Comment désamorcer une crise,
dans un pays…
dans une entreprise…
dans une famille…
La présidence française et son gouvernement sont aux prises avec une crise profonde de la société, du consentement à l’impôt, du sentiment de déclassement, d’une perception d’une profonde injustice et du délitement de la confiance envers l’État.
Pourquoi est-ce une crise?
Il existe cinq niveaux d’intensité dans une gouvernance difficile:
– le problème à résoudre qui se caractérise par l’emploi d’un moyen de résolution simple qu’on appelle la négociation.
– le litige, qui se caractérise par le recours au droit d’une ou de plusieurs parties et qui se résoudra peut-être par un arbitrage gagnant-perdant devant un tribunal sans avoir résolu le problème de fond.
– le conflit qui se caractérise par le recours à la force d’une des parties et conduit à une potentielle dynamique d’escalade.
– la crise qui cristallise 3 facteurs détonants; les émotions à fleur de peau qui empêchent d’être audible à tout raisonnement logique et factuel; l’absence d’interlocuteurs représentatifs qui empêche le dialogue; la multiplicité des acteurs en jeu qui complexifie les intérêts à prendre en compte… On peut y ajouter le bruit, la fureur et la rumeur portés par les médias et les réseaux sociaux.
On peut passer d’une crise à un problème à résoudre et d’un litige à un problème à résoudre mais passer d’une crise à une négociation raisonnée reste impossible.
Pourquoi? Parce que les rythmes auxquels sont soumis les acteurs sont différents.
Les uns veulent de l’immédiateté et les autres demandent du temps.
A cet égard la parole politique est dévaluée depuis longtemps:
Le “je vous ai compris” de Charles De Gaulle à Alger en 1958 est resté comme une immense tromperie dans la mémoire collective.
https://www.youtube.com/watch?v=vzm0APfrflk
Cécile Cornudet, du journal Les Échos, résume bien la situation.
Oui, le Président a compris et le dit:
« Nos concitoyens pensent que ce sont toujours les mêmes qui font des efforts et ils ont raison », « On les a conduits collectivement à faire des choix (habitation, diesel) et on leur présente la facture », « Il faut une conversion mentale des décideurs »…
Mais, écrit-elle, certains proches de Macron voulaient surprendre par une initiative politique : tout a été évoqué. Macron est resté sur le « en même temps ». Il a bougé, mais a-t-il bougé assez ?
Il existe donc un problème de temporalité. Combien j’aurai d’argent disponible en plus pour ma famille à la fin décembre?
Eric Hazan, auteur d’une Histoire de la Révolution française (éditions La fabrique), nous conte un événement survenu en 1789:
Au Faubourg Saint-Antoine, certains avaient entendu Réveillon, riche manufacturier de papier-peint, proposer de diminuer les salaires des ouvriers pour faire baisser les prix des produits et stimuler l’économie.
Ce Réveillon n’était pas un mauvais patron et il n’est pas sûr qu’il ait tenu ces propos, mais ils furent malencontreusement relayés par un certain Henriot, lui-même industriel…
Dans la nuit du 26 avril un cortège se mit en route vers la rive droite…la maison de Réveillon fut mise à sac…A la fin de la journée on comptait douze morts du côté des soldats et plus de trois cents du côté des émeutiers.
Malgré ce contexte, les élections aux États généraux eurent lieu et l’été 1789 apparaît bien comme celui où tout bascule, du juridisme dans l’illégalité, du formalisme de l’étiquette dans l’improvisation de la rue, de la révolte vers la révolution.
Le 5 mai, le Roi s’avança vers les 1 200 membres de l’assemblée ( plus les 2000 spectateurs massés dans les galeries ) réunie dans la salle de Menus-Plaisirs et annonça, entre autres fortes paroles:
– Les esprits sont dans l’agitation; mais une assemblée des représentants de la nation n’écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de la prudence…Les événements qui se succèdent sont connus:
Le 17 juin, le Tiers état se déclara Assemblée nationale et décréta que tous les impôts existants étaient illégaux. L’Assemblée fût dissoute.
Puis surgit le 13 juillet!
C’est Eric Vuillard, dans son roman choral, 14 JUILLET (édité chez Babel) qui décrit:
Le roi part à la chasse le matin pendant que les bourgeois se réunissent, inquiets, à l’Hôtel de ville de Paris. A vingt kilomètres de Paris on vit dans un autre monde; la Reine est au Trianon, elle cueille des capucines.
La nuit du treize juillet fût longue… Personne ne put dormir… Il fallait quitter sa mansarde, on erra sur le pavé, entre les galets des bords de Seine, au milieu de rien… Beaucoup de parisiens n’ont pas de quoi acheter du pain… Mais le pays n’est pas pauvre… les riches paient peu d’impôts; l’Etat est ruiné mais les rentiers ne sont pas à plaindre. Ce sont les salariés qui triment pour rien, les artisans, les petits commerçants, les manœuvres. Enfin il y a les chômeurs, tout un peuple inutile, affamé. C’est que, par un traité de commerce, la France est ouverte aux marchandises anglaises…
La canaille est dans la rue… Désormais la charité ne suffira plus.
La foule, armée de bric et de broc se rend au Champ de Mars et le gouverneur ouvre les grilles des Invalides: on ne tient pas une foule en laisse, une foule ne parlemente pas, ne discute pas, n’aime pas attendre.
Un plus tard dans la matinée, la foule, deux cent mille personnes (?) entoure la Bastille.Qu’est-ce que c’est qu’une foule?
Il y a Adam né en Côte d’Or, il y a Aumassip, marchand de bestiaux, né à Saint-Front-de-Périgueux, il y a Béchamp, cordonnier, Bersan, ouvrier du tabac, Berthelliez, journalier, venu du Jura, Bezou, dont on ne sait rien…
Éric Vuillard nous rend cette foule anonyme des livres d’histoire, tangible, réelle, elle prend corps et n’a pas encore de chefs, de représentants.
Ni la force, ni la ruse, ni la négociation n’en viendront à bout.
Elle ne se rendra qu’aux sanguinaires dictateurs du Comité de salut public de la Terreur, puis à l’autocrate Bonaparte.
Inutile ici de dire ce qui fût tenté pour éviter la crise. Tout le monde connaît la suite.
Et aujourd’hui?
Comment prévenir puis gérer la crise?
La verticale du pouvoir a rencontré ses limites.
La démocratie représentative est gangrenée par la méfiance.
Heureusement ill reste l’horizontalité du pouvoir, il suffit de l’utiliser.
Riposter, céder, rompre sont les trois mauvais réflexes culturels qui sont l’apanage du gouvernant.
Alors qu’il faudrait accompagner.
Une décision doit être préparée démocratiquement pour se rendre acceptable par ceux qui vont en être l’objet.: les sujets.
Il existe des relais de préparation des décisions, hauts fonctionnaires, syndicats, associations, élus locaux qui sont peu écoutés.
On préfère des instituts de sondage, des politologues, des “visiteurs du soir” et des communicants. On prépare des “éléments de langage”, on veut conserver la cohérence de son cap et ne pas dévier de ses objectifs.
Ainsi, on n’écoute plus, on ne partage plus.
Que reste-t-il quand on ne peut, ni utiliser la force, ni recourir à la rationalité, ni négocier?
La qualité de la relation.
L’entretenir reste un grand débat qui passe par des diagnostics réellement partagés.
Désamorcer la crise? amorcer la relation!
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