Comment négocier avec soi-même ?
Droit, Justice et humanité.
Gallimard vient de republier un petit ouvrage de François Sureau qui contient une grande leçon d’humanité : Le chemin des morts.
Il commence ainsi :
« En 1983, je venais d’entrer au conseil d’État en qualité d’auditeur de seconde classe… Lorsque le secrétaire général me proposa une affectation à la commission de recours des réfugiés, (aujourd’hui, CNDA, cour nationale du droit d’asile http://www.cnda.fr), j’acceptais d’enthousiasme… »
François Sureau nous conte ensuite le drame qu’il vécut en rapportant devant la cour le dossier d’un réfugié basque menacé d’une mort quasi certaine en cas de retour en Espagne.
Ce pays venait de quitter le franquisme et avait rejoint le camp des états démocratiques.
Comment faire pour octroyer le statut de réfugié à un militant basque qui ne risque plus rien, en droit, de la part d’une démocratie, alors que le risque d’être poursuivi par des assassins de l’ex police franquiste était certain ?
« Les règles de droit étaient claires. J’en discernai immédiatement toute la rigueur, même si je jugeais impossible de nous en affranchir. »
« L’Espagne était devenue démocratique et nous n’avions plus de raisons de garder sur notre sol les réfugiés espagnols, basques ou non.”
Lorsque la convention de Genève évoque des persécutions, il faut, pour que la victime puisse obtenir le statut de réfugié, que l’État en soit directement responsable.
“Pour sauver Ibarrategui, j’aurais donc dû soutenir, sans preuves et sur la base d’intuitions, que l’État espagnol n’avait changé qu’en apparence… »
Le jugement
La cour décida donc de rejeter la demande d’asile du basque et quelques mois plus tard on put lire le dénouement dramatique des conséquences de ce refus:
« Le militant basque espagnol, Javier Ibarrategui a été assassiné hier à midi à pampelune par deux tueurs à moto. »
François Sureau s’interroge :
« Ai-je eu peur des conséquences ? pas même, et d’une certaine façon c’est bien le pire. Je ne risquais rien, et les autres membres de la commission non plus, sinon cette espèce de discrédit à la fois intellectuel et moral que les juges craignent par-dessus tout… »
Il se souvint :
« Comme je lui répondis en faisant du droit, il me regarda avec tristesse… »
La commission n’avait pas vu pour quelles raisons condamner le nouveau gouvernement démocratique espagnol.
Il tire sa propre conclusion :
« Trente ans ont passé. J’ai ma vie d’homme. Ce souvenir ne m’a jamais laissé en repos… Je suis devenu avocat. Il était là dans mon dos, pour me pousser à parler fort, sans rien céder, moi qui n’aime guère combattre. »
Et aujourd’hui ?
La législation a évolué. Le nombre de demandeurs d’asile a explosé.
Voici quelques statistiques :
36 233 personnes ont été protégées en France l’an dernier par l’Ofpra ou la CNDA, en hausse de 35% par rapport à 2015.
85 244 demandes d’asile ont été enregistrées en 2016, soit une hausse de 6,5% par rapport à l’année précédente.
l’Ofpra a reçu 143 170 demandeurs d’asile.
L’Ofpra a rendu 89 500 décisions en 2016
Mais derrière ces statistiques, il existe des hommes, des parcours, des récits.
Combien de Javier Ibarrategui ?
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