Bravo, les citoyens français!
Les citoyens français sont applaudis par nos voisins européens pour leur intelligence collective en ayant voté pour le pragmatisme, contre l’irrationnel et en tenant les extrêmes en lisière de toute gouvernance.
Faut-il applaudir ou bien s’inquiéter ?
Ceux qui ont voté pour le pragmatisme étaient-ils si fatigués des espérances démocratiques trahies?
Ceux qui se sont abstenus étaient-ils fatigués de ne pas être reconnus?
Ou bien plus simplement la fatigue citoyenne est-elle inhérente à la République?
Deux petits livres sont parus pendant cette période électorale au cours de laquelle chaque citoyen a pu négocier avec lui-même:
Le despotisme démocratique de Tocqueville (L’Herne) et
un Été avec Machiavel de Patrick Boucheron (Équateurs parallèles).
Ces deux ouvrages mettent en relief la difficulté à comprendre les ressorts de ce monde nouveau dans lequel nous évoluons sans nous rendre compte que nous en faisons déjà partie.
« En politique comme en philosophie et en religion, l’intelligence des peuples démocratiques reçoit avec délices les idées simples et générales. Les systèmes compliqués la repoussent, et elle se plaît à imaginer une grande nation dont tous les citoyens ressemblent à un seul modèle et sont dirigés par un seul pouvoir. »
Tocqueville avait prévu que La République en marche allait fédérer les idées simples et donner carte blanche à un président qui voulait réformer par ordonnances.
Il savait que lors d’une consultation chez le médecin on aime entendre des diagnostics simples et s’entendre prescrire des remèdes pas trop compliqués.
« Comme chacun des hommes se voit peu différent de ses voisins, il comprend mal pourquoi la règle qui est applicable à un homme ne le serait pas également à tous les autres. »
Tocqueville savait déjà au début du XVIIIème siècle que les citoyens aiment le même droit pour tous.
« La plupart estiment que le gouvernement agit mal ; mais tous pensent que le gouvernement doit sans cesse agir et mettre à tout la main. »
Tocqueville prescrivait déjà des gouvernements En marche !
« Ainsi, le gouvernement aime ce que les citoyens aiment, et il hait naturellement ce qu’ils haïssent.»
Tocqueville se prononçait déjà pour « de gauche ET de de droite ».
« Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisis leurs tuteurs. »
Tocqueville prévenait aussi les citoyens du futur qu’« après avoir épuisé tous les différents systèmes d’élection, sans en trouver un qui leur convienne, ils s’étonnent et cherchent encore… »
« …le peuple, fatigué de ses représentants et de lui-même, créerait des institutions plus libres, ou retournerait bientôt s’étendre aux pieds d’un seul maître. »
Le « dégagisme » était-il donc prédictible ?
Tocqueville préconisait également de rendre aux citoyens leur capacité d’initiative en ne décidant pas pour eux :
« On dirait que les souverains de notre temps ne cherchent qu’à faire avec les hommes des choses grandes. Je voudrais qu’ils songeassent un peu plus à faire de grands hommes ; qu’ils attachassent moins de prix à l’œuvre et plus à l’ouvrier et qu’ils se souvinssent sans cesse qu’une nation ne peut rester longtemps forte quand chaque homme y est individuellement faible… »
Il concluait sur la nécessité de la vigilance citoyenne et le refus des compromis pauvres et misérables :
« Ayons donc de l’avenir cette crainte salutaire qui fait veiller et combattre, et non cette sorte de terreur molle et oisive qui abat les cœurs et les énerve. »[1]
Machiavel avant Tocqueville
Bien avant lui, Machiavel analysait le comportement de ses semblables et préconisait la réhabilitation des conflits pour mieux les organiser :
« La santé d’un corps social résulte de l’équilibre de ses humeurs, d’une organisation de ses désordres sociaux. »
Patrick Boucheron, l’auteur de cet ouvrage, nous rappelle que pour Machiavel, la république est fondée sur la discorde, elle est l’agencement pacifique de la mésentente.
Machiavel sait que les Florentins haïssent la dissension et craignent le tumulte.
Patrick Boucheron nous prévient :
Machiavel, dans l’Art de la guerre, note que les princes italiens pensaient qu’il leur suffisait d’imaginer dans leurs cabinets une brillante réponse, d’écrire une belle lettre, de montrer dans leurs paroles de la subtilité et de l’à-propos, de savoir ourdir une ruse… Les pauvres. Ils n’ont pas vu venir ce qui arrivait : de grandes frayeurs, de soudaines fuites et d’étonnants désastres.
Tous ensemble ? ou Tous en marche ?
La rue ou la démocratie ?
Alors, après avoir laissé certains électeurs minoritaires décider pour tous, après s’être fatigués de trop de débats médiocres et décevants sans y être trop impliqués, les citoyens, suffisamment reposés, laisseront-ils faire sans réagir ?
Espérons que les nouveaux décideurs iront non seulement écouter leurs électeurs et non-électeurs mais négocier avec eux de nouvelles solutions aux nouveaux problèmes à résoudre.
Yves HALIFA
20 juin 2017
[1] De la démocratie en Amérique, quatrième partie, chapitres 1 à 8.
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