L’immense majorité d’entre nous considère qu’entre les quatre grandes stratégies de négociation, rapport de forces, ruse et manipulation, création de valeur, c’est le compromis érigé en méthode vertueuse qui l’emporte en termes de bénéfices.
Et pourtant…
C’est une question qui surgit à chaque instant dans les événements qui viennent de jalonner l’année écoulée. La croyance dans les vertus du compromis s’érode chaque jour un peu plus, que ce soit dans les négociations géopolitiques, à l’intérieur de l’entreprise ou encore dans le milieu familial.
Pendant longtemps les citoyens des pays démocratiques ont pensé, théorisé, que l’art du compromis permettait de garantir la paix civile, de modérer les pulsions de violence et de créer les conditions de la prospérité partagée, malgré les faits, en dépit de l’Histoire.
Certes, la volonté de compromis a permis de reconstruire l’Europe au XXème siècle en laissant de côté les sujets trop conflictuels, tels, une politique intérieure et extérieure commune, un budget commun, une fiscalité unique, des normes sociales et environnementales uniques et une armée commune. Pendant ce temps le reste du monde se développait en faisant apparaître de grands États centralisés cultivant des nationalismes exacerbés, Chine, États-Unis d’Amérique, Brésil, Inde…
Aujourd’hui le multilatéralisme se meurt et “l’art du deal” prolifère. Ces “deals” mettent en oeuvre du donnant-donnant fondé sur des techniques de chantage, de menace et d’insultes qui fonctionnent souvent, mais en laissant les traces habituelles de sentiments d’humiliation et de colère, terreau fertile de prochaines revanches.
Est-il vraiment impossible de négocier face au bras de fer? Comment faire pour ne pas céder au rapport de force lorsqu’on est objectivement faible? Comment ne pas laisser les gouvernements à tendance totalitaires manipuler les informations auprès des populations?
Ces questionsrestent presque sans réponse même si l’Histoire nous interpelle.
De nombreux ouvrages sur l’histoire du troisième Reich et en particulier sur la période compliquée de la République de Weimar (1918-1933), dont l’excellent, Le Troisième Reich, de Richard J. Evans (Flammarion 2009), démontrent faits et documents à l’appui, l’enchevêtrement de multiples compromis dans ce que l’on appelait pas encore comme aujourd’hui en France, “le Bloc central”, qui, en laissant ainsi de côté les masses populaires appauvries par la Première guerre mondiale, à force de ne vouloir ni l’extrême-gauche, ni l’extrême droite, fit le lit du fascisme et du nazisme.
Ainsi, hier, Adolf Hitler prospérait sur l’humiliation et l’extrême pauvreté engendrées par le Traité de Versailles.
Benito Mussolini, surfait sur l’orgueil blessé d’une armée italienne dans le camp des vainqueurs mais sans gain territorial.
Ainsi, aujourd’hui, Viktor Orban, consolide son pouvoir sur le ressentiment toujours présent en 2025, que le Traité du Trianon a puni la Hongrie et que l’Europe en est responsable hier comme aujourd’hui.
Vladimir Poutine, qui n’a jamais accepté la perte d’influence de l’Empire tsariste puis soviétique avec le rétrécissement de ses territoires, reste toujours soutenu par une fraction majoritaire de la population russe.
Donald Trump, soutenu par des millions d’américains hommes et blancs confrontés aux compromis culturels et sociaux nécessités par la prise en compte de nouveaux comportements des femmes, des minorités sexuelles et culturelles vivant dans cet immense espace commun, profite de la tétanisation d’une majorité certaine en jouant de la peur et de la sidération.
Et pendant ce temps l’Union européenne n’aurait pas conscience de la stratégie manipulatoire de la Russie. Selon l’historienne, Françoise Thom, « Face à Vladimir Poutine, les Européens sont en position de force, mais ils ne le savent pas.»
Selon elle, “L’outil militaire est toujours un pis-aller aux yeux des hommes du Kremlin. Ils préfèrent de loin la manipulation et la subversion. Et c’est là qu’ils excellent, à cause de l’ignorance occidentale des méthodes de projection de puissance russes, pourtant toujours identiques. Outre la cooptation d’un complice étranger, la deuxième caractéristique de l’expansion russe est la tactique du salami. La Russie débite sa victime en tranches (on l’a vu avec l’Ukraine : d’abord la Crimée, puis le Donbass…) ; la première tranche acquise, elle passe à la deuxième, puis à la troisième.”
Et, elle ajoute que Vladimir Poutine exige des Etats-Unis que ceux-ci, en préalable à une hypothétique négociation en vue d’un cessez-le-feu, forcent les Ukrainiens à évacuer les parties de la région du Donetsk qu’ils contrôlent encore,
La loi, les valeurs, l’héritage des Lumières ne suffisent plus à contenir la montée de cette vague de revanche.
Les appels à la raison, l’éducation, le respect des personnes et des règles sont impuissants face à la désinformation, à la dilution des frontières du vrai et du faux.
En effet le contrôle des médias, anciens et nouveaux, conforte le mur d’ignorance qui se dresse entre la duplicité des régimes autoritaires et la naïveté des population.
En Chine, le gouvernement a choisi de consolider son contrôle social sur la population en lui offrant une société du divertissement en compensation de lourdes contraintes sur les libertés collectives et individuelles.
“Toute propagande doit être populaire et placer son niveau spirituel dans la limite des facultés d’assimilation du plus borné parmi ceux auxquels elle doit s’adresser.
La faculté d’assimilation de la grande masse n’est que très restreinte, son entendement petit, par contre son manque de mémoire est grand. Elle doit s’adresser aux émotions plutôt que la raison. Jamais elle ne doit admettre le plus léger doute sur ce qu’elle dit, ni donner, ne fût-ce que partiellement raison au camp adverse.”
Ces quelques mots extraits de Mein Kampf, ouvrage de référence qu’Hitler avait dicté à deux collaborateurs dans sa confortable prison , suite au putsch manqué de Munich, devinrent ainsi, le credo d’un président élu des États-Unis d’Amérique au XXIème siècle: toujours mentir, nier et attaquer.
Alors, que répondre ? Que peuvent faire les démocraties occidentales, les pays pauvres, les pays menacés par le changement climatique?
La stratégie en cours dans la négociation vers un traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique, nous donne peut-être une clé.
Face aux stratégies de rapports de forces, face à la manipulation, le compromis devenant intenable, une stratégie de création de puissance alternative, au moins pour prendre date, au plus pour provoquer un effet d’entrainement, est probablement la solution.
Sur les 176 pays réunis à Genève, l’obstruction d’un petit nombre de pays producteurs de pétrole, certes puissants, mais minoritaires, une bonne centaine, dont la France et l’UE, serait prête à abandonner l’idée d’un compromis consensuel et de construire un accord séparé.
Pourquoi pas?
Yves Halifa
13 aout 2025
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