13 novembre 2015 : Ils aiment la mort ? Pourquoi ?
Nous aimons la vie, ils aiment la mort ; la négociation a échoué.
Nous aimons la vie infiniment plus que vous n’aimerez jamais la mort… et c’est bien ce qui nous rend plus fort !
En 1917, le philosophe Miguel de Unamuno, recteur de l’université de Salamanque, déclarait :
« Fondamentalement, je ne suis rien de plus qu’une parole, et comme ne pas parler c’est mourir, franchement, je ne suis pas disposé à mourir. »
Quelques années plus tard, en 1936, au cours d’une cérémonie franquiste, le général Jose Millan-Astray, fondateur de la légion espagnole hurle “Viva la muerte!”
Puis il conclut: ” Mort à l’intelligence! vive la mort!”
Parler pour ne pas mourir ?
2015: la presse nous rend compte du témoignage d’un rescapé de la fosse du Bataclan: il a appris que « la vie tenait à un fil et qu’il fallait l’apprécier, qu’il n’y avait rien de grave tant qu’on était vivant ». Et qu’a-t-il appris des terroristes ? « Pas grand chose. Qu’ils avaient besoin certainement d’un idéal, que le monde occidental dans lequel ils vivaient, puisque c’était des Français, ne leur offrait pas. Ils ont trouvé un idéal mortuaire, de vengeance, de haine, de terreur (…) Ils ont réalisé trop tard que la vie était importante. Moi aujourd’hui, je peux réaliser que chaque moment que je passe avec mes proches est un bonus, une bénédiction (…) J’ai l’impression d’être né une deuxième fois ».
« Nous aimons la mort comme vous aimez la vie ».
Cette phrase attribuée à Ben Laden, reprise par Mohamed Merah et sa cohorte de sinistres successeurs, nous glace toujours d’effroi dans notre société où la mort est un sujet pour le moins occulté.
La logique mortifère.
Comment en arriver à massacrer sans sourciller des jeunes sensiblement du même âge, qui ont pour la plupart partagé une même langue, une même éducation scolaire, de mêmes passions sportives, artistiques, peut-être même des relations communes. Le monde est petit. On peut avancer sans trop se tromper qu’en 1998, comme la France entière, ils scandaient « Zizou Président » lors du défilé de l’équipe de France sur les champs Elysées et n’imaginaient pas sept ans plus tard s’en prendre à cette équipe et ses supporters.
Un psychologue spécialiste des violences rapporte qu’il se fit un jour pousser sur les voies du métro et avait été surpris que ses 25 années d’expériences professionnelles, ne lui ait pas offert d’autres réponses en chutant que : « Le con ! ». C’est bien naturel et ça fait du bien de les considérer comme des salopards, des barbares, des tueurs sanitaires… L’anathème est largement justifié, et il n’y a pas de mots assez forts pour désigner ceux qui exécutent des victimes désarmées et innocentes, femmes et hommes, croyants et incroyants d’au moins dix sept nationalités différentes.
On tue un objet, pas un Homme.
Pour autant, cela ne nous aide pas à comprendre, c’est même une réaction en miroir à ce qui leur a permis leur cruauté. L’explication nous est donnée par l’éthologue Desmond Morris, dans « Le Singe Nu ». La violence est supérieure dans l’espèce humaine, comparé au règne animal pour deux raisons :
- nous pouvons tuer à distance ;
- nous pouvons considérer l’autre comme n’étant pas un humain.
Un loup est incapable de regarder un autre loup comme autre chose qu’un loup. Dans un combat entre mâles dominants, celui qui perd, tend sa gorge en signe de soumission et quitte le clan. A quelques exceptions près, il n’y a quasiment aucun meurtre au sein d’une même espèce animale. A la différence de l’Homme, lequel, du fait de son « intelligence supérieure », peut considérer un semblable comme un objet, une chose, un sous-homme, et le massacrer sans sourciller. Pour tuer un semblable, il faut le dé-subjectiver. Les Hutus considéraient les Tutsis comme des « cafards » durant le génocide.
Pas d’émotion dans le massacre ?
Au-delà des effets d’éventuelles prises de drogues, les victimes ont été abattues avec aussi peu d’émotions que dans un jeu vidéo. Il s’agissait de supprimer des « idolâtres dans une fête de la perversité », pour reprendre les termes du communiqué de revendication de Daesh. Les frères Kouachi avaient laissé repartir vivant Michel Catalano le patron de l’imprimerie de à Dammartin, après qu’il ait échangé pendant plus d’une heure avec eux et qu’il ait soigné le plus grand. Encore faut-il avoir le temps de créer ce lien qui protège.
Comment devient-on meurtrier ?
Qu’ont en commun, Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, Saïd et Chérif Kouachi, Amedy Coulibaly, Omar Omsen, Samy Amimour, Salah et Ibrahim Abdeslam, Omar Ismaël Mostefaï, Bilal Hadfi … et tant d’autres ? Leur logique mortifère est avant tout une logique victimaire. Cela consiste à rejeter toutes les valeurs associées au modèle dominant. Adopter le statut de victime permet de ne pas se sentir responsable de ses éventuels échecs et de se faire plaindre. Cela cimente certains groupes qui n’existent qu’en rébellion face à l’ordre établi et s’autorisent des débordements violents au nom des discriminations qu’ils dénoncent.
La France a beau être un pays largement multiculturel, les médias en donnent une vision assez lisse et homogène, assimilant encore trop souvent les membres des minorités visibles comme des étrangers. L’effet est dévastateur notamment sur les enfants[1] qui associent généralement les personnages blancs aux critères de : « richesse, bonne éducation, aptitude à commander, succès scolaire et intelligence », tandis que les personnages issus de l’immigration sont associés à : « la criminalité, la pauvreté, la paresse et au fait d’agir de manière idiote ».
Sur ce terreau, il faut ajouter un contexte familial assez peu soutenant, les Kouachi étaient orphelins, Merah avait un père pour le moins absent, et la plupart d’entre eux ont développé une personnalité essentiellement antisociale (dite aussi psychopathique).
C’est la personnalité pathologique la plus représentée parmi les comportements de délinquance, du fait de son mépris non seulement des lois et des usages, mais aussi des autres et de leurs émotions. Dénuée de scrupules et de remords, elle n’apprend pas de ses erreurs ou des sanctions parfois reçues. S’ensuit une longue période d’échec, voire de décrochage scolaire, puis la délinquance avant de rentrer paradoxalement dans le rang lorsqu’ils découvrent la religion musulmane, dans son courant sunnite le plus radical, le salafisme, financé par l’Arabie Saoudite dans nos banlieues.
Puis c’est l’aventure en Afghanistan, Syrie…, l’Erasmus du jeune en quête d’expériences après avoir bousillé son avenir dans le pays qui l’a vu naître.
Guerre des civilisations ?
Non. Appelons un chat, un chat, un criminel un criminel et agissons avec la plus grande sévérité pour cette minorité assassine qui cherche depuis Al Qaeda à organiser une guerre des civilisations qui n’a pas lieu d’être car elle ne représente aucune civilisation comme l’a rappelé ce lundi 16 novembre le président de la République, François Hollande.
Les partisans de la haine sont nombreux, on parle de 10000 fiches S, cela reste évidemment et heureusement une infime minorité parmi les cinq millions de personnes[2] qui se déclareraient musulmans en France (0,002 %).
Quand la croyance devient dogmatisme, c’est le principe des dérives sectaires, il n’y a plus d’accessibilité à la raison.
Daeshland, c’est Mad Max sans alcool avec kalash, barbe et djellaba.
La guerre, déclarée à la mort, ne peut être gagnée uniquement sur le terrain des armes, il faut aussi développer notre soft power, celui de la culture avec un projet de société inclusif qui fait sens.
« C’est détruire mes ennemis que d’en faire mes amis »
disait Lincoln. Une fois n’est pas coutume, si nous sommes spécialistes du comment, des processus, nous avançons sur le terrain polémique du quoi faire. Du coup ces pistes n’engagent que leurs auteurs car elles sont non seulement non exhaustives mais aussi sujettes à des désaccords de fond que nous assumons.
Combattre les ennemis de l’intelligence, comment ?
- Accentuer la politique de lutte contre les discriminations.
- Organiser davantage de frottements dans notre société pour éviter les différentes ségrégations spatiales, économiques, culturelles et sociales : « Seule[3] la « coopération intergroupes (…) finira par diminuer la distance sociale entre les groupes, par modifier les attitudes et stéréotypes hostiles, réduisant par là les possibilités de conflits futurs entre les groupes ». Plus il y aura de distance, plus il y aura de violence. Plus il y aura de proximité, plus il y aura de tranquillité.
- Sur le plan scolaire : la refondation de l’école est plus que jamais une urgence. Non seulement sur le fond avec le renforcement des thématiques en cours comme l’histoire des religions, la déconstruction des stéréotypes, les modalités de manipulation sectaires, en particulier sur internet ainsi que la valorisation des voies menant à des professions à la manière de l’Ecole 42. Mais aussi sur la forme, les méthodes Montessori, Freynet, inclusives et permettant de mieux vivre ensemble. la lutte contre le décrochage scolaire étant le premier signe annonciateur des problèmes à venir.
- Sur la politique de la ville : en France, seulement 352 millions d’Euros sont dédiés à environ huit millions de personne, quand l’Allemagne débloque plusieurs milliards pour l’accueil des réfugiés. Pour participer au développement de la médiation sociale depuis 1999, nous pouvons témoigner de l’énergie folle dépensée par les bénévoles, les animateurs, les éducateurs spécialisés, les assistantes sociales alors que les services publics se retirent progressivement. Quand près d’un Français sur quatre se dit exposé à la solitude et à l’isolement[4], quelles ressources décentes peut-on allouer pour redonner aux habitants de réelles perspectives d’agir et de fierté d’être Français.
- « Pay for France » : l’initiative lancée par Facebook ce mercredi 18 novembre nous laisse sans voix. Le Directeur général de Facebook, Laurent Solly[5], a annoncé : « En 2015, nous paierons l’intégralité de notre impôt sur les sociétés en France ». Le manque à gagner fiscal pour tous les pays bénéficiant des services des multinationales américaines a été évalué entre 100 à 150 milliards de dollars[6], alors qu’il faudrait seulement 60 milliards pour éradiquer la pauvreté. Si toutes les entreprises travaillant en France faisaient de même, nous n’aurions plus aucun problème pour financer nos projets de société et nos dettes.
- Sur la scène internationale, construire des ponts, plutôt que des murs.
Il est urgent de régler enfin le conflit israélo palestinien qui active les rancœurs et s’exporte sur tous les territoires. Questionnons aussi nos relations sulfureuses avec le Qatar et l’Arabie Saoudite qui ont financé jusque dans nos banlieues ces bombes à retardement salafistes. Même chose en Afrique et au Moyen Orient où les terrorismes ne pourront perdre en intensité qu’en tenant le terrain localement et en accompagnant les habitants dans la reconstruction par de véritables programmes ambitieux d’aide au développement[7].
- Sur le plan religieux enfin, que les trois religions du livre au nom d’Abraham, leur père commun, se réunissent avec leurs représentants les plus influents pour affirmer ce qui fait religion, au sens étymologique premier, à savoir ce qui relie les Hommes entre eux et ce qui les divise au contraire. Un éclairage des sciences humaines, notamment sur la place de la femme, sur un rapport apaisé à la laïcité dans nos sociétés serait également salutaire.
Concluons avec ces vers de Charif Barzouk[8] :
« C’est en faisant le bien que l’on détruit le mal, et non en luttant contre lui.
C’est en cultivant l’amour que l’on détruit la haine et non en l’affrontant.
C’est en faisant croître la lumière que l’on triomphe de l’obscurité,
et non en lui livrant combat. »
Jean-Edouard Grésy et Yves Halifa
20 novembre 2015
[1] A Different World: Children’s Perceptions of Race and Class in the Media. A Series of Focus Groups and a National Poll of Children, Oakland, Children Now, 1998.
[2] D’après les estimations du Ministère de l’Intérieur.
[3] Muzafer SHERIF, Des tensions intergroupes aux conflits internationaux, Paris ESF, 1971.
[4] Les solitudes en France en 2010, Fondation de France, Juillet 2010.
[5] https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10154058450096992&set=p.10154058450096992&type=3&theater
[6] « L’étude de Tax Justice Network estime que, en 2012, les multinationales américaines ont transféré entre 500 et 700 milliards de dollars en bénéfices provenant de pays où leurs activités économiques réelles ont eu lieu vers des pays où les taux d’imposition effectifs sont moins élevés. Cette distorsion entre l’activité économique réelle et les impôts payés représente environ 25% de leurs bénéfices bruts internationaux » D’après OxFam France. : http://www.oxfamfrance.org/sites/default/files/file_attachments/g20_antalya_holdupfiscal_0.pdf
Comment justifier que le président de la Commission européenne depuis novembre 2014, Jean-Claude Juncker, ait activement participé à la plus grande opération de fraude, qui a appauvri les pays voisins du Luxembourg de dizaines de milliards d’Euros de recettes fiscales ?
[7] https://www.youtube.com/watch?v=n8niuyTqOQg
[8] Charif BARZOUK est un philosophe berbère de la première moitié du XXe siècle. Citation tirée du Livre de la paix intérieure, Anthologie présentée par Yveline Brière, Ed. Le cherche midi, Col. Librio, 1999, p. 10
Bravo.Vous avez écrit tout ce qu’il faut.Il appartient à nous tous dans nos vies de tous les jours de mettre en acte vos propos.
Il appartient aux hommes et aux femmes de bonne volonté de s’emparer de vos remarques.Je pense par exemple à des élus, maires de villes de la région parisienne que j’ai rencontré cette semaine.Ils ont déjà commencé,mais la tache est longue. Et puis comment inciter ceux que nous avons élus d’agir dans le sens de ce que vous préconisez? au plan national et international?votre texte est une feuille de route.Merci de l’avoir écrite .
Fin, juste, intelligent… merci pour ce point de vue !
Reste à mettre en œuvre les propositions (maintes fois évoquées déjà) pour “Combattre les ennemis de l’intelligence” !!