- “Ce con de Blanquer a déclaré que les devoirs à la maison ne comptaient pas dans le contrôle continu. Je fais comment pour les motiver?”
- Dis leur qu’il faut dépasser le temps de l’examen et ne pas se focaliser sur la note… dis leur de prendre exemple sur les sportifs qui, certes se préparent pour le match, la course, le combat et pour la performance mais qui s’entrainent aussi pour faire durer leur carrière dans le temps.
Facile à dire quand on n’est pas soi-même confiné avec des petits ou des ados dans un espace restreint où chacun doit trouver sa place et son activité à toute heure du jour, et parfois de la nuit…
Vivre à l’époque du coronavirus avec des enfants ou des adolescents nécessite des talents de négociateur que chacune et chacun possède sans le savoir.
Et paradoxalement cela commence par le cadrage du non négociable.
Stéphanie , la quarantaine, se trouve dans l’obligation de télétravailler avec Manuel, 9 ans et Milo, 6 ans.
Après avoir vécu deux jours de chaos généralisé au début du confinement, enfants errants en pyjamas toute la journée, bagarres généralisées, meubles servant de cabanes ou de cheval d’arçons, bref un appartement transformé en terrain de jeu, Stéphanie a pris une grande décision, celui de fixer un cadre en le négociant.
Stop! ce n’est plus possible! elle a enjoint à ses deux enfants et son conjoint qui, lui, partait travailler à l’extérieur, de se réunir autour d’une table pour élaborer une charte définissant de nouvelles règles du jeu.
Elle a demandé à Manuel, le grand, d’écrire sous la dictée, et au petit de dire à chaque étape s’il était d’accord ou pas.
Et en conclusion, chacun a du apposer sa signature en bas du document affiché dans les chambres et le salon.
Charte définissant les règles du confinement
8h, réveil et petit-déjeuner
9h, toilette et habillage
9h30, on joue chacun dans sa chambre, ou ensemble et on ne dérange pas maman qui travaille.
midi, élaboration du déjeuner ensemble.
12h30-13h30, déjeuner et vaisselle en commun.
13h30-16h30, travail scolaire, avec 10′ de pause pendant laquelle on a droit de déranger maman en ayant préparé et écrit (pour le grand) ses questions à l’avance.
17h-18h, sortie, détente dans le quartier en préservant les distances sociales.
18h30-20h30, écrans, dessins animés, jeux, etc.
20h30-21h30, dîner en famille.
21h30, coucher
Avec , prime en bas de la charte, sanctions prévues en cas de non respect, et clause hebdomadaire de révision en cas d’imprévus ou de difficultés d’application rencontrées.
Alinéa de bas de page: la charte ne s’applique pas le week-end.
Stephanie raconte les difficultés qu’elle a rencontrées et les ajustements auxquels elle a du procéder:
- effectuer chaque matin un appel nominal de ses propres enfants qui lui avaient exprimé leur désir d’ambiance scolaire; accepter que chaque matin et chaque fin d’après-midi, Manuel puisse déballer les objets de son cartable et les ranger à nouveau en fin de travail scolaire…
- modifier le type de sanction en éliminant celles qui se retournaient vers les intérêts des parents. exemple: priver les enfants d’écrans…
- Il a fallu également mettre en place des moments de plaisir inattendus, manger une glace, faire des crêpes, organiser hors temps prévu par la charte des jeux de sociétés, pour mieux faire admettre le principe du cadre, l’assouplir par surprise sans faire en sorte de créer des précédents…
Négocier quoi finalement?
Négocier de nouvelles règles du jeu.
Mélanie, la cinquantaine gère plutôt des adolescents avec son conjoint Émile; ils ont quatre enfants dont deux adolescents.
Elle utilise l’humour, la dérision. Cela permet de provoquer un petit temps d’observation ; l’adolescent se demandant ce que tu cherches à lui dire il va être légèrement déstabilisé; une certaine complicité va ainsi s’établir qui permettra alors de franchir plus facilement les obstacles pour emporter le OUI.
Autre chose, nous dit-elle, qui marche bien avec les ados, c’est de faire tous un truc ensemble. le même truc.
Exemple: notre libraire nous envoie des idées d’atelier d’écriture… Écrire un poème sur une fenêtre. Chacun a créé le sien et cela a été une très belle expérience de partage.
Nous avons aussi demandé aux enfants de faire une vidéo, un concours de portraits; il a été aussi intéressant de concevoir tous ensemble une pièce de théâtre dont le thème était: comment notre famille vit-elle le confinement?
Nous avons distribué les rôles de la façon suivante:
Chacun devait jouer le rôle de celle ou celui avec lequel il avait le plus de problèmes.
Mélanie a joué le rôle de son conjoint; Emile a choisi de jouer sa fille aînée, et ainsi de suite.
Les travers de chacun ont pu ainsi être exposés aux yeux de tous de manière humoristique et décalée.
Ne pas oublier, nous rappelle Mélanie, de leur demander de l’aide, matérielle et affective. En fait c’est comme si les frontières entre le monde de l’enfance et celui des adultes s’estompait. alors c’est aussi un peu comme si nos certitudes, nos habitudes, nos règles étaient finalement moins importantes et évidentes, et que la négociation se faisait davantage sur un pied d’égalité et en acceptant d’en créer ensemble les conditions. en fait je pense qu’il faudrait beaucoup plus écouter les enfants.
Cela suffit-il?
Non. car le choc est là. Il est bien présent dans la tête des enfants. Surtout les petits, nous disent les psychopédagogues invités dans l’émission de France Inter (https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-01-avril-2020), Grand bien vous fasse.
Les blessures seront invisibles et le choc émotionnel du confinement sera puissant sauf à le négocier.
Comment?
En accompagnant les émotions cachées chez nos enfants. L’anxiété est partout, elle environne l’enfant et, comme une éponge il l’absorbe sans en comprendre le sens immédiat, ni futur; les adolescents eux, on peut parler avec eux, on peut les aider à construire une histoire; mais avec les petits il va falloir les aider.
Ce qu’il ne faut pas faire
- ne pas leur dire, ne t’inquiète pas.
- ne pas chercher à les rassurer.
- leur dissimuler des informations, des morts proches, des difficultés.
- ne pas les protéger.
Ce qu’il faut faire?
- favoriser l’expression des émotions en leur disant que vous aussi, vous avez peur.
- partager l’imprévisible en leur projetant ce que vous pourriez faire de différent après.
- leur dire qu’il s’agit d’un événement exceptionnel.
- leur raconter l’histoire des générations précédentes.
- les projeter dans des actions immédiates.
- Et, surtout, aller vers eux; ne pas attendre qu’ils se plaignent,
En conclusion les enfants sont dans la résistance pour se protéger et ils risquent d’en garder des traces de douleur; il s’agit de favoriser la résilience.
Nommer l’anxiété chez l’enfant avant qu’il ne l’exprime, c’est reconnaître l’enfant.
Le traumatisme subi n’est pas le choc lui-même, mais la représentation mentale qu’il a de ce choc. Il s’agit donc de l’ aider à se le représenter de manière positive, et surtout constructive. L’histoire peut aider.
Ils sont en quête de liens?
Aller au devant de ce qu’ils peuvent ressentir et les aider à s’exprimer.
Ils sont en quête de sens?
Leur dire que tout continue, et qu’il faut qu’il construise parce que demain il sera encore là et ses parents aussi et qu’ils vivront ensemble, différemment mais avec de nouveaux projets.
Ils sont en quête de signification?
Les aider à matérialiser ce que cela leur apprend.
Yves Halifa
7 avril 2020
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