A l’instant où la fragilité des pouvoirs politiques, familiaux et entrepreneuriaux apparaît en pleine lumière, Claude Gauvard, historienne, trace la saga des décideurs dans un article du Monde des Livres daté du vendredi 2 octobre 2020.
Qu’est-ce que l’art de gouverner?
Gouvernants et gouvernés sont montrés dans un face à face historique entre le palais de Minos à Cnossos où le Minotaure dévorait les proies humaines qu’on lui apportait d’Athènes en tribut de la défaite passée, et Versailles avec son rituel glacé;
face à face entre les beffrois du nord de l’Europe et les tours du sud qui affirmaient le pouvoir des édiles et des princes.
Dominants et dominés se sont toisés au cours des siècles dans des tensions qui parfois rompaient l’équilibre.
Émeutes urbaines, jacqueries paysannes, révoltes et parfois révolutions, il fallait, pour les gouvernants, anticiper et réguler.
Cahiers de doléances, visites royales dans les cités potentiellement rebelles, cérémonies avec fêtes et pavois, spectacles munificents où étaient conviés les gouvernés.
Au niveau des royaumes et des principautés, l’organisation d’États généraux au cours desquels des requêtes étaient adressées fait écho aux “concertations” d’aujourd’hui qui évitent ainsi d’avoir à partager le pouvoir de la décision ainsi qu’aux sondages d’opinion qui permettent d’enregistrer la température politique.
Au niveau des entreprises, la mise en place de baromètres sociaux et autres observatoires, l’installation de diagnostics “partagés” et de groupes de travail permettent de ne pas avoir à négocier et d’éviter ainsi toute cogestion.
Parfois, les gouvernants devaient réformer pour ne pas avoir à affronter la passivité et la résistance des gouvernés.
Claude Gauvard nous alerte en ce sens que réformer assoit le pouvoir de gouverner plus qu’il ne le conteste:
Il permet à toutes les institutions, justice, finances, enseignement, etc., de mettre à plat ce qui constitue leur armature réglementaire, d’énumérer ceux qui les servent et, à terme, d’en assurer la pérennité.
Par la voix de la réforme, les gouvernants entendent , disent-ils, la voix du peuple qui réclame un changement. Mais la réponse revient à ordonner…
Ainsi face à la réforme, la peur, la peur de perdre, des positions, des acquis, des habitudes, des rentes parfois, crispe la situation et les gouvernants temporisent et font des compromis.
Compromis qui retardent les décisions, montrent la faiblesse du fort, engendrent l’incertitude voire le sentiment de l’injuste et de l’incompréhensible.
Alors apparaît le marginal, le recours, la force que l’on confond avec l’homme fort.
Finalement tous ont peur.
Les gouvernants du peuple, les gouvernés des décideurs.
Cette contribution s’inscrit dans un colloque, les 23ème rendez-vous de l’histoire, qui va se tenir du 7 au 11 octobre avec les thèmes suivants, aussi révélateurs des préoccupations d’aujourd’hui:
– Faut-il laisser les médecins gouverner?
– Pandémie et mondialisation: le retour de l’Etat souverain?
– Gouverner en guerre: de Périclès à François Hollande.
– Médecins, militaires, astrologues…Quand les experts prennent le pouvoir.
Et enfin…
Ne nous libérez pas on s’en charge!
Une histoire des féministes de 1789 à nos jours.
En écho à ces réflexions sur l’art de gouverner, un livre, un pavé de 800 pages, vient d’être lancé dans la vitrine des bonnes librairies:
M, l’enfant du siècle , (Antonio Scurati, éditions les Arènes).
Cet ouvrage, roman et essai à la fois, retrace le parcours de Mussolini à partir de 1919, qui va ramasser, avec une habileté tacticienne, le pouvoir corrompu de la vieille gouvernance faite d’une multitude de compromis de plus en plus éloignés des gouvernés, qui, in fine, vont se retourner vers un Duce, un chef, un gouvernant qui va durcir le pouvoir. Il va d’abord faire peur, puis il va rassurer et enfin gouverner sans jamais négocier, ni même concerter.
On connaît la chute.
Il peut être intéressant de connaître les débuts.
Car on ne sait pas comment ça commence mais on sait comment ça finit.
Je le sais bien, moi qui suit le marginal par excellence, le protecteur des démobilisés, l’égaré cherchant sa route. Malgré tout, nous sommes à la tête d’une entreprise, et il est nécessaire de la faire tourner. Dans cette salle à moitié vide, je flaire le siècle, les narines dilatées, puis tends le bras,
je tâte le pouls de la foule et suis certain que mon public est là.
Le réalisme qui succède à chaque inondation m’a ouvert les yeux: l’Europe n’est plus qu’une scène de théâtre privée de personnages. Tous ont disparu: les hommes barbus, les pères monumentaux et mélodramatiques, les libéraux magnanimes et geignards, les orateurs grandiloquents, cultivés et brillants, les modérés et leur bon sens… les politiciens en déconfiture qui vivent la peur panique de l’effondrement imminent …
Quand deux éléments se battent et sont irréductibles, la solution réside dans la force.
Lui, l’homme fort, promet que la situation sera éclaircie “sur toute la ligne”.
Pour terminer, personne ne voulait se charger de La Croix du pouvoir. Je la prends, moi.
Ainsi Antonio Scurati fait parler Mussolini le fondateur du fascisme, celui qui a réussi à faire peur aux gouvernants et aux gouvernés pour mener tout son monde à la catastrophe.
L’art de gouverner?
Peut-être l’art de négocier…
Le 4 octobre 2020.
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