Le concert des immobiles 1
Depuis quelques jours le débat public fait rage. Une réforme, celle du collège, associée à une refonte des programmes d’histoire fait l’objet d’une agressivité inégalée depuis le « mariage pour tous ». Le « concert des immobiles » comprend les « pseudo-intellectuels » 2 qui s’opposent à ceux qui bougent et qui savent penser. Est-il possible de réformer sans provoquer de crispations ? Comment répondre à une exigence d’excellence pour certains et une logique d’égalité des chances pour d’autres?
L’annonce de cette réforme provoque le débat. Les experts s’en mêlent sans que véritablement le débat démocratique ait pu avoir lieu.
Pourquoi le débat n’a t-il pas précédé l’annonce de la réforme ?
Le gouvernement dit qu’il a débattu, qu’il a consulté, qu’il a préparé la réforme avec des « rapports de terrain » présentés au C.E.S.E.
Aujourd’hui devant le tollé et la confusion, ce même gouvernement argumente et concède que des ajustements peuvent encore avoir lieu. Il existe en effet de nombreuses propositions de réformes alternatives (dont le collège modulaire par exemple). Mais il publie le décret ! Donc plus de débat?
On a préparé certes, mais avec qui ?
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
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Une fois de plus une réforme, aussitôt lancée, aussitôt critiquée. Et surtout, une réforme de l’Éducation nationale. Combien de ministres s’y sont cassé les dents. Comment a-t-on fait cette fois-ci ? Quels processus a-t-on utilisé ?
- « J’ai présenté la réforme début mars, nous avons négocié pendant un mois avec tous les syndicats pour l’améliorer. »
- A plusieurs reprises, la ministre a rappelé que la réforme avait été approuvée à 51 voix pour (23 contre) par le conseil supérieur de l’Éducation début avril. La semaine dernière, face à la fronde, elle a également demandé à une autre instance, le Conseil supérieur des programmes, de rendre plus lisibles les articulations des cours de français avec les langues et cultures de l’Antiquité, afin d’apaiser les professeurs de lettres classiques, mécontents de la suppression des options latin et grec. »
On ne le dira jamais assez, il faut du temps. Mais les acteurs du débat étaient-ils les bons ?
Christian Chevalier syndicaliste, répond : “La réforme n’est donc pas sortie du chapeau. Elle a même été négociée avec les organisations syndicales depuis des mois, ce qui a d’ailleurs fait évoluer le projet de départ.”
Pourquoi alors autant de résistances ?
Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire
Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ;
J’évite d’être long, et je deviens obscur.
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Les objets de la réforme sont nombreux:
- nombre d’heures de latin et de grec (ça fâche l’élite…)
- classes bilangues (ça fâche des profs et des parents)
- EPI: enseignements pratiques interdisciplinaires. (ça fâche les enseignants)
- 20% du temps scolaire laissé au libre choix du Conseil pédagogique de chaque collège, c’est-à dire à son président, le directeur. (ça fâche des enseignants qui ont peur du “syndrome du petit chef…)
Les réactions des enseignants sont foisonnantes:
- « Nous allons devoir travailler avec d’autres professeurs… »
- « On n’arrive pas à se faire entendre. »
- « C’est chronophage »
- « Il n’y a pas les moyens pour faire face… »
- « Nous allons avoir une vraie liberté pédagogique. Le ministère fait confiance aux équipes. »
- « Il faut qu’il y ait une culture du projet. »
Voulez-vous du public mériter les amours ?
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme…
Les réactions et contre réactions des intellectuels et des politiques fusent :
Edwy Plenel, journaliste de Mediapart: “Vous mettez en guerre les Français contre eux-mêmes, au lieu de nous prendre tels que nous sommes“.
Alain Finkielkraut, philosophe : « Vous êtes un “journaliste fouille-merde“…
Luc Ferry 5, Pascal Bruckner 6, Jean-Pierre Le Goff, Jacques Julliard 7 déclarent qu’on bricole « au risque de dénaturer des valeurs communes ». « Scandaleux ! Débiles ! Désastreux ! Immondes ! » sont autant de qualificatifs employés dans le débat.
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes.
Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs…
On oppose la nécessité d’enseigner « le Roman national » face à ceux qui font preuve de « pédagogisme ». Les frontières politiques se brouillent, Jack Lang et Bruno Lemaire se retrouvent dans le même camp malgré eux…
Certains crient, comme Antoine Prost 8 : « Marre de la nostalgie élitiste ! »
La réforme a pour but de réduire l’inégalité des chances au collège, le débat porte sur l’identité culturelle.
Le débat dérive vers le champ de bataille de ceux qui sont dans le camp de la réussite individuelle et de ceux qui veulent améliorer la réussite pour tous.
Les arguments destructeurs de débat positif sont face à face pour accentuer le conflit et non pour le résoudre.
La réforme, la grève et le débat
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Préparer, conduire et mettre en place une réforme nécessite une organisation inverse de ce que fait et refait l’État jacobin.
On pense seul ou à quelques-uns ; on consulte les organes habituels de la démocratie représentative ; on commandite des expertises, des audits, des inspections. Puis on lance les mots de la réforme. On observe les réactions. On temporise en argumentant. On cède sur les points qui paraissent les plus explosifs et parfois, on recule en rase campagne en sacrifiant le ministre-fusible.
Où en est-on dans ce schéma catastrophique ?
Observons la réponse de la ministre face à une question d’un journaliste du Point :
Le journaliste : « La présentation des disciplines et savoirs donne lieu à la création d’une novlangue étrange. On parle de “traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête” dans un “milieu aquatique profond standardisé” au lieu de faire de la natation dans une piscine… “Créer de la vitesse” au lieu de courir. “Produire des messages à l’oral et à l’écrit” au lieu de faire des exposés et des dissertations… Comment pouvez-vous laisser faire cette dérive sémantique ? À quoi tout cela rime-t-il ? »
La ministre : « Le Conseil supérieur des programmes a remis ses projets de programmes pour l’école et le collège il y a quelques jours. Les enseignants comme tous les professionnels utilisent un vocabulaire expert. Toutefois, je souhaite et je demande que les programmes soient lisibles par tous et donc écrits dans une langue que tout le monde peut comprendre. Une consultation des enseignants est organisée du 11 mai au 12 juin sur ces projets de programmes. Elle permettra de les améliorer et de les rendre plus clairs. »
Voici donc en pleine lumière le symbole qui cristallise l’ensemble catastrophique du processus de lancement d’une réforme : le langage expert. Celui qui signifie que les autres ne peuvent comprendre la technicité du débat. Celui qui s’enferme dans ses propres certitudes.
En conclusion
Débattre devrait précéder réformer. Débattre devrait précéder faire grève.
Le débat actuel est sauvage car il se meut dans les tourbillons du pavé dans la mare du collège lancé par les « sachant ».
Les opposants sont nombreux et désorganisés et ne trouvent leur salut, pour se compter et faire pression, que dans la grève.
Innover démocratiquement c’est négocier.
Négocier, c’est débattre et partager avec tous avant de concevoir et d’annoncer une réforme.
S’opposer en proposant de nouveaux axes de réformes c’est aussi débattre et négocier : pourquoi mardi dernier, les syndicats d’enseignants n’ont-ils pas proposé des états généraux de l’enseignement dans les collèges en invitant parents, administration et enseignants à débattre de solutions différentes de celles proposées par les « sachant » et les experts ?
Nous aurions pu voir apparaître des solutions réellement négociées et de ce fait de nombreux acteurs auraient ainsi adhéré à cette réforme.
Un dernier mot : les conseils de Boileau
Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique.L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer ;
Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur,
Mais sachez de l’ami discerner le flatteur :
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.
Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.
Yves HALIFA
21 mai 2015
Bonjour Yves,
Je suis bien d’accord pour condamner le langage expert (“novlangue”) trop utilisé par les organisations, publiques comme privées.
Mais, il faudrait aussi qualifier le langage des politiques et des intellectuels : partisan, c’est normal, réducteur et outrancier, ce n’est pas normal !
D’un côté, le Conseil supérieur des programmes ne respecte pas la compréhension de ses administrés, encore moins des citoyens.
De l’autre côté, les politiques et les intellectuels ne respectent pas les opinions qui leur sont contraires …
Une remarque, pourquoi certains intellectuels paraissent-ils aussi alignés sur les politiques ?
S’agissant du débat citoyen en France, je crois qu’il y a une majorité excédée par ce “dialogue de sourds” ! Alors, comment induire le respect des 2 côtés de la table ?
Amicalement,
Bernard Soulez
Bonjour
Yves,
Le langage expert, dont tout pseudo sachant se réclame d’être un maître,
produit, dans un deuxième temps, de l’acronyme, ce qui rend le discours
encore plus abscons. Autrement dit, avoir l’air d’un sachant et servir
d’un discours d’apparence pour faire du terrorisme intellectuel reste
l’apanage de ceux qui se prennent pour l’élite. Or, bien souvent, ces
experts ont oublié la généralité. Il sont les spécialistes d’une
discipline déconnectée du reste du monde, en complète inconscience des
réalités sociales. Ainsi en va t-il des politiciens et des enseignants.
Le langage expert ne sert que de cache-sexe à ces impuissants de la
démocratie. La preuve: les enseignants ont réussi à mobiliser les élèves
du lycée contre la réforme des retraites. Hallucinant! Beau mélange des
genres!
Là, au regard d’une réformette voulue par la belle Najat pour satisfaire
ce que j’appelle le syndrome du “lever de papatte” propre à chaque
ministre qui voudrait marquer son époque (on est loin de J. FERRY et de
J; ZAY), on se noie dans des atermoiements, qui, de compromission en
compromission visent à préserver la paix sociale par peur d’un
“mouvement”. Les profs, aidés par des étudiants manipulés et en mal
d’agitation ont eu la peau de tous les ministres auteurs de réformes. Le
mammouth est congelé, il est bien tard pour le dégraisser. Faut-il que
l’on laisse la carcasse pourrisse et qu’on laisse faire la loi de
l’évolution?
Le problème est que le courage politique nécessaire à entreprendre de la
réforme, constitue en soi un paradoxe. Ces deux mots sont, hélas
antinomiques. Je me heurte ces temps-ci, à une remise en cause d’accords
d’entreprise, obsolètes, injustes et inapplicables. Le spectre de la
grève pourrait faire reculer celui qui ne serait pas déterminé. Il
convient alors de discerner vraiment ce qui relève du risque réel ou
d’un tigre de papier agité comme un étendard au couleurs d’une
démocratie qui ne s’accepte pas.
Mais, il est vrai, qu’avant de vouloir réformer des répartitions de
matières à étudier, il conviendrait peut-être de considérer ce qui
fonctionne, et ce qui est inefficient. Non? Par exemple, viser la
maîtrise du français et des enseignements de base avant de franchir les
étapes d’une scolarité par ancienneté dans le “poste”. Penser à aérer le
cerveau des élèves par le civisme, le mouvement, l’art, puis les amener
à penser par eux-mêmes, plutôt qu’à réfléchir sur des éléments qui ne
les concernent pas, ou dont ils ne comprennent pas le sens. Alors, oui,
les sachants et les “nseignants devront alors oser sortir des sentiers
battus, comme ce prof osait le faire dans “le cercle des poètes
disparus” joué par l’excellent et regretté Robin WILLAMS. Il y
démontrait que les sciences humaines restent dans la techniques, alors
que la pédagogie est un art.
Bien amicalement.
Bernard.
Bonjour Yves,
Le langage expert, dont tout pseudo sachant se réclame d’être un maître, produit, dans un deuxième temps, de l’acronyme, ce qui rend le discours encore plus abscons. Autrement dit, avoir l’air d’un sachant et servir d’un discours d’apparence pour faire du terrorisme intellectuel reste l’apanage de ceux qui se prennent pour l’élite. Or, bien souvent, ces experts ont oublié la généralité. Il sont les spécialistes d’une discipline déconnectée du reste du monde, en complète inconscience des réalités sociales. Ainsi en va t-il des politiciens et des enseignants. Le langage expert ne sert que de cache-sexe à ces impuissants de la démocratie. La preuve: les enseignants ont réussi à mobiliser les élèves du lycée contre la réforme des retraites. Hallucinant! Beau mélange des genres!
Là, au regard d’une réformette voulue par la belle Najat pour satisfaire ce que j’appelle le syndrome du “lever de papatte” propre à chaque ministre qui voudrait marquer son époque (on est loin de J. FERRY et de J; ZAY), on se noie dans des atermoiements, qui, de compromission en compromission visent à préserver la paix sociale par peur d’un “mouvement”. Les profs, aidés par des étudiants manipulés et en mal d’agitation ont eu la peau de tous les ministres auteurs de réformes. Le mammouth est congelé, il est bien tard pour le dégraisser. Faut-il que l’on laisse la carcasse pourrisse et qu’on laisse faire la loi de l’évolution?
Le problème est que le courage politique nécessaire à entreprendre de la réforme, constitue en soi un paradoxe. Ces deux mots sont, hélas antinomiques. Je me heurte ces temps-ci, à une remise en cause d’accords d’entreprise, obsolètes, injustes et inapplicables. Le spectre de la grève pourrait faire reculer celui qui ne serait pas déterminé. Il convient alors de discerner vraiment ce qui relève du risque réel ou d’un tigre de papier agité comme un étendard au couleurs d’une démocratie qui ne s’accepte pas.
Mais, il est vrai, qu’avant de vouloir réformer des répartitions de matières à étudier, il conviendrait peut-être de considérer ce qui fonctionne, et ce qui est inefficient. Non? Par exemple, viser la maîtrise du français et des enseignements de base avant de franchir les étapes d’une scolarité par ancienneté dans le “poste”. Penser à aérer le cerveau des élèves par le civisme, le mouvement, l’art, puis les amener à penser par eux-mêmes, plutôt qu’à réfléchir sur des éléments qui ne les concernent pas, ou dont ils ne comprennent pas le sens. Alors, oui, les sachants et les enseignants devront alors oser sortir des sentiers battus, comme ce prof osait le faire dans “le cercle des poètes disparus” joué par l’excellent et regretté Robin WILLAMS. Il y démontrait que les sciences humaines restent dans la techniques, alors que la pédagogie est un art.
Bien amicalement.
Bernard.