On négocie ou bien on mange ?
La chèvre et le chou.
Conserver les liens relationnels c’est nécessaire mais loin d’être suffisant.
Comment rester doux sur la relation et dur sur les intérêts ?
Comment concilier les intérêts partagés et les intérêts divergents ?
Le même jour, mercredi 17 octobre, deux négociateurs chevronnés, Thérésa May et Staffan de Mistura ont baissé les bras, chacun avec son propre style et des contextes différents.
La première ministre britannique s’est résolu à rompre (temporairement) avec ses partenaires européens, et le chef négociateur de l’ONU pour la Syrie a démissionné.
Continuer à discuter ou rompre avec éclat ?
Le but du rendez-vous européen du mercredi 17 octobre avec Thérésa May était de créer les conditions médiatiques et politiques, « l’atmosphère » comme disent les diplomates, pour qu’un accord soit possible ultérieurement.
No deal ? ou créativité pour éviter le retour d’une frontière entre la République d’Irlande (européenne) et Irlande du Nord (partie prenante du Royaume Uni).
Mercredi il n’était pas question de négocier :
« durant le dîner, vous mangez et vous parlez, vous ne négociez pas »,
avait dit la première ministre lituanienne, Dalia Grybauskaite.
Les auteurs de l’excellent article du journal Le Monde, Jean-Baptiste et Cécile Ducourtieux, font bien ressortir les intérêts derrière les positions des parties ; entre autres :
- Préserver les accords de paix de 1998 en Irlande du Nord
- Sauvegarder l’intégrité et la continuité du territoire du Royame-uni
- Conserver l’homogénéité du marché unique européen
- Ne pas créer de précédent en accordant des faveurs à l’ex partenaire qui veut s’en aller…
Une certaine dose de dramaturgie est souvent nécessaire pour qu’émerge un compromis.
Le sommet du 20 septembre à Salzbourg avait été le théâtre d’un vrai « clash ».
Celui de Bruxelles aura permis de faire redescendre la température.
Savoir trancher.
Staffan de Mistura, émissaire spécial de l’ONU pour la Syrie, dont la mission était : « Faire cesser les violences et les violations des droits humains et promouvoir une solution pacifique à la crise syrienne », a démissionné. Il aura tout tenté depuis 2014.
« Je crois être un bon négociateur même si personne n’est parfait, mais les négociations les plus difficiles, à la différence de ce que prétendent les manuels, sont celles avec sa propre famille. »
Un médiateur au cœur d’intérêts divergents.
- Il lui fallait tenter de concilier les intérêts opposés des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, comme les rivalités entre les puissances régionales, Iran et Turquie.
- Il lui fallait aussi composer avec l’intransigeance du régime syrien convaincu de pouvoir gagner la guerre.
Il n’a pas réussi.
Staffan de Mistura a été doux sur la relation et doux sur les intérêts.
Certains diplomates lui reprochent de n’avoir pas été assez dur sur les intérêts, sur les enjeux fondamentaux en essayant de ménager la chèvre et le chou.
Il a maintenu les relations dans le cadre des discussions de paix à Genève. Y compris avec la Russie qui craignait un enlisement.
Dans un autre excellent article du Monde, Marc Semo décrit les qualités de médiateur du négociateur en chef de l’ONU :
« De Mistura a les défauts de ses qualités. C’est un très fin négociateur, mais il est souvent trop conciliant et il semble tétanisé à l’idée qu’une partie claque la porte. »
« C’est un vrai gentilhomme et il a une grande empathie pour chacun de ses interlocuteurs, mais il ne sait pas trancher quand il le faut. »
Sens de l’humour, élégance vestimentaire, créativité, polyglotte, sa devise est :
Toujours essayer, échouer, mais qu’importe :
essayer à nouveau et échouer mieux.
Ses prédécesseurs, dont Kofi Annan, l’avaient prévenu :
« Si tu ne fais rien tu seras critiqué, si tu essaies de faire quelque chose, tu seras critiqué au moins par une des parties sinon par toutes. »
Il a pourtant utilisé toutes les techniques de médiation connues ; parmi elles on peut citer :
- L’appel à la responsabilité des parties
- L’expérimentation par secteurs géographiques
- L’expérimentation dans le temps
- La multiplication des objets de négociation
- La projection du « film catastrophe » en cas d’échec
Il n’a jamais trouvé l’opportunité de mettre les belligérants face à face et c’est lui seul qui faisait la navette entre les parties.
Une seule fois, et par surprise, il a réussi à les faire siéger dans le même bâtiment, dans deux salles contigües du Palais des Nations à Genève.
Doit-on éviter le conflit en ménageant la chèvre et le chou
dans des négociations difficiles ?
L’évitement du conflit n’est pas la bonne solution.
Michel Barnier, le négociateur en chef a décidé de donner du temps au temps en ne restant pas prisonnier de la date limite du Brexit, mars 2019.
Staffan de Mistura a décidé de se retirer de la médiation.
Peut-être ont-ils raison ?
Yves HALIFA
18 octobre 2018
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