Voyageurs en rade en France…foules en colère dans les rues, en Irak, en Éthiopie, au Chili, en Bolivie…Remise en cause des compromis historiques au Liban.
Que se passe-t-il derrière les revendications ? quels sont les motifs des personnes révoltés ?
Les analystes autorisés développent leurs thèses, probablement toutes légitimes : résistance au changement, peur du déclassement, incertitudes face à l’avenir, pertes de repères, refus d’abandonner les conquêtes sociales historiques, les rentes de situation, révoltes devant les injustices sociales, la corruption des élites, l’absence de reconnaissance…
Mais, que dire de ceux qui allument le feu et déclenchent les explosions ?
Certains diront que ceux qui ont intérêt à la révolte peuvent instrumentaliser les colères… encore faut-il des personnes instrumentalisables !
Les facteurs déclenchant des révoltes, voire des révolutions, sont souvent dans l’entreprise, des erreurs de management ; dans les pays, des erreurs de gouvernance.
Les étincelles ?
- En France, la taxation du gazole
- Au Chili ? l’augmentation du prix du ticket de métro.
- En Bolivie ? l’annonce de la fin du carburant subventionné.
- En 1789 ? le remplacement des cocardes tricolores par des cocardes blanche ou noire.
- A la SNCF ? l’annonce d’une réorganisation du travail dans un atelier avec comme conséquences, la suppression de 12 jours de congés…
Les problèmes non résolus ?
Les inégalités sociales.
Les sources de l’explosion?
Très souvent une crise commence par le délitement de la confiance qui part du décalage entre les paroles démocratiques et consensuelles, rassurantes et lénifiantes (ne vous inquiétez pas, nous n’avons pas constaté de toxicité aiguë dans les émanations de l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen) et la réalité perçue par les citoyens (nous avons vu des fumées noires et grasses qui nous asphyxiaient et nous faisaient tousser ; ils nous disent de rester confinés chez nous…).
Octobre 1789
Crise économique, crise des subsistances sur fond de crise politique, les conditions étaient réunies pour une explosion.
Comme il arrive souvent ce fut un incident mineur qui servit d’étincelle. Le 1eroctobre, un grand repas était donné à Versailles dans la salle de l’opéra…Le roi et la reine portant le dauphin dans les bras vinrent saluer les convives qui, échauffés par le vin et la musique, arrachèrent leurs cocardes tricolores pour les remplacer par des cocardes blanche ou noire, couleur de la reine.
Le temps que cette information diffuse, le 5 octobre, des femmes en colère, n’ayant pas été reçues à l’Hôtel de ville de Paris où elles réclamaient du pain, partent en cortège à Versailles après avoir confisqué canons, piques et fusils…On connaît la suite : le roi et la reine seront forcés d’abandonner Versailles et de venir à Paris et ce sera le début de la véritable Révolution.
Octobre 2019
Les cheminots du technicentre SNCF de Châtillon (Hauts-de-Seine), chargés de la maintenance des trains de l’axe Atlantique (les lignes Paris-Nantes, Paris-Rennes et Paris-Bordeaux), ont cessé le travail le 21 octobre.
Pourquoi?
Contacté par Libération, Karim Dabaj, délégué SUD rail à Paris Nord explique que, lorsque «la direction a dénoncé un accord local qui attribuait 12 jours de repos, c’est parti en débrayage».
Que fait la direction?
la directrice de TGV Atlantique, Gwendoline Cazenave, explique : «Depuis mardi, nous discutons, nous négocions, nous travaillons sur les conditions de travail des agents, et malgré cela le travail n’a pas repris. Aujourd’hui, la revendication des agents en grève, c’est le paiement des jours de grève. Et ça, c’est absolument impossible. On continue à travailler.»
La SNCF explique que les cheminots réclament désormais «le paiement des jours de grève, l’augmentation des salaires, et une prime».
«Le point de blocage, résume le syndicaliste,c’est surtout que les agents ont dit à la direction “c’est vous qui avez dénoncé cet accord d’entreprise donc c’est vous les responsables du fait qu’on arrête de travailler. Et c’est vous qui allez payer”.»
Un nouveau patron arrive?
Didier Mathis, le secrétaire général de l’Unsa ferroviaire, la deuxième force syndicale de la SNCF : «Sa priorité sera d’apaiser le climat social tendu, nous attendons de lui qu’il mette de l’huile dans les rouages.»
encore une histoire d’huile…
novembre 2019
Conversations entre adultes
L’actualité cinématographique nous offre un excellent film (Adults in the room) tiré d’un excellent livre dont j’ai parlé dans un précédent article lors de sa sortie : https://yveshalifa.com/une-negociation-thriller/
Yannis Varoufakis, ministre des finances du gouvernement grec à cette époque, transgresse les règles en enregistrant les réunions de l’Euro-groupe à l’insu des participants.
Il veut ainsi montrer, entre autres, à son Premier ministre, Alexandre Tsipras, le décalage de vocabulaire entre ce qui se dit au sein de ces réunions et ce qui s’énonce à la sortie devant les citoyens :
- violence des propos,
- humiliation des personnes,
- engagements pris face dans le OFF ;
- compromis fuyant, propos lénifiant, phrases rassurantes dans le ON.
C’est ainsi que, livre comme film, montrent la mise à l’écart de la démocratie et des citoyens dans la fabrique des décisions politiques.
Besoin de comprendre?
Écoutons Bertrand Badie (spécialiste des relations internationales):
Il prône dans plusieurs ouvrages, la réactivation de la « puissance d’imagination et d’écoute » de la diplomatie. Selon lui, la diplomatie est là « pour faire vivre la négociation qu’on voit s’atrophier au fil du temps ».
Dans La diplomatie de connivence (2011):
Il décrit La « diplomatie de clubs » exercée à travers les directoires que sont les G7, 8 ou 20, sous couvert d’efficacité ou de représentativité démocratique, qui crée un système international à plusieurs vitesses reflétant la prétention des « grands » à piloter le monde. Ce système produit ainsi le rejet des opinions publiques qui ne se sentent pas représentées dans ces instances à caractère oligarchique.
Dans Le diplomate et l’intrus (2008), il s’intéresse à l’irruption de nouveaux demandeurs, de nouveaux acteurs qui exigent de participer aux débats (concernant les inégalités et l’environnement en particulier…). Ils viennent ainsi troubler la grammaire des relations internationales classiquement définies comme le jeu du diplomate et du soldat, comme le montrait Raymond Aron.
Dans Le temps des humiliés (2014), il développe une perspective historique et sociologique sur la banalisation de l’humiliation dans les négociations internationales.
Il établit en particulier une typologie des formes d’humiliation :
- rabaissement ;
- déni d’égalité ;
- relégation ;
- stigmatisation,
démontrant que ces dernières produisent des types spécifiques de diplomatie (revancharde; souverainiste ; contestataire ; déviante) qui pèsent sur la qualité de la coopération.
En conclusion, que fait-on pour remédier à tous ces problèmes?
Et bien en France on a décidé de reformater nos élites. Dans un article du Monde des 27 et 28 octobre 2019, Benoit Floc’h écrit : A l’ENA, dernière réforme avant liquidation, article dans lequel il cite son directeur actuel, Patrick Gérard :
les élèves que nous accueillons sont plus armés sur le plan académique et intellectuel qu’autrefois, il nous faut donc les rendre plus opérationnels……Ils devront également apprendre à monter un projet et le décliner jusqu’au terrain,
en tenant compte de la réaction des gens…
Il cite Daniel Keller, président de l’association des anciens élèves :
aujourd’hui les énarques sont très bons dans la rédaction des normes mais ils ne sont pas toujours de bons décideurs…
Rééduquer les pyromanes serait donc la bonne méthode?
Ne savent-ils pas dire face à une demande de paiement des jours de grève?
Vous avez déclenché la grève pour nous signifier que nous n’avions pas perçu votre sentiment d’injustice face à une décision de réorganisation non négociée.
Nous avons pris acte de l’erreur de décision unilatérale et aujourd’hui nous devons revoir les conditions de notre dialogue social.
Pourrions-nous d’abord analyser ce qui s’est passé et ensuite réparer les dégâts causés par notre conflit?
Yves HALIFA
1er novembre 2019
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