Étienne de La Boétie, dans le Discours de la servitude volontaire, publié en 1576, pose la question de la légitimité de toute autorité sur une population et essaie d’analyser les raisons de sa soumission.
la servitude volontaire n’est ni une contrainte, ni une obéissance, elle met en jeu notre capacité à assumer notre liberté.
La Boétie cite l’exemple de l’éléphant qui négocie l’abandon de ses défenses d’ivoire contre sa liberté face aux chasseurs.
Combien d’individus, de peuples, abandonnent la négociation pour la tranquillité de la soumission?
Est-elle d’actualité, cette soumission, lorsque dans le monde entier, et en particulier en France, les démocraties imposent le port du masque?
Est-elle d’actualité quand celui-ci est contesté au nom des libertés individuelles?
Est-elle d’actualité quand le Conseil d’État est saisi en référé pour se prononcer sur l’obligation du port du masque sur la voie publique?
Concernant ce cas d’espèce, le Conseil d’État a jugé, a érigé l’utilité et la simplicité comme motifs de sa décision de conforter les politiques publiques de restriction des libertés individuelles… et a confié aux détenteurs de cette autorité une capacité de discernement dans son application.
…c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être esclave, ou d’être libre, quittera liberté ou prend le joug…
N’est ce pas ce que veut dire l’éléphant qui, s’étant défendu, jusqu’à n’en pouvoir plus, ne voyant plus d’issue, étant sur le point d’être pris, enfonce ses mâchoires et casse ses défenses contre les arbres, tant le grand désir qu’il a de demeurer libre tel qu’il est lui donne de l’esprit et l’incite à marchander avec les chasseurs pour savoir si pour le prix de ses défenses il en sera quitte…
La Boétie identifie trois raisons de se soumettre volontairement:
La première raison de la servitude volontaire, c’est la coutume… les hommes naissent libres… Ils deviennent esclaves et sont élevés comme tels…
La seconde raison c’est la reconnaissance, l’amitié… On se dit qu’on peut confier l’exercice de sa liberté, accorder sa confiance à quelqu’un qui a du mérite.
La troisième raison c’est la tendance à vouloir jouir de l’immédiateté, ce qui nous fait oublier le désir naturel de liberté.
Établir des bordels, des tavernes et des jeux publics…les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux, et autres drogues du même acabit…étaient ce dont disposaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous leur joug.
Qu”est-ce que la soumission volontaire?
Chez Locke, philosophe anglais du Contrat social, le consentement est l’acte individuel, libre, volontaire et artificiel par lequel un nombre quelconque d’hommes renoncent au pouvoir qu’ils tiennent du droit naturel et le confient au public s’assemblant ainsi en une communauté de citoyens. Il s’accompagne d’un acte de confiance envers l’autorité législatrice établie par le pacte.
Se soumettre volontairement c’est aussi négocier sa peur…
La France a peur… c’est souvent ce genre de phrase médiatique qui a fait élire des gouvernements autoritaires et non démocratiques.
Gouverner par la peur, est un grand classique pour obtenir l’adhésion à sa politique.
Elle se décline généralement en trois temps:
le premier temps, celui de l’inquiétude: celui qui scande les peurs, l’ensauvagement des jeunes générations , les statistiques mortifères, l’insécurité généralisée…
le second temps: celui de la conjuration: celui du complot, de l’invasion, des étrangers…
le troisième temps, celui de la bonne nouvelle: nous sommes là et nous avons les solutions, confiez-nous les clés de la bonne administration…
Michel Foucault insistait sur le fait que les pouvoirs proposent des libertés qui, en contrepartie, constituent de nouveaux modèles d’asservissement: liberté de jouir de spectacles, de divertissements, de consommation…
Au lieu d’imposer une intériorisation des interdictions, on vous offre des occasions d’épanouissement personnel qui constituent en même temps des pièges dans lesquels vous vous trouvez emprisonnés.
Soumission et consentement vont souvent de pair avec cette jouissance qu’est la contrepartie.
C’est souvent dans la littérature que l’on trouve les explications les plus clairvoyantes des perversions humaines; en particulier de ce que l’on nomme aujourd’hui dans le cadre des violences entre sexes, l’emprise.
Boris Pasternak, prix Nobel de littérature, illustre dans son roman universel, Le docteur Jivago, les mécanismes de la soumission sexuelle volontaire et du phénomène de l’emprise.
Il était sa malédiction, elle le haïssait. Ses pensées refaisaient chaque jour le même chemin.
Elle était maintenant sa prisonnière pour toute la vie.Par quoi l’avait-il asservie? Comment lui extorquait-il sa soumission, lorsqu’elle se rendait, lorsqu’elle satisfaisait ses désirs et lui faisait savourer le frémissement de sa honte sans fard? Devait-il cela à l’ascendant de l’âge, à la dépendance financière, (…), à l’habileté du chantage qu’il exerçait sur elle?
Non, non et non. (…)
Ce n’est pas elle qui est soumise, c’est lui. Ne voit-elle donc pas comme il se languit d’elle? Elle n’a rien à craindre, sa conscience est pure. Toute la honte, toute la peur doivent être pour lui, s’il songe qu’elle pourrait le démasquer. Mais justement elle ne le fera jamais. Ce qui lui manque c’est ma bassesse qui fait la force de K à l’égard des subordonnés, des faibles. (…)
Et le fort est entre les mains du faible.
Et plus loin dans le roman, Pasternak décrit les contradictions qui sont comme une toile d’araignée dans laquelle se débat la lycéenne Lara…
Avant son passage dans la dernière classe du lycée, six mois de liaison avec K avaient passé la mesure de la patience de Lara. Il était très habile à profiter de son abattement, et lorsqu’il le lui fallait, il savait, sans le faire paraître, lui rappeler subitement son déshonneur. Lara tombait alors dans le désarroi que les voluptueux cherchent chez les femmes.
Ce désarroi la livrait chaque jour davantage au cauchemar sensuel qui lui faisait dresser les cheveux d’horreur lorsqu’elle était dégrisée.
Les contradictions de la démence nocturne étaient pour elle de la magie noire. Tout y était sans dessus dessous et au rebours de la logique, une douleur poignante s’exprimait par des éclats de rire argentin, la lutte et le refus signifiaient le consentement et la main de nouveau était couverte de baisers de reconnaissance.
On se soumet donc collectivement et individuellement.
En prendre conscience c’est déjà le début de l’autonomie et de la libération. Mettre des noms sur ses peurs, sur ses jouissances et les mesurer à l’aune de sa liberté c’est un chemin long et difficile.
Aujourd’hui en France, la parole se libère, le droit évolue, l’indépendance de la Justice, l’indépendance de la presse, sont à préserver et à améliorer pour que les citoyens puissent faire comme l’éléphant de La Boétie, négocier avec les chasseurs de liberté qui sont encore très nombreux.
Yves HALIFA
7 septembre 2020
Bravo Cher Yves, lumineux (comme d’habitude !).
A bientôt,
On peut citer La Fontaine avec la fable du loup et du chien.
Une des raisons qui nous fait oublier le désir naturel de liberté c’est le besoin de sécurité d’avoir ses besoins élémentaires assouvis.
On peut la rapprocher de la 3e raison citée par La Boetie (volonté de jouir de l’immédiateté)
Vous ne courez donc pas où vous voulez?
Pas toujours mais qu’importe?
Il importe si bien que de tous vos repas, je n’en veux en aucune sorte (répond le loup)
merci Anne d’enrichir la réflexion… je ne manquerai pas de te citer, avec ton approbation bien sûr, dans la suite de cet article que je publierai bientôt…
Bonjour,
J’avais écrit ce texte en 2012, “La Boétie : un contemporain de la servitude volontaire !”
Mes références sont moins philosophiques pour étayer ce discours, mais associé à d’autres auteurs plus contemporains, la servitude devient presque un état de faits.
Un détail toutefois, Étienne de la Boétie est mort en 1563 à l’âge de 33 ans et le discours aurait été écrit en 1548.
http://denis-garnier.over-blog.com/article-la-boetie-un-contemporain-de-la-servitude-volontaire-113210949.html