La confiance et le dialogue
Le grand débat est terminé. La restitution a commencé. Et la confiance n’est pas revenue.
Vous faites semblant de nous écouter et nous,
on fait semblant de vous comprendre ![1]
Le dialogue social national est devenu une priorité pendant trois mois.
Le dialogue social a du mal à exister dans l’entreprise.
Les patrons de PME considèrent au mieux qu’il s’agit d’une perte de temps, au pire, que le dialogue direct entre salariés et employeur ne nécessite pas de courroies de transmission et que les syndicats sont inutiles, voire toxiques.
Dans les grandes entreprises, on privilégie le dialogue social formel au sein des lieux réservés à cet effet avec des syndicalistes dits représentatifs.
On rechigne à créer un véritable dialogue social informel de qualité en confiant ce rôle aux managers de proximité confinés dans leur rôle de transmission des objectifs et de gardiens des process.
Au niveau de l’État :
Après avoir tenté de les court-circuiter, en partant du principe qu’ils étaient non représentatifs et qu’ils risquaient de freiner les réformes, le Président de la république les revalorise en sélectionnant les interlocuteurs dignes de débattre avec lui : il veut passer des partenaires subis aux partenaires choisis.
Dans les grandes entreprises
Pendant que Carlos Gohsn continue ses vacances forcées au Japon, un autre patron de l’automobile, Carlos Tavarès, président du directoire de PSA, donne des leçons de management.[2]
Il valorise le travail d’équipe et minimise le rôle du leader.
Le temps des one-man-shows est révolu.
Nous ne sommes pas dans une crise du capitalisme mais dans une crise du leadership.
Les membres de mon équipe ne doivent pas avoir peur de s’opposer à moi.
Je tâche de me taire pendant les présentations en réunion. C’est dur mais j’ai appris à me soigner.
A la fin, je reformule et je tranche avec ma propre pondération, forcément discutable.
Il m’arrive assez souvent de changer d’avis en écoutant les arguments mis sur la table. Et là je me dis que j’ai bien fait de me taire.
Il privilégie le questionnement aux présentations Power-point.
On me donne 1000 lignes de PPT par semaine à, lire, seuls 10% valent la peine d’être lus.
L’écoute active, c’est très inconfortable.
Surtout que quand vous êtes chef, vous avez en général atteint un certain âge, et vous avez l’impression de savoir des choses.
Il faut savoir parler de ce qui fâche
Je suis leur chef pas leur copain.
Avoir des collaborateurs qui acceptent d’être critiqués sans en prendre ombrage n’est pas facile. Il faut bien qu’il y ait une personne nommée dans le groupe pour bousculer les autres sur les sujets où on a été mauvais…
Le respect est compatible avec les décisions de rupture.
Si c’était moi, comment j’aurais voulu être traité ?
Tout le monde est pénalisé à chaque fois que quelqu’un placé à un poste clef qui ne produit pas les résultats escomptés. La première règle, c’est de gérer la sortie avec beaucoup de respect.
Il relativise les enjeux.
A la fin du mois je paie les salaires en euros.
Nous voyons monter les critères de responsabilités sociale et sociétale de l’entreprise, les questions de sécurité, de diversité, les différents labels… Attention à ne pas se tromper sur l’essentiel.
Et les gens, pendant ce temps là ?
Après s’être parlés sur les ronds-points, ils se sont dissous; pour certains dans la violence sans lendemain constructif, pour d’autres dans le repli familial, pour beaucoup dans du travail associatif et, peu d’entre eux, dans le combat militant des élections européennes.
Que nous enseigne l’histoire et la littérature ?
Une leçon simple ; quand la confiance ne revient pas, la croyance pure prend sa place et fait le lit des dictatures.
Quand la confiance a disparu, le besoin de sens, de signification, de combat collectif s’accroche là il peut, il s’accroche aux images. Et ceux qui produisent ces images contrôlent ainsi les foules. La raison se dissout dans l’émotion collective.
Je m’appelle Chance, le jardinier.
Un romancier américain, Jerzy Kosinski[3], a illusté ce phénomène dans les années 1970, bien avant l’apparition des présidents Ronald Reagan, Donald Trump, ou Jair Bolsonaro.
Il met en scène un homme de trente ans, brusquement sorti de la maison et du jardin où il avait été reclus toute sa vie ; totalement illettré, bien habillé, sans papiers d’identité, portant beau, hâlé pendant une vie de jardinier, et ayant tout appris de la société en regardant exclusivement la télévision.
Il est donc très vite confronté à une socialisation et coup de chance pour lui, sans culture ni références sociales il s’appuie sur la crédulité des gens rencontrés, alors qu’il est vide, vide de pensées, d’opinions, de futur.
- Puis-je vous demander votre nom ?
Chance se sentait mal à l’aise. Il savait que le nom d’un homme a un rapport étroit avec sa vie.
- Je m’appelle Chance, le jardinier.
— Ah ! Chauncey Gardiner… répond son interlocuteur richissime milliardaire influent à la Maison blanche.
Quand les autres s’adressent à vous et vous voient, on est en sécurité. Quoique l’on fasse est alors interprété par les autres de la même façon que l’on interpréterait n’importe lequel de leurs actes. Ils ne peuvent jamais en savoir plus sur vous que l’on en sait sur eux, nous informe l’auteur, Jerzy Kosinski.
A nouveau confronté aux gens extérieurs à son jardin, cette fois-ci à l’épouse du milliardaire, notre ami Mr Chance s’appuie sur le monde virtuel dans lequel il a vécu depuis toujours, la télévision :
Pensant qu’il lui fallait montrer un vif intérêt aux propos qu’elle tenait, Chance eut recours à un procédé qu’il avait remarqué à la télévision et répéta une partie des phrases qu’elle prononçait. Ainsi il l’encourageait à continuer et à entrer dans les détails. Chaque fois que Chance répétait ses paroles, elle lui paraissait de plus en plus sûre d’elle et son visage s’éclairait.
Après avoir un instant hésité sur la conduite à tenir, Chance choisit l’émission de télévision où le jeune homme d’affaires dîne fréquemment avec son patron et la fille de ce dernier.
- Le jardin que j’ai quitté était comme ça, et je sais que je ne trouverai jamais rien d’aussi merveilleux. Tout ce qui y poussait venait de moi : je semais les graines, je les arrosais, je les regardais grandir/ Mais maintenant c’est fini, et ce qui reste, c’est la chambre là-haut. Et il désigna le plafond.
-
Vous êtes donc jardinier ? N’est-ce pas le parfait portrait du véritable homme d’affaires ? Un homme qui prend un sol rocailleux et le rend fertile par le travail de ses seules mains, qui l’arrose de la sueur de son front, et crée ainsi un endroit précieux pour sa famille et pour la société. Oui, Chauncey, quelle excellente métaphore !
Chance mâchait lentement, sans toucher au vin. A la télévision, ceux qui en buvaient se retrouvaient dans un état qu’ils ne pouvaient contrôler.
-
Vous savez, il y a quelque chose en vous qui me plaît…Vous êtes direct : vous comprenez les choses très vite et vous les exprimez simplement.
Puis vint l’entretien avec le président des États-Unis :
Se souvenant qu’au cours de ses conférences de presse, le Président regardait toujours directement son public, Chance regarda le Président droit dans les yeux.
Chance ne comprenait presque rien de ce qui se disait, bien qu’à plusieurs reprises ils se fussent tournés dans sa direction comme pour l’inviter à participer au débat.
- Et vous, Mr Gardiner, que pensez-vous du mauvais climat à la Bourse ?
- Dans un jardin, il y a une saison pour la pousse des plantes. Il y a le printemps et l’été, mais il y a aussi l’automne et l’hiver. Et puis, le printemps et l’été reviennent. Tant que les racines n’ont pas été coupées, tout est bien, et tout sera bien.
- Mr Gardiner, dit le Président, je dois avouer que ce que vous venez de dire est l’une des déclarations les plus réconfortantes et les plus optimistes qu’il m’ait été donné d’entendre depuis bien, bien longtemps.
- Nombre d’entre nous oublient que la nature et la société ne font qu’un !
Un peu plus tard, le riche milliardaire qui hébergeait Mr Chance intervint une fois le Président parti:
- Au fait, Chauncey, étiez-vous d’accord avec ma position sur le crédit et les restrictions monétaires telle que l’ai exposée au Président ?
- Je ne suis pas sûr d’avoir compris. C’est pour ça que je n’ai rien dit.
- Vous avez dit beaucoup, mon cher Chauncey, beaucoup. Et c’est précisément ce que vous avez dit, et la façon dont vous l’avez dit, qui a tellement plu au Président.
Conclusion
Quand la confiance disparaît la crédulité apparaît.
[1]Pancarte brandie par des manifestants en Algérie
[2]Propos recueillis par David Barroux, Julien Dupont-Calbo, Anne Feitz et Emmanuel Grasland dans Les Échos, vendredi 29/samedi 30 mars 2019.
[3]Being there, traduit par, Bienvenue Mr Chance, de Jerzy Kosinski, éditions métropolis. ISBN 2-88340-130-6
Yves HALIFA
14 avril 2019
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