La police imaginaire ou la tactique du gendarme
- Bonjour, nous avons convoqué pour vous prévenir que si d’ici 24h vous n’avez pas accepté de diminuer votre tarif général de 10% vous ne ferez plus partie des prestataires référencés.
- Bonjour, nous vous avons demandé audience pour vous prévenir que si vous n’abandonnez pas votre projet de réforme des statuts des agents de notre entreprise d’ici 24h nous ne pourrons plus répondre des réactions des salariés et vous aurez une grève à durée illimitée reconductible à gérer qui vous coûtera probablement très cher.
- Bonsoir, mes chers concitoyens, devant la brusque accélération des indicateurs de propagation du virus c’est le retour de l’ATTESTATION de déplacement dérogatoire sous peine d’une première amende de 135 euros, et plus en cas de récidive.
- Bonsoir les enfants, si d’ici 5 minutes vous n’êtes pas couchés vous aurez une fessée mémorable…
Dans tous ces cas on fait donner la police en espérant que cela provoquera un effet d’obéissance.
Mais, comme le dit un conseiller du cabinet du Ministre de la santé :
« On ne peut pas s’engager sur quelque chose de très dur si c’est pour que ce ne soit pas respecté ».
En effet, la menace n’est suivie d’effet que sous certaines conditions :
- Il faut que celui qui menace en ait les moyens…
- Il faut qu’il ait réellement l’envie de passer à l’acte…
- Il faut que celui qui est menacé ait peur…
- Il faut que celui qui est menacé ne conteste pas celui qui menace…
Et surtout, que celui qui reçoit l’injonction ait intégré un réflexe social d’obéissance.
C’est ici qu’intervient alors le nudge !
NUDGE ? petit coup plutôt que coup de bâton !
En français, un petit coup de coude, ou coup de pouce…
L’attribution du Prix Nobel d’Économie 2017 à l’Américain, Richard Thaler, a permis de mettre l’économie comportementale et les nudges à l’honneur.
Par définition un nudge est une intervention qui consiste à conserver la liberté personnelle de choisir mais qui oriente les comportements sans faire culpabiliser ou contraindre la personne concernée.
Les processus de décision du cerveau humain sont avant tout dictés par la valorisation du court terme, la norme sociale, l’aversion au risque, et bien d’autres biais cognitifs. « Au total, on en recense aujourd’hui plus de 180 », explique Christophe Benavent, professeur à l’université de Paris Nanterre.
Comment utiliser ces biais cognitifs pour orienter, dans le sens souhaité, la décision du citoyen sujet?
Quel est le meilleur footballeur du monde, Ronaldo ou Messi ?
C’est en ces termes que les fumeurs londoniens étaient invités en 2015 à jeter leurs mégots dans l’un ou l’autre compartiment d’un grand cendrier jaune canari en forme d’urne électorale à Villiers Street, une rue très passante à quelques mètres de Big Ben. En six semaines, le volume de mégots jetés sur les trottoirs a chuté de 20%.
De la même façon la facilité de conversion à la télédéclaration des impôts a été nudgée:
Dans le mail envoyé pour rappeler la période de déclaration de l’impôt sur le revenu, il était précisé que plus de 13 millions de personnes utilisaient déjà le site impots.gouv.fr. De quoi inciter les contribuables à suivre l’exemple de ces nombreux « bons élèves ».
https://www.lesechos.fr/weekend/perso/le-nudge-ou-comment-corriger-les-biais-humains-1211803
Le nudge vient alors modifier son environnement, et donc son “architecture de choix pour l’inciter (et non le contraindre) à prendre la bonne décision.
Faire valoir des techniques d’influence douce qui peuvent faire changer les comportements plus sûrement que des lois, des interdits, ou des ordres.
Le Nudge, une manipulation douce et éthique?
Modifier les comportements, aider les gens malgré eux, les faire sortir de ce qu’on appelle l’irrationnel pour les faire entrer dans une logique comportementale décidée par des décideurs, des experts ; les développeurs et les clients du nudge, compagnies d’assurance, sociétés de transport , administrations chargées de conduire des politiques publiques insistent tous sur le caractère éthique du nudge, ce serait, affirment-ils, une « manipulation pour aider les gens, et pas contre eux… »
Or la frontière entre manipulation éthique et perverse est très floue dans la réalité.
L’un des axes concrets de la mise en place du comportement souhaité, jeter ses mégots au bon endroit, mettre sa ceinture de sécurité dans un bus, pisser en visant juste, accepter de se faire vacciner, se révèle surtout dans la création d’un mimétisme social qui consiste à faire comme le voisin, comme tout le monde.
Pourquoi pas demain, dénoncer son voisin qui ne met pas ses ordures dans la bonne poubelle, voter comme tout le monde ?
On entend déjà à la radio ce spot publicitaire pour télécharger l’application « TousAntiCovid » : déjà 12 millions de personnes l’ont fait ; pourquoi pas vous ?
Déjà un million de personnes vaccinées ! hurlent les médias déjà gangrenés par le Nudge…
Peut-on donc se passer du Nudge ?
Peut-on devenir responsable sans être manipulé ?
Comment négocier face à la manipulation sociale et psychique ?
Première réponse : être responsable sans soumission aveugle.
Seconde réponse : A quand un autre prix Nobel d’économie comportementale pour des recherches sur le thème de “Responsabilité individuelle et collective” ?
conclusion
Dans ses Mémoires, James Comey, l’ancien directeur du FBI, licencié par l’ex président Trump, avait comparé, son fonctionnement à celui d’un chef mafieux, pointant « le cercle silencieux de l’assentiment. Le patron en contrôle total. Les serments de fidélité. La vision du monde qui se résume à “nous” contre “eux”. Le mensonge sur toute chose, grande et petite, au service d’un code de loyauté qui place l’organisation au-dessus de la morale et au-dessus de la vérité ».
Ce qui a donné récemment « on nous a volé notre élection » puis l’envahissement du Congrès américain par des hordes de nudgés…
François Sureau dans son dernier ouvrage, ma vie avec APOLLINAIRE, ( Gallimard) fait résonner deux époques, celle de la fin de la première guerre mondiale et de la grippe espagnole avec la nôtre, celle de la pandémie du COVID19 :
« D’un côté l’amour de l’art ; de l’autre, la bêtise du prédicateur qui juge qu’entre tous les spectacles seul celui du pétomane est sans danger, la violence des gouvernements qui finiront par décréter l’enfermement des poètes. »
https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/connaissez-vous-le-nudge
Plutôt que de nudger les foules, pourquoi ne pas les préparer à la tolérance à l’incertitude, qui pourra les aider à plus de responsabilités en consolidant leur santé psychique.
Ne plus avoir le sentiment d’être manipulé, même pour son bien, ne pas se trouver dans des impasses ou se sentir piégé, passe par l’acceptation qu’on ne peut pas tout maîtriser mais qu’on peut vivre ensemble avec une meilleure affectio societatis.
Yves Halifa. 25 janvier 2021
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