Le jeu du bras de fer
Le jeu du bras de fer consiste, dans un premier temps, à saisir la main de l’autre, coude collé sur la table, et les yeux dans les yeux, à surprendre le moment de relâchement de tension chez son interlocuteur pour plaquer rapidement son bras sur la table et se proclamer vainqueur.
Il existe une seconde version de ce jeu qui consiste à fixer une règle permettant à chacun de gagner et de proclamer la victoire à ses mandants : Les deux parties décident ensemble de plier le coude autant de fois que l’autre. Ils ont ainsi joué au bras de fer sans faire perdre l’autre.
Le bras de fer Espagne-Catalogne
Celui-là est particulier et s’assimile aux jeux aztèques qui se terminaient souvent par des morts rituelles.
Les acteurs, Mariano le froid et Carlos le chaud, sont, chacun, assis au sommet d’une pyramide dont la base sont les électeurs espagnols pour l’un, les électeurs catalans pour l’autre.
Au dessus de ces masses qui supportent tout le poids de leurs décisions, se tiennent les corps intermédiaires, associations, syndicats et partis.
Si quelques membres de ces corps lâchent, comme la droite du parti Populaire pour l’un, la gauche indépendantiste et jusqu’au-boutiste, la C.U.P., pour l’autre, c’est le sommet de chaque pyramide qui s’écroule.
Sortir du bras de fer consisterait à demander aux électeurs de renouveler leurs souhaits fondamentaux.
Mais, les chefs perdraient probablement leur pouvoir.
Que se passe-t-il à la tête de chaque pyramide?
Depuis des mois, Mariano Rajoy, premier ministre espagnol, est entré dans un long bras de fer avec le président de la généralité de Catalogne, Carlos Puigdemont.
Refus du dialogue, surenchère de menaces, dilution du temps puis pressions, attaques sur les personnes, préalables et enfin ultimatums suivis d’effets, rien n’aura été épargné aux citoyens espagnols, catalans et européens.
Que se passe-t-il dans la tête des dirigeants politiques quand ils se retrouvent coincés dans leurs mandats de négociation ?
Les deux parties sont effectivement contraintes dans leurs décisions par des minorités dont ils dépendent pour conserver leur pouvoir; la droite du P.P. pour l’Espagnol, la gauche extrême (C.U.P.)pour le Catalan.
Les deux personnages ont utilisé la quasi-totalité de l’arsenal de la vieille méthode du rapport de forces et la stratégie des gains mutuels, appelée également négociation raisonnée, n’a pas encore diffusé chez les politiques de la péninsule ibérique.
Comment en est-on arrivé là ?
Depuis 2010, le Tribunal constitutionnel espagnol, probablement inféodé au pouvoir central castillan s’est évertué à casser toutes les lois venant de Catalogne qui ressemblaient à une marche vers plus d’autonomie. Madrid a ainsi contraint Barcelone à un choix impossible, rester dans la légalité, et ainsi abandonner le projet d’indépendance, ou entrer dans l’illégalité, et donc déclarer une indépendance que personne ne reconnaîtrait.
Carlos Puigdemont a contraint Mariano Rajoy à sortir de son immobilisme en organisant un référendum sur l’indépendance qu’il savait être un fait accompli inacceptable pour l’autorité espagnole.
Mariano Rajoy a enfermé Carlos Puigdemont ainsi: « Confirmez-moi que vous avez proclamé l’indépendance et commis un délit. »
Jordi Savall, musicien catalan, déclarait au Nouvel Observateur le 4 octobre :
Chaque partie à une part de responsabilité. Mais que peut-on faire quand l’interlocuteur avec lequel on demande à négocier refuse obstinément de discuter ?
Les deux parties on choisi la version dure du jeu du bras de fer. Qu’auraient-ils pu faire avec la version du même jeu, à gains mutuels?
Imaginons un dialogue avec médiateur indépendant permettant d’abandonner un bras de fer gagnant-perdant.
Bonjour Messieurs, je vous accueille autour de cette table pour vous permettre de décider entre deux options, soit vous revenez devant vos électeurs respectifs pour valider un nouveau mandat, soit vous décidez de transcender avec courage vos mandats actuels pour revenir avec intelligence sur l’escalade de vos propos et décisions?
- Bonjour Mariano, je veux commencer notre réunion en te proposant de nous mettre d’accord sur un compromis acceptable pour ton aile droite et pour mon aile gauche… Es-tu d’accord sur ce principe ?
- Absolument pas, Carlos ! il ne peut y avoir de compromis concernant l’unité de l’Espagne éternelle et saches qu’il n’y a pas de droite et de gauche dans ma majorité. Tu es le fauteur de trouble initial.
- Pourquoi cette réunion, alors , Mariano?
- Pour te sauver la face, tête de cochon ! tu t’es enfermé dans un piège que tu as construit patiemment en croyant que j’étais un mou et que j’allais céder… Tu as cru également que tu allais apparaître comme le gentil et que l’Union européenne allait me considérer comme le méchant et me punir, au minimum en m’imposant une médiation ! et bien tu t’es trompé !
- Rappelle-toi, Mariano ce que disait Fidel Castro à la barre du tribunal où le dictateur Batista l’avait trainé : la historia me absolvera !
Écosse, Flandre, Pays basque, Lombardie, Vénétie, Istrie et de nombreuses autres régions obtiendront leur indépendance. Tu mènes un combat d’arrière-garde, l’Europe des nations est moribonde, et elle est surtout condamnée par les peuples. - Arrête ton cinéma, Carlos, Tout le poids de la loi va tomber sur vous, les sécessionnistes. Vous avez brisé la légalité et sans légalité il n’y a plus de démocratie ! vous avez, toi et tes voyous, fomenté un coup d’État.
- Mariano, digne héritier du franquisme, range ton article 155 au magasin des accessoires du passé. C’est toi qui a aboli la démocratie en remettant en cause notre statut d’autonomie conquis de haute lutte.
- Carlos! tu délires! j’ai le soutien des socialistes et des centristes de Ciudadanos, et je respecte la démocratie en faisant avaliser le recours à la suspension de votre autonomie par le Sénat.
- Mariano, je te le dis droit dans les yeux : tu ne pourras jamais mettre sous tutelle les 7,5 millions de catalans que je représente ici ! Tu vas être considéré comme une force d’occupation en territoire hostile…
- Avoue Carlos,que tu t’es sentis ridicule le 8 octobre dernier, quand des dizaines de milliers de catalans ont déferlé dans ce que tu considérais comme ta rue, pour crier la volonté de rester espagnol ! et qu’ensuite, le pouvoir économique t’a filé entre les mains en allant installer ses sièges sociaux d’entreprises en dehors de Catalogne !
- Mariano, je crois que tu ne réalises pas que tu es face à un rêve, une utopie ; et que l’on ne peut résister à la volonté de millions de gens qui veulent fonder un nouveau pays pour effacer la blessure d’amour-propre que Madrid nous inflige depuis si longtemps.
- Comment crois-tu, Carlos, que nous espagnols, nous vivons votre rébellion ? Il s’agit d’une rébellion de riches ! de nantis qui ne veulent plus de solidarité nationale et qui veulent conserver la plus grosse part du gâteau, tout comme ces régions d’Europe que tu citais tout à l’heure…
Le médiateur interviendrait alors pour siffler le hors-jeu:
Bon, messieurs, maintenant que vous avez parlé de ce qui vous sépare, peut-être accepteriez vous de parler de ce que vous pourriez construire ensemble pour sortir de cette crise ?
Mariano, pouvez-vous refuser longtemps de reconnaître à ce morceau d’Espagne, qui pèse 16% de sa population, 20% de son PIB et 25% de ses exportations, le droit à plus d’autodétermination ?
Carlos, pouvez-vous reconnaître qu’un divorce bien mené nécessite un consentement mutuel?
Vous n’avez pu, ni l’un, ni l’autre, obtenir satisfaction pérenne sur vos intérêts. Pouvez vous reconnaître que les intérêts des personnes que vous représentez sont loin d’être satisfait? Même si on emmène les Catalans aux urnes, un accord avec l’Espagne sera nécessaire et il faudra bien tenir compte du fait que la majorité des gouvernements européens ne veut pas d’un précédent obtenu par un fait accompli.Accepteriez-vous l’un comme l’autre, de revenir valider vos mandats devant vos électeurs?Êtes-vous d’accord pour ne pas briser l’essor économique de notre région d’Europe?Fixons impérativement un calendrier électoral et signez devant moi la reconnaissance du droit à obtenir plus d’autonomie pour les régions d’Espagne qui le souhaitent dans le cadre d’un processus réellement démocratique impliquant un long débat transparent et structuré.
Conclusion
les bras de fer sont toujours d’actualité dans un monde de tensions entre la verticalité que nécessite la sécurité et la coopération horizontale que nécessite l’efficacité économique.
Il s’agit de l’organiser dans le respect des identités culturelles et des symboles historiques.
Rendre la parole aux peuples c’est courir le risque d’avoir un mandat fondé sur la peur. (exemple du BREXIT).
Transcender son mandat politique, c’est courir le risque d’être désavoué et de subir le même sort que Mendès-France ou pire celui d’isaac Rabin.
Yves Halifa
26 octobre 2017
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