Back to USSR?
les inégalités sont de retour et la tentation de la violence prime sur la négociation.
Pourquoi?
Les foules s’assemblent et s’expriment. Les syndicats menacent et bloquent, les partis implosent en essayant d’expliquer ce qui ne va pas.
Les références au passé s’étalent.
Il faut savoir terminer une grève, dit l’un.
Je représente les insoumissions qui courent le pays dit l’autre.
La réforme ! crient certains. Vos grèves sont politiques, disent-ils; non elles reflètent les difficultés de la vie quotidienne déclarent les autres.
Indignation, révolte, colère, révolution ?
Un fort désir de rupture traverse les sociétés occidentales.
La négociation est-elle le levier idéal pour décrisper les tensions ?
La négociation face aux vieux modes de résolution des conflits
Les sociétés hésitent, les forces sociales se crispent, des tensions de plus en plus fortes sont à l’oeuvre autour du choix des systèmes de régulation.
- « Renverser la table » en bousculant les élites par des luttes collectives convergentes.
- Recourir à « l’homme providentiel » nouveau, qu’on « n’a jamais encore essayé ».
- Se replier sur sa famille, sa tribu, son association, pour « changer les choses » au niveau local.
- Jouer le jeu de la rationalité en laissant plus d’espace à un « dialogue raisonné et responsable », par plus de négociation.
La négociation se cogne à la réalité des inégalités.
Négocier la disparition des inégalités passe par la rénovation des modes de négociation.
Les inégalités sont devenues d’autant plus insupportables aux yeux des citoyens que leur niveau d’éducation et d’information s’est amélioré.
Ceux qui proposent de les réduire progressivement ont perdu leur crédibilité car ils n’ont pas fait preuve d’exemplarité.
Pire, ils ont voulu rassurer, et ils sont condamnés aujourd’hui à inquiéter.
Que proposent-ils ?
Le dialogue et la négociation.
Entre qui et qui? les mêmes dit-on, qui ne représentent plus que leurs intérêts stratégiques personnels de pouvoir avec l’arrogance de vouloir représenter le peuple ou les salariés.
Les conditions d’un vrai dialogue, c’est quoi ?
Pour que ceux qui se sentent victimes d’inégalités acceptent de négocier sur des bases rationnelles il faut que cinq conditions soient remplies :
- Il y a des choses à protéger que chacun doit clairement exprimer et il y a plus à gagner qu’à perdre.
- On est, des deux côtés, sur des bases de rapport de forces équivalentes où rien n’est joué d’avance.
- On s’est mis d’accord pour un constat partagé de la réalité.
- On a d’abord négocié des comportements et des règles du jeu acceptables.
- On s’est engagé à informer au cours des débats les parties non présentes à la table des négociations.
Les gens n’aiment pas négocier: on défend sans innover.
Pendant que le monde se mondialise chacun rétrécit.
Au niveau international on se réfère au retour de la guerre froide.
Au niveau national on exalte les valeurs identitaires.
Au niveau politique et social on protège ce que l’on considère comme des valeurs intangibles.
Les références à la lutte des classes, la désignation de l’ennemi de classe, la violence verbale et physique sont de retour.
Le dialogue social est invoqué comme un talisman protecteur de négociations toujours plus raisonnées et, pendant ce temps on se traite de terroristes, de saboteurs, de nantis, de privilégiés et on recourt de plus en plus souvent aux préalables, ultimatums, blocus, grèves et dénonciations publiques.
Au lieu d’innover dans la relation on se protège et on exclue.
Négocier c’est innover
Et pourtant, le chantier de la négociation pour réduire les inégalités est ouvert.
Manuel Valls à récemment déclaré à Evry que le revenu universel est une idée qu’il faut mettre dans le débat public.
Revenu universel ?
C’est un revenu garanti à tous sans conditions ni contreparties en remplacement des différentes aides sociales existantes.
Le revenu universel, c’est partir du principe que chacun doit avoir les mêmes chances dans sa vie, c’est partir du principe que tout le monde ne se réalise pas seulement dans le travail marchand, que le travail domestique ou associatif doit être rémunéré.
Il est à l’étude ou expérimenté au Canada, en Finlande, en Californie[1]…
Les Suisses l’ont rejeté, dimanche dernier.
la création d’un revenu de base pour tous était proposé à la votation: 76,9 % des électeurs ont dit non.
Pascal Sciarini, professeur de sciences politiques à l’Université de Genève nous apprend que cette idée novatrice va bien au-delà d’un simple changement de financement des prestations sociales. Elle proposait de réviser notre façon de concevoir la place de l’individu dans la société.
« Nous vivons dans des sociétés où la valeur travail est encore très importante, où les individus se réalisent et trouvent leur place dans le travail qui les occupe et qui les rémunère. Cette proposition changeait complètement cette vision puisque chaque individu allait recevoir une même somme de base indépendamment de son travail : 2.500 francs suisses (FS) par mois (2.250 euros) pour un adulte et 625 FS pour un enfant.
On n’a plus vraiment parlé de ce changement de paradigme et de la nécessité à terme de sortir de cette conception d’une société basée sur le travail – parce que le taux de chômage structurel va s’imposer dans nos sociétés mais aussi parce qu’il existe d’autres modes de vie souhaités qui ne passent pas par le travail.”
Négocier et innover?
que faire?
- – Pourquoi les syndicats sont-ils partagés entre ceux qui luttent et ceux qui négocient?
Parce qu’on a les syndicats qu’on mérite et qu’on ne saisit pas au bon moment les idées nouvelles proposées par ceux qu’on a figé dans une étiquette idéologique. - – Est- ce que négocier c’est se compromettre?
Oui, et il faut l’assumer en négociant avec ses mandants autant qu’avec ses adversaires. - – Est-ce que ce qu’on obtient par la lutte est supérieur et plus durable que ce que l’on obtient par la négociation?
Non, mais les préjugés et les croyances sont plus forts que la réalité. - – Peut-on agir sur les deux leviers en même temps, négocier et contraindre ?
Non, mais on fait semblant de croire et de faire croire que seule la force est comprise. - – La violence va t-elle de pair avec la mise en place de rapports de forces?
Non, parler sereinement des divergences et exprimer ce que l’on n’acceptera jamais ne nécessite pas la mise en place d’actes violents. - – Peut-on négocier avec des personnes qui ont tout à perdre?
Non, et il faut arrêter de dire qu’il faut expliquer quand on lance une réforme, il faut dès l’amont intégrer des éléments forts, simples et compréhensibles par tous pour qu’une réforme soit acceptable. - – Comment expliquer à des personnes qui ne veulent pas que ça change?
Ne rien leur expliquer, leur montrer, par des expérimentations, en les rassurant.Un dernier mot.
Peut-on rassembler un pays quand les inégalités sont trop criantes?
Non, il est impossible de nos jours, de dire, dans un premier temps faites moi confiance, je rééquilibre les comptes et dans un second temps on redistribuera la richesse produite.
Valoriser la négociation et le dialogue social comme mode privilégié de la résolution des conflits passe d’abord par la lutte pour la réduction des inégalités.
Et ceux qui prônent le dialogue doivent montrer l’exemple.
Yves HALIFA
8 juin 2016
[1] Basic Income Earth Network (BIEN) a inspiré le RMI en 1988 puis le RSA en 2009.
Une enquête simulation va être lancée par Sam Altman, du nom de Basic Income pour “voir ce que les gens vont faire de leur liberté “. 10 millions de dollars sont budgétés pour cette étude .
“Est-ce que les gens restent assis devant leurs jeux video ou créent-ils de nouvelles choses? Sont-ils heureux? Épanouis? Apportent-ils globalement plus de valeur à l’économie qu’ils n’en reçoivent”?
Les bénéficiaires seront libres de travailler, de devenir bénévoles, d’entamer des études, d’aller s’installer dans un pays étranger.
Propos recueillis et rédigés par
Corinne Lesnes, du journal Le Monde.
Laisser un commentaire