Un individu consacre aujourd’hui plus des deux tiers de son temps à négocier. La négociation est perçue comme difficile car elle implique l’incertitude. Les négociateurs sont souvent mal à l’aise devant l’inconnu, et recherchent de la sécurité.
Comment associer détermination et imagination, au sein de vos négociations actuelles ?
L’Ambassadeur de France, François Plaisant, dans l’ouvrage collectif Négociations d’hier, leçons pour aujourd‘hui, paru en juin 2014, conclut à partir de certaines négociations menées dans l’histoire de la diplomatie mondiale, à l’importance de la créativité.
Cet ouvrage, très riche et très complet, décrypte les différentes négociations, de la Rome Antique au XXIème siècle, de Talleyrand à Mahmoud Ahmadinejad, des Croisades au Darfour et de l’Édit de Nemours (1585) aux Accords d’Évian (1961-1962) et s’interroge sur les leçons à en tirer pour le futur :
- Comment construire une coalition ?
- Comment diviser une coalition adverse ?
- Comment négocier sans mandats ?
- Comment utiliser la médiation ?
- Comment négocier avec des loups ?
- Comment terminer une guerre ?
- Comment passer de la haine à la raison ?
Le travail effectué sous la direction d’Emmanuel Vivet s’inscrit dans une logique pédagogique, et souhaite exploiter les différentes leçons de l’Histoire au service de la théorie et de la pratique de la négociation. Un certain Christophe Colomb, qui déploie ferveur, pugnacité et créativité dans ses négociations avec les Grands du monde d’alors, est un des personnages étudiés. Nancy Caldwell1 s’est penchée sur la stratégie du navigateur et a intitulé sa contribution Negotiating Troubled Waters.
À l’image de l’aventure de Colomb, la réalisation de nos projets ne tiendrait-elle qu’à trois éléments ?
- Un désir intense,
- une volonté inébranlable,
- une stratégie robuste.
Christophe Colomb : Yes, we can
En 1485, Christophe Colomb tente de vendre l’idée de naviguer vers l’Ouest pour rejoindre les Indes. Le Roi Jean II du Portugal, sollicité, refuse. Colomb, partant du principe que la Terre est ronde, veut entreprendre de nouvelles découvertes. Jean II refuse l’entreprise de Colomb car il vient d’envoyer le navigateur Bartholomeu Dias2 pour chercher une route vers l’Inde en contournant la côte de l’Afrique. Le roi veut d’abord connaître le résultat de ce voyage avant d’en financer un autre.
Face à ce refus, Colomb est confronté à un dilemme de négociation très actuel :
“si je ne donne pas assez d’informations, je ne suis pas crédible, mais si j’en donne trop, l’acheteur peut s’approprier l’idée et la développer sans le vendeur.“
Très convaincant sur les critères objectifs et sur les intérêts, Colomb se révèle maladroit dans sa communication personnelle. Deux ans plus tard, Jean II accepte d’envoyer d’autres navigateurs pour une expédition vers l’Ouest.
La Terre n’est pas ronde pour tout le monde
Colomb décide alors d’abandonner ses négociations avec le Portugal pour se tourner vers un autre commanditaire potentiel, le royaume d’Espagne. Il réussit enfin à convaincre, mais pas le bon décisionnaire : un riche marchand, le duc de Medinaceli, accepte de financer son expédition. Mais la couronne possède l’exclusivité sur toutes tentatives d’explorations, et Medinaceli n’a pas le mandat. Introduit auprès de la Reine – le vrai décideur – celle-ci écarte Medinaceli du projet, tout en hésitant longtemps avant de passer à l’action.
Colomb, en parallèle, avait identifié une Meilleure Solution de Rechange si les négociations avec Ferdinand et Isabelle, roi et reine d’Espagne, échouaient : “vendre“ son expédition au roi de France, Charles VIII. Il n’est pas exclu, qu’en bon stratège, Colomb avait averti Ferdinand et Isabelle de cette alternative.
Pourquoi lui dire OUI, pourquoi lui dire NON ?
Quelles étaient les questions de ses commanditaires potentiels :“Dois-je autoriser l’expédition de Colomb et donc céder à ses exigences ?” (Colomb réclamait un titre, du pouvoir, et de la richesse).
Analyse des intérêts de la Reine :“Si je dis “Oui” à Colomb et qu’ il réussit“
+ Je gagne de la richesse, du pouvoir et un accès à l’Asie
+ Je gagne l’opportunité d’accroître l’étendue de la religion Chrétienne
+ J’investis peu pour un gain potentiel énorme
+ Colomb gagnera l’autorité seulement dans les territoires où je ne suis pas souveraine actuellement“Et si le projet de Colomb est un échec“
+ Mon parrainage pourrait m’aider pour mes explorations « Atlantique » et pour exercer mon pouvoir plus loin que les îles Canaries
– J’aurai à subir la honte d’avoir investi dans un projet stupide
– J’aurais gaspillé des ressources à un moment où les caisses royales sont vides“Si je dis “Non” à Colomb et que son projet est une réussite“
– Il pourra obtenir gloire et richesses par un autre monarque
– Tous les autres monarques vont me considérer comme incompétente
– Je vais perdre l’opportunité de combler l’écart avec la puissance maritime portugaise“Si le projet de Colomb est un échec“
+ Je n’aurai pas investi dans un projet perdant
Cette grille d’analyse des enjeux est toujours d’actualité. Utile pour vos négociations, adapter le contenu vous aidera à répondre à la question
“pourquoi lui dire OUI, pourquoi lui dire NON“.
Et la Santa Maria mit les voiles
Le contexte s’améliorait, la reconquête sur les Maures était aboutie et Colomb avait reçu l’accord royal. Un autre problème subsistait : les caisses royales étaient vides, la guerre avait été ruineuse.
Comment conjuguer les problèmes budgétaires de la Couronne, tout en fournissant les besoins du navigateur pour son entreprise ? Une idée germa : celle de faire payer l’expédition de Colomb par une ville qui devait beaucoup d’argent au Trésor Royal : les marchands du port de Palos, en Andalousie, devaient fournir les bateaux nécessaires pour l’expédition de Colomb au lieu d’un paiement direct. Une sorte de troc. L’édit en faveur de Colomb fut proclamé en avril 1492.
Mais un autre édit, celui de l’expulsion des Juifs d’Espagne se révélait être plus rémunérateur pour les armateurs : en effet, il était plus intéressant d’affréter des bateaux avec des passagers payants que de mobiliser ces mêmes bateaux pour un équipage non payant, celui de Colomb.
Il fallut l’intervention d’une troisième partie, Martin Alonso Pinzón qui utilisa sa bonne réputation pour convaincre les armateurs et les marins de s’engager dans une expédition à risque.
Dans toutes négociations, quand des récifs non prévus sur les cartes surgissent, sans changer de stratégie, il faut alors remobiliser son imagination et entretenir sa créativité.
A bord de quelle caravelle embarquerez-vous cette année ?
Christophe Colomb nous apprend que l’intuition n’est pas suffisante en négociation. Le bon sens et l’intelligence situationnelle sont des qualités indispensables. Mais sans pugnacité et créativité, la réussite reste aléatoire.
La caravelle du XVème siècle est bien différente de celles sur lesquelles on s’embarque au XXIème siècle. On navigue plus rapidement, plus sûrement, plus confortablement. Mais pourquoi, et vers où ?
À l’image de Colomb, vous souhaitez découvrir de nouveaux continents. Si des écueils surgissent, serez-vous assez souple pour imaginer de nouvelles options, en entretant votre détermination?
Les enseignements de l’Histoire en matière de négociation sont toujours d’actualité et ne pourront vous aider que si vous créez vous-mêmes votre propre histoire. Comment ?
En tenant un journal de vos négociations, quotidiennement, en notant ce qu’il s’est dit entre vous et vos interlocuteurs, ce qu’il s’est décidé, les engagements pris, les incidents rencontrés et la manière dont ils ont été réglés.
Ainsi, vous pourrez vous-même tirer les enseignements de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en négociation.
Un dernier mot : n’oubliez pas de ne pas confondre pugnacité et entêtement, et rester à l’écoute de votre désir, comme Christophe Colomb.
Photo: Atlas Catalan, 1375, Attribué à Cresques Abraham
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