Les chiffres n’ont pas d’émotions
mais les femmes et les hommes en sont submergés.
Colère chez les gilets jaunes; indignation devant les injustices; passion chez les militants; révolte devant les inégalités de salaires; écoeurement devant l’arrogance et la mauvaise foi.
Hier soir, jeudi 22 novembre 2018, dans l’émission politique de France 2, on a pu mesurer l’impossibilité du dialogue entre deux mondes, celui de la fin de mois difficile porté par un porte parole en colère pétri de certitudes et celui de la fin du monde porté par Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique.
Cinq moments clés dans la dramatique actualité économique, politique et sociale:
- Le mouvement dit des gilets jaunes se révolte contre l’injustice qui prend sa source dans la différence entre les critères dits objectifs, brandis par le pouvoir des experts, et les critères dits ressentis, par ceux qui se considèrent comme les « sujets » de ces mêmes experts.
- Un syndicat, nommé corps intermédiaire, se perd dans les sables d’une gouvernance dissolue.
- Un “grand patron” est accusé de malversations financières.
- Un gouvernement déboussolé perd la main et n’a plus d’interlocuteurs.
- La confiance se délite face à la morale économique transgressée.
Nous ne vivons pas comme ceux d’en haut !
Ce constat fonde la colère de ceux qui éprouvent le décalage entre le ressenti et les faits statistiques qu’on leur assène: le sens de la taxation de l’essence et de la pression fiscale s’est perdu dans les brumes d’une citoyenneté qui part en lambeau.
Le pouvoir d’achat va progresser de 1,7 % au quatrième trimestre, mais une moyenne ne reflète pas la diversité des situations personnelles.
« Ce n’est pas parce que la France s’enrichit, que tout le monde s’enrichit. »[1]
Les effets cumulés des réformes de 2018 et 2019 conduisent à une perte de revenu disponible pour les 23% de Français les plus modestes.[2]
- Le beurre a augmenté de 10,9%,
- Les pommes de terre de 11,2%,
- Les légumes frais de 9%,
- Le gaz de 21%,
- Le fioul domestique de 30,4%,
- Le gazole de 22,6%,
- L’essence de 14,6%…
Le prix des lave-linge a baissé mais ils ne se mangent pas et ne permettent pas de rouler…
61% du budget des plus modestes est déjà pré-engagé (frais de logement, assurances, cantine, forfaits téléphoniques et audiovisuels…)
Depuis 2007, il n’y a pas eu de progression de pouvoir d’achat régulière chaque année. Il faudrait, dit-on, une progression du pouvoir d’achat de minimum 2% par an pour que le ressenti puisse…se sentir !
La fin de l’indexation des salaires sur les prix en 1983 aurait marqué une rupture dans l’évolution des revenus.
En 1975 un ouvrier rattraperait le niveau de vie d’un cadre supérieur en 36 ans.
Il lui faudra 166 années aujourd’hui !
C’est peut-être cela que l’on ressent chez les gilets jaunes ?
Ils ne donnent pas l’exemple !
Non seulement on n’y arrive pas mais « ils » vivent sur une autre planète.
Et dans l’entreprise ?
La direction :
Nous ouvrons aujourd’hui, la négociation annuelle obligatoire sur les salaires, [3]et la direction propose de maintenir le pouvoir d’achat en vous offrant une augmentation générale de 2%[4], compte tenu du fait que l’inflation a été relativement faible et que, par ailleurs, les mesures d’accompagnement des bas salaires et l’amélioration de la prise en charge de la protection sociale vous ont déjà fait bénéficier d’une progression de la masse salariale de 0,7%.
Ce qui vous fera au total, 2,7% de progression de la rémunération globale.
Les organisations syndicales :
Vous ne nous respectez pas !
La progression de la productivité a été de 8% et celle des dividendes distribués de 24% !
Combien gagnez-vous Monsieur le Président ?La direction :
…
cela n’a rien à voir avec l’ordre du jour de la NAO. Et de toute façon les hautes responsabilités doivent être rémunérées au prix du marché.
Sinon, les talents partent à l’étranger…
Les organisations syndicales :
Vos élus vous exposent leurs revendications sur les rémunérations :
- Un budget d’augmentation collective pour tous les salariés
- Un budget au mérite respectant tous les salariés, quel que soit leur niveau de salaire !
- Le respect des accords d’entreprise !
- Le respect de la convention collective !
- Le respect du Code du Travail (c’est quand même incroyable que l’on doive rappeler qu’il faut respecter la loi) !
- Ne plus hypothéquer les promotions au prétexte du maintien des salaires aux minima conventionnel !
- Une deuxième revue des salaires dans l’année.
En bref, vos élus revendiquent que la valeur ajoutée soit répartie plus équitablement entre tous les acteurs de l’entreprise.
“Le téléphone sonne” du vendredi 16 novembre. (France Inter).
- On a été abandonné par nos élus… Plus de médecins, plus de Poste, il faut faire 50kms pour aller à l’hôpital, plus de services publics… La colère couve depuis longtemps…
- On est abandonné, je n’ai plus envie de payer des impôts.
- Combien va-t-il rester sur un smic avec toutes ces augmentations ?
- Et l’abandon des petites lignes de chemin de fer ?
- Les ARS (agences régionales de santé) organisent le territoire en obligeant les gens à prendre la voiture !
- On priorise la grande vitesse.
- A Périgueux on conserve un aéroport pour 500 personnes par an…
- Et on a supprimé l’impôt sur les grandes fortunes…
Détour au Japon :
« Nous avons trahi la confiance de nos clients »
Carlos Ghosn va-t-il présenter des excuses ? comme l’avait fait il y a un an son lieutenant, le directeur général de Nissan, Hiroto Sakawa ?
Philippe Escande[5]dans son brillant billet sur, l’art de présenter des excuses « à la japonaise », nous rappelle les cas, trop peu connus, d’entreprises japonaises qui ont triché sur les règles du jeu moral en vigueur et dont les dirigeants ont été punis après s’être excusés :
- Olympus = 1 milliard d’euros de fraude comptable.
- Toshiba = fausses déclarations comptables.
- Nissan = défaut de certification des véhicules.
- Kobe Steel, Mitsubishi, Kawasaki…
- Et… peut-être encore plus grave, le fabricant d’amortisseurs de séisme, KYB.
Philippe Escande pointe trois défauts qui engendrent la transgression morale :
- La culture du secret
- Le respect absolu de la hiérarchie
- La gouvernance sans contre-pouvoir
Et si reconnaître les ressentis comme des faits objectifs était un préalable absolu à la résolution des conflits ?
Il y a deux choses inadmissibles sur la terre : la mort et les impôts. Mais j’aurais dû citer en premier les impôts,
aurait dit Sacha Guitry,[6]
Et si l’ouverture d’un dialogue avec les relais d’opinion et les corps intermédiaires au bon moment, c’est-à-dire avant les décisions budgétaires, s’avérait obligatoire ?
Plutôt que de demander des rapports d’experts et de s’en servir comme des armes absolues qui deviennent ainsi des armes fatales…
Et surtout, si avant chaque décision on se souvenait du précepte d’Antoine Riboud, créateur du groupe Danone:
Avant chaque décision on doit se poser deux questions, est-ce bon économiquement? est-ce bon socialement?
Yves HALIFA
23 novembre 2018
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