Les négociations actuelles sur le travail dominical, entreprises par le gouvernement sont sensibles, délicates, voire explosives : travailler un dimanche, c’est un tabou. Serait-ce un tabou socialpour la gauche, un tabou religieux pour la droite ? Et comment négocier un tabou ?
Les maladies françaises
Le projet de loi1, concernant entre autres le travail dominical, dévoilé par Emmanuel Macron à la mi-octobre 2014, consiste à s’attaquer à plusieurs « maladies françaises » –dont la question du travail le dimanche- pour promouvoir « l’activité et l’égalité des chances économiques ». Ce projet doit être présenté en conseil des ministres à la mi-décembre pour un examen au Parlement début 2015.
A-t-on prévu le temps nécessaire pour la négociation ?
Sacré Dimanche
Le débat sur le travail le dimanche est miné : il est au confluent des problèmes de société, de religion et d’entreprise. De plus, il est sanctuarisé religieusement et socialement, et il représente une conquête ouvrière importante.
C’est un tabou, qui cristallise l’image d’une certaine France, perdue dans une mondialisation qui la dépasse : le dimanche est un repère, il fonde une identité, il structure la vie quotidienne et il pourrait disparaître, pour des raisons de compétitivité, de productivité, de croissance et de consommation.
Le dimanche ? Divergence de valeurs, de certitudes, d’intérêts
« Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche », peut-on lire dans le code du travail. Le choix d’un jour commun permet aux familles et aux amis de se retrouver autour d’un « pain partagé », élément indispensable qui participe à nos équilibres affectifs et sociaux2.
Pourtant, les avis divergent :
Le syndicaliste :
« il est hors de question de revenir sur des acquis, dont cette conquête ouvrière validée par le Bureau International du Travail par la convention 106, qui précise l’obligation d’avoir « un jour de repos hebdomadaire commun ».
Le petit commerçant :
« je vais me faire engloutir par la grande distribution ».
Le mondialiste :
« le dimanche ? Internet, c’est ouvert toute l’année ! Et à Shanghai, ils ne se reposent jamais. »
Le salarié :
« je veux bien, mais si je reçois des contreparties financières et du temps de repos compensatoire ».
Le couple de salariés :
« si je travaille le dimanche, et que mon conjoint se repose, quand sera t-on ensemble ? »
Le chef d’entreprise:
« interdire de travailler le dimanche, c’est restreindre la liberté d’entreprendre ».
Le pratiquant religieux :
« le dimanche, c’est réservé à la famille, aux pratiques religieuses, pour passer du temps ensemble, autant de valeurs importantes et non négociables ».
L’étudiant :
« travailler le dimanche, pour moi, c’est pouvoir financer mes études en préservant ma scolarité. »
L’écologiste :
« la consommation n’est pas une fin en soi, ne dilapidons pas le petit capital de jours qu’il nous reste pour vivre ensemble sans consommer ».
Pour Jean-Paul Bailly3 , c’est « un jour différent », un jour « où l’on fait société ensemble ».
« Le sujet de l’ouverture dominicale des commerces n’est pas une question consensuelle, explique-t-il. Chacun l’aborde avec ses valeurs, ses convictions, voire ses certitudes. C’est un sujet qui divise assez profondément la société. »
Une question de méthode ?
Face aux pressions de l’Union Européenne pour des réformes de structure, face à la pression du temps, avec un calendrier déjà fixé, le gouvernement risque de choisir le compromis, et d’adapter la législation plutôt que de la réformer.
Une question de personnes ?
Comment déminer les émotions négatives des uns et des autres, tout en respectant leurs identités ?
Une question de tabous ?
Le dimanche est une vache sacrée. Comme tout tabou, c’est « vachement difficile de le négocier », parce qu’on touche à la culture, à l’histoire et aux représentations mentales.
Un dernier mot
Faire accepter la remise en cause du travail dominical :
- c’est reconnaître la légitimité des personnes à protéger leur identité,
- c’est enrichir les solutions, à partir de la vision de l’autre,
- c’est, enfin, prendre le temps du dialogue social, ciment de la cohésion sociale.
Terminons en chanson
« Aux Champs-Élysées, au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit, il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées »… Tout ce que l’on veut… même le dimanche ? Avec vos commentaires, ouvrons le débat !
© Tableau : George Seurra, Un dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte, 1884, 1886 (Art Institute Of Chicago)
En 321: l’empereur Constantin 1er décrète le dimanche jour de repos légal dans l’Empire romain.
Voltaire condamnait cette pause au nom de l’économie.
Montesquieu au nom de la morale.
La Révolution l’a supprimé.
La Restauration l’a rétabli.
La République l’a aboli.
La loi de 1906 l’a rétabli et en fait une conquête sociale, mais avec beaucoup d’exceptions.
Ce n’est vraiment qu’en 1919 que le dimanche a réellement été chômé avec la loi de la journée de 8 heures.
On oppose aujourd’hui la liberté de choix au confort social d’un jour de pause unique pour tous.
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