Le dialogue social est une priorité affichée par le Président de la République depuis le début de son mandat. Que se passe-t-il dans les faits aujourd’hui ? La gestion du conflit dans la compagnie Air France montre tous les signes d’un dialogue social en panne.
Serait-ce :
- Une question de méthodes ?
- Une question de personnes ?
- Une question de tabous ?
L’ouvrage pratique sur le dialogue social, disponible depuis le 18 septembre, tente d’apporter des réponses aux différents acteurs. Au regard de l’actualité, les acteurs de ce conflit pourrait trouver quelques outils, quelques clés, pour dégripper le dialogue social et lui rendre ses lettres de noblesse.
Un diagnostic de ce qu’il ne faut pas faire : méthodes et personnes
Du côté patronal :
- mise en cause de la compétence économique des délégués syndicaux,
- pratique de la langue de bois,
- instrumentalisation du public,
- passage en force,
- dissimulation.
En juin dernier, Alexandre de Juniac, le Président d’Air France-KLM, avait dévoilé quelques pistes de développement concernant un nouveau plan de réformes pour améliorer la productivité de la compagnie en prenant en compte la concurrence du trafic aérien à bas coût.
La filiale low-cost d’Air France, Transavia, devait recevoir 7 Boeing 737 supplémentaires afin de passer à 24 avions (été 2015), puis à 29 (en 2016). Il s’agissait de créer un pôle unique de pilotes pour les trois marques du groupe.
“L’ultime proposition d’Alexandre de Juniac aux pilotes” :
“La grève nous coûte 15 à 20 millions d’euros par jour”. Culpabilisation ?
“Cette grève qui, comme à la grande majorité des Français, m’apparaît infondée”. Dialogue piégé ?
“Je prends leur avis, je négocie mais, in fine, c’est le management qui décide”. Dialogue social à la française ?
Du côté syndical :
- procès d’intention,
- amalgames,
- pressions,
- menaces,
- surenchère.
Les responsables du syndicat SNPL sont en colère. Ils estiment que la direction d’Air France a rompu le dialogue social et refusent à présent toute discussion sur l’avenir de la compagnie, et notamment sur celui du pôle court et moyen courrier.
Agacé d’avoir été mis devant le fait accompli, le syndicat de pilotes estime qu’il n’a pas d’autre choix que de déposer un préavis de grève reconductible :
“quand on veut discuter avec un syndicat, on ne commande pas sept avions sans lui demander son avis”
s’insurge Jean-Louis Barber, son Président. Une décision qui ne respecte pas l’accord signé en 2007 avec le SNPL, lors de la création de la compagnie, qui limitait le nombre d’avion à 14.
Les pilotes ont voté à 80% la reconduction de la grève pour une semaine de plus.
Ils réclament la création d’un contrat unique de pilotes aux conditions d’Air France. Guerre de positions ?
Ils redoutent des transferts d’activité, des délocalisations et du dumping social. Peurs irrationnelles ?
Du côté gouvernemental :
- disqualification du mouvement social,
- culpabilisation des grévistes,
- dévalorisation des organisations syndicales,
- dénigrement des personnes.
Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, avait appelé la semaine dernière les pilotes d’Air France à mettre fin à leur mouvement de grève, dans une interview sur Europe 1.
“Il faut qu’il y ait un compromis”, annonce le secrétaire d’État aux transports. Changement d’avis ?
Et pour mettre un peu plus de piment dans le dialogue social se met en place une stratégie de l’accusation qui ne sert qu’à envenimer la relation, avec une lettre ouverte des autres compagnies aériennes françaises :
“la profession de pilote que vous exercez exige rigueur, discipline et sang-froid… Elle n’autorise pas les comportements qui la dévaluent. Le jusqu’auboutisme apporte un discrédit profond et ravageur à la profession…”
Observe t-on un dialogue social de grande qualité ?
De la méfiance à la confiance
Pour la direction, Alexandre de Juniac avait pourtant assuré en juillet être à l’écoute de ses salariés pour recevoir toute idée permettant d’améliorer la productivité.
Pour les syndicats, représenté par Antony Poilliot :
“c’est un faux dialogue social”, et “la direction n’a pas écouté nos revendications”.
Nous assistons à une guerre de solutions, de positions. Contrat de travail unique d’un côté, face à une nouvelle structure à bas coûts.
Plutôt que de s’accuser, de rejeter les propositions de l’autre partie, de s’envoyer des invectives par voie de presse, de faire des contre-propositions, ne serait-il pas possible de reconstruire un véritable périmètre de négociation ?
Exemple : comment trouver les solutions qui puissent permettre à Air France de trouver sa part de croissance dans le marché du low-cost européen, sans remettre en cause les conditions de travail de ses pilotes ?
Du combat au débat
Indépendamment de ce conflit spécifique, on constate qu’il existe actuellement une tendance à la radicalisation des conflits sociaux.
Pour les uns, le dialogue social coûte trop cher en temps et en moyen pour les résultats qu’il permet ; et se passer des relais syndicaux paraît logique.
Pour les autres, le mépris et l’indifférence de leurs partenaires les conduisent à chercher des moyens de pression externes aux schémas habituels de négociation.
Une concordance de bruits met en question les volontés affirmées de développer un dialogue social de qualité : le gouvernement a annoncé un prochain “assouplissement” des seuils sociaux dans les entreprises.
Précisant qu’à défaut d’accord entre organisations patronales et syndicales, un projet de loi serait présenté en ce sens. Pendant ce temps, Pierre Gattaz pousse aux réformes de combat.
Manuel Valls, le Premier Ministre avertit les syndicats qu’un “refus prolongé” du dialogue serait une “posture incompréhensible“.
Ensuite les tabous
L’histoire sociale de la France a pourtant été riche d’idées innovantes pour un dialogue social vivant et efficace. Où sont passés les conseils de Michel Rocard, qu’il prodiguait sur la réforme des retraites, quand il était Premier Ministre, et qu’il n’a pas eu le temps de mettre en oeuvre ?
Le diagnostic partagé
“si les partenaires sociaux s’accordent déjà sur le diagnostic, la moitié du chemin est accomplie…”
La gestion des tabous
“Je savais que la question du financement des retraites représentait un sujet effrayant…
Une fois le texte rédigé et vérifié par les experts, je l’ai soumis à chaque partenaire social pour qu’il soit épuré de toute charge symbolique…”La gestion du multilatéralisme
“Il s’agissait de rencontrer les syndicats en bilatéral pour éviter des phénomènes de concurrence entre eux…”
L’appropriation d’une réforme
“J’ai lancé ensuite la mission pour le dialogue sur les retraites dans toute la France, dans les régions et les entreprises pour multiplier les débats, pilotée par une personne d’un syndicat ni trop réformiste, ne trop tribunicien…”
La gestion du temps et le bon moment
“Je pensais qu’il fallait au moins deux ans pour que le corps social maîtrise les enjeux et fasse éclore des pistes de solution…
Après, seulement, il y aurait eu une négociation à trois, entre le patronat, les syndicats et l’État…”
“Pour tourner la page encore faut-il l’avoir lue.”
Desmond Tutu.
Lisons donc quelques pages de notre ouvrage avant de tourner la page du dialogue social crispé d’Air France.
Pour RECRÉÉR confiance et débats :
Reconnaître le tabou comme un tabou ;
Expliquer ce que l’on en comprend ;
Chercher les valeurs qui l’investissent ;
Rendre sa vérité à l’autre ;
Élargir le sujet à ses implications directes ;
Échanger un tabou contre un autre ;
Réunir autour d’un projet commun.
Un dernier mot :
Alexandre de Juniac a tenté le 22 septembre matin d’ouvrir le dialogue en suspendant son projet. Le soir même, après avoir entendu le refus syndical, il déclarait sur France 2, au journal de 20h, qu’il le retirerait la mort dans l’âme, si sa pédagogie ne produisait pas d’effet. Comment reculer sans perdre la face…
Parmi toutes les réformes à venir se profile la question d’un tabou, celui du travail le dimanche.
Que faudra-t-il faire pour ne pas voir exploser les parties en vol ! Créer les conditions préalables de la confiance mutuelle en intégrant les valeurs de chacune des parties sans se contenter de critères objectifs :
- se méfier du déni et de l’exagération,
- prendre en compte les enjeux identitaires,
- ne pas s’enfermer dans le tout ou rien.
Réfléchissons : à qui appartient donc une entreprise ?
À ses actionnaires ?
À ses salariés ?
Aux citoyens du pays où l’entreprise se trouve ?
Ou bien à tout le monde…
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