L’entreprise d’existe pas
le salarié n’est pas un citoyen comme un autre. La démocratie citoyenne n’aurait pas droit de cité dans l’entreprise?
On vient de s’en rendre compte et on va légiférer pour la faire vraiment naître.
Quatre questions se posent :
- L’entreprise, c’est qui ?
- L’entreprise, pourquoi faire ?
- L’entreprise, avec quelles frontières ?
- L’entreprise, comment est-elle gouvernée ?
De nombreux rapports ont été publiés et un projet de loi arrive prochainement sur la table du Conseil des ministres : le projet PACTE.
Comment va-t-il répondre à ces questions ?
Une brève histoire de la démocratie dans l’entreprise.
Mettons déjà autour de la même table les grands ancêtres du management d’entreprise et essayons de comprendre ce qu’ils en ont dit.
- Bonjour, je m’appelle Frederick Winslow Taylor et je suis né en 1856 ; j’ai la modeste prétention d’avoir fait la révolution dans l’entreprise en inventant une autre organisation des tâches et un autre système de paiement pour produire davantage avec le moins de main d’œuvre possible : les gains de productivité c’est moi !
Je suis mort en 1915 mais heureusement Henry Ford a repris mes idées avec brio.
- Je m’appelle Kurt Lewin, vous n’aviez rien compris, mes chers amis ; l’important dans le management c’est autre chose : c’est la participation et la discussion au sein de groupes restreints qui va permettre l’efficacité. Je vais vous montrer l’influence bénéfique de l’atmosphère démocratique dans une entreprise, en particulier sur l’agressivité, le libre engagement et la motivation.
- Je m’appelle Peter Drucker et je vous dis, c’est vrai ! Est-ce que vous savez combien de millions de livres j’ai vendu ? Pourquoi ? Parce que j’ai découvert que:
les travailleurs ont une personnalité, une citoyenneté, un contrôle sur leur présence au travail, leur manière de le faire et de bien ou mal le faire…Pour obtenir un travailleur responsable il faut lui fournir l’information nécessaire au contrôle de soi et des opportunités de participer… Le travailleur devrait pouvoir contrôler, mesurer et diriger sa propre performance ».
- Bon, ne nous fâchons pas, moi, Douglas McGregor, je remets en cause votre présupposé selon lequel
l’autorité est le moyen central, indispensable, du contrôle directorial.
Je plaide pour l’autocontrôle. Depuis les années 1950, les enquêtes sont unanimes : le désir d’autonomie, de responsabilité et de contrôle du travail sont les leviers les plus importants.
- C’est vrai ce qu’il vous dit, renchérit Michel Crozier, à partir des années 1970, on va voir se développer une réflexion sur la quality of working life, qui met l’accent sur la variété des tâches, l’autonomie du groupe, la satisfaction personnelle et la démocratie. Je considère, aujourd’hui en 1979 que la revendication de liberté et d’autonomie de la personne constitue aujourd’hui le point sensible des rapports humains et de la vie collective.
D’ailleurs, tout au long des années 1980 plusieurs événements vont secouer les entreprises : la seconde crise pétrolière, la libéralisation du commerce international vont conduire à économiser les coûts en comprimant la masse salariale. Parallèlement on va assister à l’apparition de salariés plus diplômés, la concurrence japonaise dans l’automobile, l’acier, les machines-outils, les équipements électriques et électroniques qui associée à l’efficacité des petites équipes autonomes remettra en cause la bureaucratie des entreprises.
- Allons jusqu’au bout du raisonnement, intervient Tom Peters : Mettons vite en place pendant ces années 1990, le lean management et l’organisation apprenante.
Il faut innover, changer, déstructurer les organisations…
le patron doit être celui qui empêche de tourner en rond, il faut laisser le produit, la famille de produit ou le marché dominer toute la réflexion.
Pour moi la bureaucratie, une fois éliminée ne doit pas laisser la place à la démocratie mais au marché.
On doit présumer, jusqu’à preuve du contraire, que tout peut se sous-traiter. A charge, pour les différents services de l’entreprise, de justifier leur existence.
Rappelez-vous donc mon ami, le futurologue, Alvin Toffler qui prévoit :la dissolution complète de l’entreprise, atomisée en un réseau ou un consortium de fournisseurs totalement indépendants ou d’entrepreneurs libres.
Un anonyme dans la salle tient alors à observer que c’est surtout une réaction des cadres à la diffusion des ordinateurs personnels et d’internet, à la déstructuration des entreprises qui dynamite les échelons intermédiaires et à la financiarisation qui va provoquer l’atomisation de l’entreprise.
- Je vous propose donc une synthèse, propose alors Reid Hoffman, le président fondateur de LinkedIn :
Il existait un pacte à long terme entre l’employé et l’employeur qui garantissait au premier un emploi à vie en échange de sa fidélité tout au long de sa vie. Ce pacte a été remplacé par un contrat à court terme, fondé sur des performances, qui doit être perpétuellement renouvelé par les deux parties…C’est maintenant votre boulot de vous former et d’investir dans vous-même.
- Je ne peux pas vous laisser conclure ainsi objecte l’économiste Daniel Cohen : ce sont désormais les salariés qui subissent les risques et les actionnaires qui s’en protègent. Et rappelons-nous que le projet de fonder la démocratie sur le travail indépendant a échoué.
Roosevelt disait au milieu du XXème siècle :nous savons maintenant que le gouvernement par l’argent organisé est aussi dangereux que le gouvernement par le crime organisé. La liberté d’une démocratie n’est pas assurée si le peuple tolère que le pouvoir privé croisse à un tel point qu’il devienne plus fort que l’État démocratique lui-même.
La séance est clôturée et les auteurs de la revue Esprit qui assistaient en visio-conférence à ce débat anachronique imaginaire regrettent que :
Le tournant néo-libéral a renvoyé aux oubliettes de l’Histoire le coefficient de GINI, qui mesure la réduction des inégalités de revenus utilisé comme indicateur des politiques publiques, en ne sélectionnant que les indicateurs de PIB, et autres mesures de la financiarisation de l’économie.
Comment, alors, concilier les droits du citoyen d’un pays démocratique avec ceux du salarié dans l’entreprise ?
Aldous Huxley, dans Le meilleur des mondes donnait sa version pessimiste :
Et c’est là qu’est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu’on est obligé de faire.
Faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper.
Aujourd’hui le projet PACTE paraît plus optimiste.
Pascal Demurger, directeur général de la MAIF : Longtemps concentrée sur la création de valeur, la conception de l’entreprise doit aujourd’hui être repensée.
L’entreprise est d’abord un collectif de femmes et d’hommes engagés sur le long terme autour d’un projet commun. Elle a aussi un rôle à jouer dans la résolution d’un certain nombre de problèmes de notre société (préservation de l’environnement, justice sociale, égalité, etc.).
Or, il n’est pas possible d’envisager ces enjeux par un simple compromis, consistant à améliorer la contribution sociétale de l’entreprise au détriment de sa performance économique, à développer une gouvernance plus collaborative au prix d’une moindre efficacité opérationnelle.
Ma conviction, nourrie par l’expérience, c’est qu’il est au contraire possible de nourrir la performance de l’entreprise par sa contribution aux enjeux de société, par une plus grande association des collaborateurs, par de nouvelles formes de management fondées sur la confiance et l’intérêt collectif.
Il constate avec la CFDT que c’est le problème de la confiance qui est posé derrière les débats sur les modalités de partage de la valeur et de partage de la gouvernance.
Poursuivez la discussion sur la démocratisation de l’entreprise en visionnant cet excellent débat de la Fondation Jean Jaurès :
Cet article doit beaucoup au numéro de mars 2018 de la Revue ESPRIT (n°442) et en particulier à Thibault Le Texier.
Yves HALIFA
1er mai 2018
Bravo Yves ! Et tout cela est rédigé le jour de la fête du travail ! Excellent clin d’oeil !