« C’est le jeu », nous dit l’un ;
« c’est ça, la modernisation du dialogue social ? », répond l’autre ;
« ce rendez-vous sera le dernier », conclut le troisième.
Depuis octobre 2014, les acteurs sociaux négocient les conditions d’un meilleur dialogue social. Ces derniers jours, les discussions sont devenues difficiles, les tactiques déloyales, et les pressions constantes.
D’échec en échec, le dialogue social peine à se réinventer, malgré les recommandations des experts. De plus, quand le dialogue social devient l’objet du dialogue social, c’est encore pire.
La réforme envisagée portait sur la modernisation du dialogue social et concernait les points suivants :
- Une représentation des salariés des TPE (entreprise de moins de 11 salariés).
- La mise en place d’un « conseil d’entreprise » (une nouvelle structure de représentation du personnel, fusionnant le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le CHSCT).
- Une simplification des seuils sociaux.
La dernière séance de négociation s’est soldée par un échec le 22 janvier 2015. Les acteurs sociaux ont été incapables de se mettre d’accord sur un texte commun.
Échec et mat ?
La plupart des acteurs ont déclaré que cet échec était dû à une conception de la négociation aujourd’hui dépassée.
- La CFE-CGC juge qu’il est « urgent… de proposer une nouvelle méthodologie de négociation, plus respectueuse des partenaires et des discussions multilatérales »
- La CFDT regrette : « que la méthode de la négociation, comme les propositions patronales, n’ont pas permis d’aboutir ».
- La CGT appelle : « à des négociations loyales, à égalité, qui ne se déroulent pas au MEDEF, mais dans un lieu neutre à l’égard de toutes manœuvres. »
- La CGPME pointe : « la méthode de négociation retenue : il conviendra d’en tirer les leçons afin de faire en sorte que demain, les mêmes maux ne produisent pas les mêmes effets ».
- Le MEDEF, enfin, considère que le dialogue social dans les entreprises « est actuellement trop complexe et trop formel, alors qu’il devrait être simple et pragmatique. » Il appelle à une « réforme gagnant-gagnant pour tous les acteurs sociaux ».
Serait-ce une question de méthode ?
Une méthode « cavalière » ?
Oui, c’est une question de méthode : on confond le gagnant-gagnant et le donnant-donnant.
Le gagnant-gagnant consiste à rechercher ce que l’on peut donner à l’autre partie unilatéralement, qui lui rapporte beaucoup et qui ne nous coûte rien, de manière à ce que l’autre partie fasse de même sur un autre objet de négociation.
Le donnant-donnant, c’est une méthode proche du chantage qui s’apparente à un bras de fer : « Je ne te donne que si tu me donnes une contrepartie… »
La proposition de fusionner les instances actuelles héritées du passé en un nouveau « conseil d’entreprise » a été présentée comme condition à l’acceptation de la représentation syndicale dans les TPE.
On met en place des techniques de rapport de force : celui qui propose de donner laisse entendre qu’il a le moyen de ne pas le faire si l’autre ne lui donne pas satisfaction.
C’est encore une question de méthode quand les règles du jeu sont subies et non négociées. Lors de notre interview, Éric Aubin (CGT) nous expliquait que :
- « C’est dans les locaux du MEDEF que se déroule la négociation. »
- « C’est sous la présidence du MEDEF que se déroule les négociations. »
- « C’est sur la base d’un texte fourni par le MEDEF que l’on discute. »
Il y a donc inégalité de situation dès le début de la négociation, et c’est à juste titre que la représentante FO déclare :
« on a passé la nuit à attendre pour entendre qu’il n’y a pas de texte. C’est ça, la modernisation du dialogue social ? »
C’est de nouveau une question de méthode quand le respect des acteurs n’est pas au rendez-vous. Pendant que le MEDEF menait des discussions bilatérales avec la CFDT, CFTC et CGC, les délégations CGT et FO attendaient dehors (car étiquetées comme syndicats potentiellement non signataires).
« La cogne », ou le débat ?
Michel Rocard considère que la cogne « mobilise les enthousiasmes », (vidéo) mais s’interroge quand à la qualité de ses résultats.
Il considère également que ce n’est pas à la loi de répondre aux besoins des acteurs sociaux, mais c’est à la négociation qu’incombe cette responsabilité.
Il existe effectivement de véritables outils de négociation excluant « la cogne ».
Premier exemple : la procédure à texte unique
Il s’agit d’impliquer tous les acteurs dans la rédaction d’un texte commun de référence. Hollande souligne que
« cet échec doit interroger le patronat et collectivement tous les partenaires sur une pratique de négociation qui, partant d’une proposition initiale très éloignée de l’équilibre, n’a pas permis de parvenir à un accord. »
Pour cela, cinq règles doivent être respectées :
- écrire le texte initial en commun plutôt que de « faire réagir » à son propre texte,
- se mettre d’accord sur des règles communes, comme le degré de confidentialité vis-à-vis des tiers, ou encore les noms des personnes qui rédigent,
- ne pas soumettre les textes à approbation, mais à critique (« Comment pouvons-nous l’améliorer ? Quels sont les avantages et les inconvénients pour chacune des parties impliquées ? »),
- ne pas oublier de soumettre l’accord aux critiques des absents. L’erreur courante est de venir proposer le texte entièrement rédigé aux parties prenantes,
- ne pas rechercher un tout ou rien, mais si un désaccord final subsiste, proposer deux ou trois options pour mieux parvenir à la décision définitive.
Deuxième exemple : construire des accords sur les désaccords
D’abord, se mettre d’accord sur le désaccord : « Sommes-nous d’accord pour dire que sur ce sujet, nous ne pourrons jamais nous mettre d’accord ? »
Ensuite, chercher les différences derrière les divergences : « Est-ce que le fait que nous soyons en désaccord sur ce sujet nous empêche d’aboutir à un accord sur d’autres sujets ? »
Les acteurs sociaux ont-ils atteint l’âge de raison ?
Le président de la République souhaitait le 20 janvier que les acteurs sociaux :
« ne demandent pas à la démocratie politique ce que la démocratie sociale ne serait pas capable de faire elle-même. »
C’est raté, et cinq questions subsistent :
• Pour moderniser le dialogue social, s’est-on mis d’accord sur des intérêts communs? Exemple : le premier intérêt commun à tous les acteurs sociaux était de ne pas laisser l’État légiférer.
• S’est-on mis d’accord pour ne pas s’enfermer dans des délais trop courts ?Exemple : remettre en cause soixante-dix ans de construction de Code du travail en quatre mois.
• S’est-on mis d’accord pour respecter chacune des parties ? Ne pas coller des étiquettes a priori sur des syndicats coopératifs, ou non coopératifs.
• S’est-on mis d’accord dans chacun des camps, patronaux comme syndicaux, sur des mandats de négociation suffisamment larges ? Exemple : le négociateur du MEDEF a rappelé à plusieurs reprises les contraintes de son mandat.
• S’est-on mis d’accord pour travailler prioritairement sur les freins au « oui », avant de camper sur ses positions ? Exemple : une grande partie des mandants n’étaient pas convaincus du bien fondé des options mises sur la table.
Un dernier mot :
« Nous devons prendre notre destin en main plutôt que de nous voir imposer des décisions de l’extérieur » argumentait Pierre Gattaz, président du MEDEF, vendredi 23 janvier. Il estimait que 90 à 95% du texte était acquis…
Pratiquer le dialogue social, ce n’est pas qu’une question de volonté, c’est une question de méthode. Ouvrons le débat, quelle est la vôtre ?
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