que tu parles » ? répond le père.
Et s’ensuit une conversation houleuse sur le système éducatif avec accusations réciproques de laxisme, pendant que le petit bonhomme va regarder le coup d’envoi du match que son père voulait regarder.
Et la piste verte me direz-vous ?
Peu la prenne alors qu’elle est souvent efficace.
- « Pourquoi ne veux-tu pas à aller au lit ce soir ? »
- « Parce qu’aujourd’hui j’ai eu peur à l’école… »
On imagine ici la découverte des problèmes graves que son enfant avait à partager…
Est-ce normal?
le 4 mars 2015, le Conseil de l’Europe a reproché à la France de ne pas énoncer l’interdiction expresse et complète de toutes les formes de châtiments corporels infligés aux enfants.
Un député français d’un parti de droite a déclaré : « Moi qui suis père de quatre enfants, je conteste au Conseil de l’Europe le droit de me dire ce que je dois faire avec mes enfants. »
En Algérie, le 5 mars 2015, les députés islamistes ont dénoncé une proposition de loi criminalisant les violences contre les femmes comme une intrusion dans l’intimité du couple et visant la dislocation de la famille.
Le 25 janvier 2017, le Parlement russe, sous la pression de l’Eglise orthodoxe a dépénalisé les violences domestiques n’entraînant pas d’hospitalisation. « C’est un vote historique car, dans certains pays, le rôle de l’Etat dans la vie familiale dépasse toutes les bornes », s’est réjoui un député russe.
En décembre 2016, le président russe avait déclaré : « Il existe d’autres moyens d’éducation que les fessées mais bien sûr, il faut aussi rester raisonnable. » Aller trop loin dans l’interdiction, « c’est mauvais à la fin, ça détruit la famille », avait-il ajouté.[1]
Et vous ? Et nous ?
Dans les formations à la gestion de conflit ou au management, on peut aborder n’importe quel sujet en matière de négociation sans presque jamais cliver ; tout au moins en paroles.
La majorité des personnes, hommes ou femmes raisonnables qui participent à ces formations se déclarent adhérer à des modes de négociation raisonnés.
Mais dès qu’on pose cette question simple : faut-il négocier avec les enfants ?
Une majorité d’adultes raisonnables et raisonnés répond NON !
Cela vient de très loin
Sumer : où une tablette gravée nous est parvenue qui évoque un enfant fouetté par son maître.
Égypte : « Les oreilles de l’enfant sont sur son dos »
Chine : « Si tu aimes ton fils, donne-lui le fouet, si tu ne l’aimes pas, donne-lui des sucreries »
Proverbes bibliques :
« Celui qui ménage les verges hait son fils, mais celui qui l’aime le corrige de bonne heure » (13,23) ;« Tant qu’il y a de l’espoir châtie ton fils ! Mais ne va pas jusqu’à le faire mourir » (19,18)
« La folie est ancrée au coeur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre » (22,15) ;
« Ne ménage pas à l’enfant la correction, si tu le frappes de la baguette, il n’en mourra pas » (23,13).
Aristote (384-322 av. J.-C.) pense que l’éducation doit être « accompagnée de douleur » et que l’enfant qui a un comportement indésirable doit être « déshonoré et battu ».[2]
D’accord, mais que faire face à la désobéissance ?
S’imposer, répondent-ils.
Comment ?
Un silence s’installe…
On insiste, que pouvez-vous faire si vous n’êtes pas obéi ?
Le silence devient pesant et comme peu de gens assument le silence, il y a toujours un homme, cadre ou dirigeant responsable et éduqué de 40 ans, ou une femme, exerçant sa double responsabilité de manager et de mère de famille qui ouvre les vannes :
-
on ne va quand même pas négocier avec des gosses désobéissants !
-
une petite tape n’a jamais fait de mal à personne.
-
Je ne connais personne qui soit mort d’une bonne fessée.
-
D’ailleurs moi j’en ai reçu des roustes, et des bonnes, de la part de mon père et ça m’a remis la tête à l’endroit.
-
On ne pas quand même pas se laisser faire tout de même !
-
Une petite fessée pour une grosse bêtise ça permet de se faire comprendre…
Pour conclure
En 2006 Paulo Sergio Pinheiro, auteur pour les Nations unies du Rapport mondial sur la violence envers les enfants : « Les droits de la personne humaine, le respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique – des droits égaux pour les enfants et pour les adultes – et les obligations de l’État de faire respecter ces droits ne doivent pas s’arrêter à la porte des foyers.
la France avait été rappelée à l’ordre plusieurs fois par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU à propos du droit de correction, qui autorise les parents à frapper leurs enfants, jusqu’à un certain niveau, et suspend dans la famille l’application du droit pénal qui sanctionne les violences légères envers les enfants.
Pour beaucoup de parents, les fessées ou les gifles ne sont pas des violences.
On savait que la France était une terre des Lumières mais aussi rétive à la négociation.
Comment sortir cette barbarie de nos têtes et faire entrer la démocratie dans la famille sans qu’elle soit imposée.
L’appel de Daniel Delanoë[3], de Thierry Baubet[4] et de Marie-Rose Moro[5] ne doit pas rester vain.
Yves HALIFA
4 avril 2017
[1] http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/02/interdire-les-chatiments-corporels-contre-les-enfants-est-une-necessite-democratique_5104524_3232.html
[2] https://www.oveo.org/histoire-de-la-violence-educative/
[3] psychiatre, anthropologue. Unité Inserm 1178. Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité. Auteur de l’article « Les châtiments corporels de l’enfant, une forme élémentaire de la domination », paru dans L’autre, cliniques, cultures, sociétés, 2015, vol 16, n°11, 48-57.
[4] professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité, Inserm U1178. Service de Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent, psychiatrie générale et addictologie spécialisée Hôpital Avicenne. 93009 Bobigny.
[5] professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Université Paris Descartes, chef de service de la Maison de Solenn, Maison des adolescents de l’Hôpital Cochin, Maison de Solenn, Paris. www.maisondesolenn.fr, Unité Inserm 1178.
Vraiment en phase avec cette analyse et prise de distance …même si les choses ont un peu évolué heureusement dans le bon sens depuis les années 60-70.
Parlons en pour qu’en France la culture démocratique au sein des familles progresse davantage encore !