Les importants et les importuns
«Mon père a promis d’acquérir cet avion, je l’achèterai.»
Cette déclaration montre l’importance de la relation dans toute négociation. Trois exemples de négociation récentes, commerciale, business et politique, mettent en évidence ce qui est en balance entre les personnes et les intérêts.
Après plusieurs mois de négociation, l’accord final pour l’achat d’avions de combat Rafale à Dassault aviation, aurait été donné le 21 avril par le prince héritier du Qatar devenu émir, Al-Thani.Quelle a été la part de qualité de la relation personnelle entre les négociateurs français et l’émir ?
La fusion entre les 2 plus grands cimentiers européens, Lafarge le français et Holcim le suisse, a failli échouer à cause d’un problème d’ego entre les deux dirigeants, Bruno Lafont et Wolfgang Reitzle. Comment a-t-on tenté de concilier les intérêts vitaux des deux groupes et les besoins de paraître de leurs deux dirigeants ?
Les négociations entre la Grèce et ses créanciers au sein de l’Euro groupe ont frôlé la rupture avec des conséquences périlleuses pour les 500 millions d’habitants de l’Union Européenne. La responsabilité de la crise s’est cristallisée sur une personne, le ministre des finances grecques, Yanis Varoufakis. Peut-on attribuer l’échec d’une négociation à un problème de personnes ?
La confiance, l’engagement et le respect de la parole donnée
Les négociations entre Paris et Doha ont démarré le 22 août 2012 à l’occasion de la première visite au Qatar de Jean-Yves Le Drian ministre de la défense où il a rencontré le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, prince héritier devenu émir. S’il est difficile d’apprécier la part de l’engagement verbal entre deux hommes d’État au Moyen-Orient, les intérêts de défense stratégique étant certainement plus important que le reste dans un environnement aussi instable, cette phrase magique, «Mon père a promis d’acquérir cet avion, je l’achèterai» a ponctué l’irréversibilité de la décision.
Concilier les ego et les intérêts
La fusion entre deux cimentiers puissants Lafarge et Holcim devait aboutir au terme d’une négociation raisonnée et raisonnable à un nouveau groupe pesant 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 130 000 personnes.
Le cimentier suisse devait racheter son concurrent français en payant avec ses propres actions, 1 titre Lafarge = 1 titre Holcim. On a abouti à 0,9 Holcim pour 1 Lafarge, soit 10% de moins. Mais surtout une guerre des chefs a failli faire capoter l’opération dont les enjeux n’étaient pas moins que de faire face aux cimentiers des pays émergents et de faire des économies d’échelle.
Quel a été le scenario catastrophe ?
Téléphone de Reitzle à Lafont pour dire qu’il va recevoir une lettre.
- Arrivée du mail : en plus de la révision de la parité (à cause du décrochage de Lafarge en bourse) Reitzle réclame un changement d’organisation : Lafont ne doit plus être numéro 1. On lui reproche d’être français, trop arrogant, trop personnel, et la menace de plus faire la fusion est brandie.
- Lafont réagit : « basses œuvres suscitées par la frustration d’ego froissés. » « ces attaques confondent mon engagement et mon énergie avec de l’autoritarisme, et ma simplicité avec du manque de considération. » « Je ne laisserai pas salir Lafarge ».
- Réunion du conseil d’administration de Lafarge en urgence et fermeté affichée : « explorer la possibilité d’une révision de la parité et non acceptation d’aucune autre modification des accords.»
- Face à la détermination d’Holcim et face aux enjeux, Lafarge change de ton : Mr Lafont se sacrifie au nom de « l’intérêt supérieur des deux groupes.»
- Les négociations financières sont débloquées et un terrain d’entente est trouvé entre les groupes d’actionnaires.
- Les questions de personnes arrivent alors sur la table et le conseil d’administration de Lafarge obtient de désigner le futur patron du groupe sous réserve que ce choix soit validé par Holcim, qui, parallèlement, obtient que soit nommé un « poids lourd » de la société suisse, Beat Hess, comme vice-président.
Le feuilleton continue : il y a quelques jours les deux contradicteurs se réconcilient face aux medias avec une communication commune sur le projet mondial d’investissement et de désinvestissement et le nom d’une personnalité franco-américaine est avancé pour diriger le futur groupe.
Le fauteur de troubles, la punition et le sauvetage dans l’honneur
Le leader des négociations sur la dette grecque a été mis relégué au second plan des négociations et remplacé par une personnalité plus acceptable par les négociateurs de l’Euro groupe.
Que reprochait-on à Yanis Varoufakis ?
- de gagner du temps pour ne pas céder sur les ligne rouges fixées par son gouvernement : refus de baisser les salaires et les retraites des fonctionnaires, refus de continuer les privatisations en cours, refus d’accepter la non réintégration de certains fonctionnaires licenciés par l’ancien gouvernement
- un style de négociateur « en dehors des codes » qualifié d’arrogant et de provocateur : « Varoufakis gênait ses interlocuteurs car il maîtrise mieux qu’eux le langage de l’économie…Il n’hésite pas à insister car c’est son caractère ».
Malgré cela, M. Varoufakis est officiellement en charge des négociations au terme desquelles Athènes, à court d’argent, espère obtenir les derniers 7,2 milliards d’euros promis par l’UE en échange de réformes.
Conclusion
Dans les trois exemples cités on retrouve le balancier des émotions et des intérêts pencher dans un sens ou dans l’autre. Qu’est-ce qui importe le plus ? Qu’est qui est important ? Les personnes ou les intérêts ?
Certes, dans le premier cas les enjeux géostratégiques sont majeurs mais la culture de la parole donnée reste prégnante.
Dans le second cas le jeu des ego paraît dominant et fait courir le risque du sacrifice des intérêts avec une instabilité émotionnelle qui peut faire peur à des investisseurs.
Enfin, la posture inhabituelle du chef de la délégation grecque jugée provocatrice et réfutée par les gouvernants européens est peut-être le prétexte à affirmer le non négociable des intérêts en jeu.
Un dernier mot
Importants sont les pères, mais parfois importuns…ou inopportuns.
… Encore une histoire de père… Giorgos Varoufakis, le père du négociateur déchu, « estime dans le journal Ethnos “qu’ils veulent le dévaloriser, parce qu’il est compétent. Il n’est pas comme eux. C’est pourquoi ils l’attaquent“.
Pendant ce temps Marine Le Pen tente de se débarrasser de son père face aux prochains enjeux électoraux. Et, la figure tutélaire de François Michelin est regrettée.
Les intérêts ou les personnes ? Qui dirige le monde ?
Continuons le débat.
Yves Halifa
5 mai 2015
[1] http://www.liberation.fr/economie/2015/04/30/rafale-au-tour-du-qatar_1279149
[2] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/05/03/97001-20150503FILWWW00095-grece-varoufakis-defendu-par-son-pere.php
[3] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/05/03/97001-20150503FILWWW00095-grece-varoufakis-defendu-par-son-pere.php
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