photo extraite du journal Libération. crédit photo Jacques Boyer Roger Viollet
La guerre et la paix
En cette fin novembre 2018 les gouvernants ressortent les fantômes du passé du placard.
La presse dans son ensemble montre l’hésitation générale entre le devoir de mémoire qui permet de comprendre et la célébration des glorieux héros.
Les historiens (interrogés par Mediapart) considèrent que le Président s’est pris les pieds dans le tapis entre histoire et mémoire en incluant Pétain dans la commémoration des héros français
« Je pense qu’Emmanuel Macron a été pris à son propre piège du “en même temps”
estimeManon Pignot, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Picardie-Jules Verne et membre du conseil scientifique de la Mission du centenaire.
L’historien Emmanuel Saint-Fuscien, affirme qu’on ne joue pas impunément avec les usages publics du passé.
« Obsédé », par « la réconciliation des histoires », mais aussi par celle des mémoires, le président de la République en vient à tout mélanger conclut Mediapart.
Cet « en même temps » est le reflet de la tentative de conciliation des divergences par des compromis qui ne règlent rien et qui mécontentent tout le monde.
Guerre et Paix
On nous vend donc une commémoration sans défilé militaire mais avec prise d’armes le 10 novembre plus un « Forum de la paix » le lendemain.
Il est très facile de déclencher la guerre et beaucoup plus difficile de faire la paix.
La paix s’est établie en Europe entre 1918 et 1922 par différents traités qui ont donné naissance aux futures guerres du siècle non terminées pour certaines :
- Celui de Versailles (1919) a conduit à la revanche de l’Allemagne qui s’est estimée humiliée.
- Celui de Sèvres (1920 révisé en 1922 par celui de Lausanne) a construit les futures guerres du Moyen-Orient.
- Celui du Trianon (1922) a favorisé les crispations nationalistes actuelles de la Hongrie.
Gagner la guerre
Quand on entre en guerre plusieurs questions simples se posent :
- Guerre totale ou guerre limitée ? Delenda Carthago est !
- Guerre juste et guerre légitime ?
- Le nerf de la guerre est-il financé ?
- La bonne stratégie est-elle arrêtée ?
- Faut-il gagner des batailles ? Y at-il une « mère des batailles ? Mais de nombreux théoriciens de la guerre considèrent que s’il est exact que certaines batailles ont été décisives, qu’on peut perdre une guerre en ayant gagné des batailles.
Quelques exceptions en effet: la victoire d’Alexandre le Grand à Gaugamèles en 331 avant notre ère a abouti à la disparition de l’empire perse. La défaite de Dien Bien Phu en 1954 précipite la fin de l’empire colonial français.
Sun Tzu, 4èmesiècle avant notre ère, comme le maréchal de Saxe au 18ème siècle, recommandent d’éviter la bataille ; avec les batailles napoléoniennes on abandonne ce précepte pour exalter le combat avec la quête obstinée de la percée pendant la première guerre mondiale.
- Qu’est-ce qu’une victoire ?
Elle est peu de chose si elle n’atteint pas le registre politique. Tout traité est le fruit d’un compromis. La liste est longue des traités qui ont entériné de fausses paix ; on les charge d’espoirs qu’ils ne peuvent remplir à eux seuls.
Dans tous les domaines, y compris le champ des conquêtes sociales, en France, on valorise plus le combat que la négociation.
Et la seule question importante est rarement posée au début d’une guerre, comme au début d’une grève, que fait-on après ?
Gagner la paix
Comment éviter la guerre ?
Comment gagner la paix si la guerre n’a pu être évitée ?
Eviter la guerre nécessite des structures de régulation indépendantes des volontés nationalistes. La période est malheureusement à la contestation des structures supra nationales (ONU, UNESCO, Union Européenne…)
De surcroît, la pulsion de compétition domine largement le réflexe de coopération.
Il s’agit d’une culture profondément ancrée dans la société européenne et au-delà dans la culture anglo-saxonne : compétition pour être le meilleur partout, évaluations et rémunérations individuelles ; exacerbation et valorisation des sports individuels…
C’est une réalité dont on doit tenir compte.
Dans le domaine social on ne valorise pas, ou très peu, les accords obtenus grâce à des négociations raisonnées élaborés par des personnes raisonnables.
On préfère mettre en avant le courage ce ceux qui n’ont pas cédé et les résultats obtenus par la ruse ou la puissance d’une stratégie redoutable.
Le vocabulaire militaire employé dans les entreprises et par la Presse est révélateur.
Stratégie, tactiques, déstabilisation, résistance à la fatigue, rapidité d’analyse, subterfuges, stratagèmes, pressions, attaques, manipulations…
On considère au mieux qu’on ne peut négocier qu’avec des personnes douées d’intelligence rationnelle et on renvoie avec mépris les autres dans le camp indéfini de l’irrationnel et du fou.
A nier le mode de rationalité de l’autre, on s’interdit de le comprendre, donc de le combattre efficacement.
Et pourtant on sait faire la paix. Une paix durable.
Parmi les nombreux exemples possibles prenons celui de la Nouvelle-Calédonie dont nous « fêtons » discrètement (trop discrètement) l’anniversaire de l’accord de Nouméa.
Le principe essentiel était en 1998, il y a donc 20 ans, de gagner une paix durable en se donnant le temps de guérir les blessures de sang et les fêlures identitaires.
Les acteurs de la construction de cette paix sont partis d’un principe simple : laissons le temps d’une génération pour décider de ce que sera l’avenir du territoire.
Nous y sommes.
Dans le préambule de l’accord de 1998 existent quelques phrases qui nous éclairent sur ma manière de gagner la paix :
- Les traités passés, au cours de l’année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait, des actes unilatéraux.
IL s’agit de la reconnaissance d’une injustice flagrante. - Des hommes et des femmes sont venus en grand nombre, aux XIXe et XXe siècles, convaincus d’apporter le progrès, animés par leur foi religieuse, venus contre leur gré ou cherchant une seconde chance en Nouvelle-Calédonie.
Il s’agit de la reconnaissance de la légitimité de TOUS les combattants. - Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière.
Il s’agit d’accepter la complexité de la réalité observée. - Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées.
Il s’agit de se donner le temps de guérir les plaies ouvertes.
Quel dommage de ne pas avoir prévu de réunir au Forum de la paix tous les peuples blessés par les anciens traités…
On aurait pu imaginer une multitude de défilés nationaux convergents vers le centre de la place de l’Étoile par les avenues napoléoniennes guerrières, puis se mêlant dans une foule compacte et joyeuse pour défiler sur les Champs-Élysées et se retrouver sur la place bien nommée de la Concorde…
Après avoir, bien sûr, déposé leurs armes sur les trottoirs de l’avenue.
Yves HALIFA
11 novembre 2018
Notes importantes
Préambule de l’accord de Nouméa (1998)
- Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommée « Nouvelle-Calédonie », le 24 septembre 1853, elle s’approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d’Europe et d’Amérique, elle n’établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés, au cours de l’année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait, des actes unilatéraux.
Or, ce territoire n’était pas vide.
- La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s’est inscrite dans un vaste mouvement historique où les pays d’Europe ont imposé leur domination au reste du monde.
Des hommes et des femmes sont venus en grand nombre, aux XIXe et XXe siècles, convaincus d’apporter le progrès, animés par leur foi religieuse, venus contre leur gré ou cherchant une seconde chance en Nouvelle-Calédonie. Ils se sont installés et y ont fait souche. Ils ont apporté avec eux leurs idéaux, leurs connaissances, leurs espoirs, leurs ambitions, leurs illusions et leurs contradictions.
- Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière.
Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine.
Des clans ont été privés de leur nom en même temps que de leur terre. Une importante colonisation foncière a entraîné des déplacements considérables de population, dans lesquels des clans kanak ont vu leurs moyens de subsistance réduits et leurs lieux de mémoire perdus. Cette dépossession a conduit à une perte des repères identitaires.
- La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps.
- Les signataires des accords de Matignon ont donc décidé d’arrêter ensemble une solution négociée, de nature consensuelle, pour laquelle ils appelleront ensemble les habitants de Nouvelle-Calédonie à se prononcer.
Cette solution définit pour vingt années l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation.
Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées.
Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.
Cet article doit beaucoup à cet ouvrage dont je recommande la lecture.
Comprendre la guerre
Histoire et notions
Laurent HENNINGER et Thierry WIDEMANN
Perrin éditions-2012
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