La guerre est redevenue un mode de résolution des conflits si tant est qu’elle avait disparu . En tout cas, depuis le brutal réveil du monstre assoupi depuis 1945, de froide elle est devenue chaude, voire brûlante. Le premier signal de son réveil avait été la brutale attaque de la Slovénie dissidente par la Serbie, puis l’embrasement régulier du Moyen Orient, Israël, Liban, Irak, Syrie sonnait le tocsin que les occidentaux n’entendaient que faiblement.
Peace through strength
Aujourd’hui, Donald Trump et son secrétaire d’État, Marco Rubio brandissent ce slogan qui leur sert de mantra qui aurait pour vertu de pacifier les conflits jusqu’à revendiquer la légitimité de la guerre pour faire la paix.
Mais, certains rappellent l’hésitation culturelle entre l’ouverture à la compréhension, la négociation et la nécessité d’être ferme.
Doux ou Dur?
Dur pour montrer le non négociable, disent les uns.
Doux pour laisser une chance à la paix et montrer l’exemple de la générosité, répondent les autres.
Dur sur les intérêts, doux sur la relation rappelle la doxa négociatrice.
“Si vous allez trop loin en tendant un rameau d’olivier, cela peut être exploité par vos adversaires. Mais de l’autre côté, si vous allez trop loin dans la posture guerrière, vous pouvez finir avec, non pas la paix par la force, mais la guerre par la force“
explique George Beebe (ancien analyste du renseignement américain, responsable à l’institut Quincy, cercle de réflexion qui prône la retenue en matière militaire) dans le quotidien La Libre.
Pouvoir, Droit et Raison
La négociation n’est pas et n’a jamais été le premier réflexe dans la résolution des conflits. Dans les États démocratiques, le premier recours c’est le Droit. Dans les États autocratiques c’est l’exercice du Pouvoir. Dans les États dits “illibéraux”, ce sont les techniques de ruse et de manipulation.
Aujourd’hui, l’Europe et ses citoyens ont tendance à éviter le conflit, à s’y résigner, à s’y soumettre ; c’est la descente des trois marches du compromis. Consentir à une concession pour l’éviter permet croit-on de sauvegarder la relation civilisée ; nous mettons ainsi, malheureusement, le doigt dans l’engrenage infernal de la soumission.
La Boetie, Locke, Weber et Foucault
Après Étienne de la Boétie qui a identifié les trois raisons de la soumission volontaire, la coutume, la reconnaissance, la tentation de jouir de l’immédiateté, Locke, philosophe anglais du Contrat social a montré que le citoyen négociant avec sa peur, confie sa destinée au gouvernement.
Ensuite, le sociologue allemand Max Weber, traduira l’exercice du pouvoir par le terme de Domination.
Elle prospère, nous explique-t-il, sur le terreau des situations de détresse psychique, physique, économique, éthique, religieuse, politique… Ainsi les personnes charismatiques, héros, magiciens, guides, vont-ils subjuguer les foules en les rassurant. Ils auront négocié la peur à leur profit.
Pour conclure, Michel Foucault analysant les phénomènes de domination met en évidence ce que les pouvoirs proposent comme alternative à l’abandon de la liberté : de nouveaux modèles d’asservissement en contrepartie de la soumission volontaire, telle la liberté de jouir de spectacles, de divertissements, de consommation…
Ainsi, la violence commence toujours par une négociation entre partenaires de forces inégales : tu te soumets à moi et je t’offre des illusions de liberté. Il s’agit d’un pacte faustien qui ne peut fonctionner que dans le court terme. Dans le long terme le prédateur voit se lever la révolte comme au Maroc de nos jours où la génération dite Z vient de prendre conscience que le Pouvoir leur propose des Stades de football en les privant de libertés essentielles, celles d’être convenablement soignés et éduqués.
Les peuples n’aiment pas être sous emprise trop longtemps…
L’Emprise
C’est essentiellement dans la production romanesque que l’on peut identifier les mécanismes de soumission.
C’est ainsi que l’on peut comprendre pourquoi ce sont les classes défavorisées argentines qui ont mis au pouvoir un président qui va leur couper, leur “tronçonner” leur a-t-il annoncé, les maigres filets de sécurité qui les empêchent de sombrer dans l’extrême pauvreté.
C’est ainsi, également que les Américains d’origine latino, qui ont voté en masse pour Trump vont se voir poursuivis dans les rues, devant les églises et les écoles par des voyous légaux (ICE) recrutés pour les pourchasser, les tabasser et éventuellement les expulser hors des États-Unis.
C’est ainsi que dans Emma Bovary, Gustave Flaubert fait parler de fins tacticiens tel Monsieur Rodolphe Boulanger :
Il avait trente-quatre ans ; il était de tempérament brutal et d’intelligence perspicace., ayant d’ailleurs beaucoup fréquenté les femmes et s’y connaissait bien. Celle-là lui avait paru jolie ; il y rêvait donc, et à son mari.
“Je le crois très bête. Elle est en fatiguée sans doute(…)
Et on s’ennuie ! on voudrait habiter la ville, danser la polka tous les soirs ! Pauvre petite femme ! Ça baille après l’amour… Avec trois mots de galanterie, cela vous adorerait, j’en suis sûr ! (…)
Oui, mais comment s’en débarrasser ensuite ?
On voit ici comment le prédateur part d’une hypothèse selon son expérience personnelle et ce dont il a hérité comme patrimoine archétypal : une femme mariée s’ennuie nécessairement et rêve d’aventures.
Les séquences qui vont conduire à l’emprise vont alors s’enchaîner tel un mécanisme horloger :
– Voici de gentilles pâquerettes, de quoi fournir des oracles à toutes les amoureuses du pays.
– si j’en cueillais ? qu’en pensez-vous ?
– est-ce que vous êtes amoureux, répond alors Emma, ?
– Eh ! Eh ! qui sait répondit Rodolphe.
Fin de la séquence de test.
Puis il enchaîne en resserrant la nasse :
– D’ailleurs quand on habite la campagne…
– Tout est peine perdue, dit Emma.
– C’est vrai ! réplique Rodolphe, songer qu’un. seul de ces braves gens n’est capable de comprendre ce qu’est un habit !
Ils parlent alors de la médiocrité provinciale des existences étouffantes, des illusions qui s’y perdent…
Fin de la seconde séquence, celle de seuls contre tous...
Et Rodolphe enchaîne des clichés. Emma ne les voit pas et pourtant ils sont grossiers et nous, observateurs extérieurs, nous les voyons, énormes ! et ils fonctionnent ! pourquoi donc ?
Parce qu’ils sont rassurants et que nous avons, en situation de détresse besoin d’être rassurés.
Puis vient la conclusion.
Expérimenter sans risque avec les partage des sens. Passer de la rationalité à l’émotion. Empêcher l’autre de réfléchir pour la faire plonger dans l’aventure. Je la touche : elle recule ? Tant pis ce n’est pas le bon moment. Elle accepte ? je vais grignoter le territoire petit à petit et elle cédera vite comme me l’a promis Sun-Tzu…
Il saisit sa main ; elle ne la retira pas.
Enfin, le tacticien prédateur va fignoler en utilisant son allié, le Temps.
Six semaines s’écoulèrent sans revoir Rodolphe. Il s’était dit : N’y retournons pas de sitôt, ce serait une faute.
En rentrant dans la salle il comprit que son calcul avait été bon, en voyant Emma pâlir.
– j’ai été malade.
– gravement ?
– c’est que je n’ai pas voulu revenir.
– pourquoi ?
– vous ne devinez pas ?
C’est ainsi donc, elle seule, Emma qui décide de tomber dans le piège.
Dans tous les univers on retrouve les mêmes tactiques qui nous font nous soumettre, et pas seulement dans l’univers amoureux.
On cherche à nous rendre demandeurs. puis se succèdent, absences, chantages, humiliations, scènes de jalousie, contrôle de nos activités, demandes de comptes, isolement de notre entourage amical, familial puis intimidations.
C’est dans l’univers romanesque que l’on apprend à reconnaître les prédateurs et leurs manigances.
Les personnages de la Comédie Humaine de Balzac y sont classés en catégories:
-les corrupteurs
-les corrompus
-les cormorans, qui en surface, nagent avec le corps très enfoncé en ne montrant que leur cou; très à l’aise sous l’eau ils peuvent nager en apnée jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur et s’y déplacer avec vélocité pour capturer leurs proies.
–les loups cerviers, sortes de lynx, qui chassent la nuit. leur territoire peut recouvrir celui de plusieurs femelles. En journée ils se reposent dans des caches.
La guerre n’est jamais là pour faire la paix. Elle n’existe que pour assoir, conforter, entretenir la domination des prédateurs sur leurs proies.
Et le Droit dans tout ça ?
Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites.
(La maison Nucingen. Balzac)
Veillons-donc à ne pas être de petites mouches.
Yves Halifa
19 octobre 2025
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