Johnny Halliday est allé dans son paradis de Saint-Bart.
Est-ce que nous sommes tous susceptibles d’y aller?
Cela dépendra de notre capacité à faire des compromis.
Depuis 1938[1], date de la mort du compromis comme valeur fondamentale de la négociation, les progrès de la négociation raisonnée (appelée également, stratégie des gains mutuels) restent marginalisés à certaines négociations diplomatiques de grande envergure, comme par exemple, celle en cours en Nouvelle-Calédonie, exemple positif de ce qu’est une véritable négociation respectueuse des parties malgré les difficultés à résoudre.
De trop nombreux exemples récents nous indiquent que cette méthode, qui permet d’éviter les conflits mais ne permet pas de régler les problèmes, font encore partie des mauvais réflexes de négociation.
La culture du compromis est toujours vivante au nom de principes dit «de réalité»
- On ne peut pas réformer contre l’avis d’une majorité.
- On aura toujours le temps de prendre les décisions qui s’imposent.
- Il ne faut pas casser la dynamique de l’emploi et de la croissance.
- On vit aujourd’hui, demain est un autre jour.
- Ne nous fâchons pas.
- Restons toujours dans la bienveillance.
Eric Vuillard, récent prix Goncourt 2017, avec L’Ordre du Jour [2]
a écrit « un livre d’une puissance sidérante dans sa simplicité ».
En 160 (petites) pages, il montre comment « les plus grandes catastrophes s’annoncent souvent à petit pas » et « soulève les haillons hideux de l’histoire » pour décrire la marche de l’Europe vers la catastrophe de la seconde guerre mondiale et du massacre civil et militaire.
Si vous êtes encore convaincu des vertus du compromis…prenons d’autres exemples contemporains.
Les Paradis fiscaux et l’Union Européenne à « l’Ordre du Jour » :
Le processus de décision qui a abouti à la publication d’une liste « noire » et d’une liste « grise » des paradis fiscaux montre que la logique du compromis domine encore les esprits.
Il existe une bonne soixantaine de paradis fiscaux dans le monde, déclare Ronen Palan, professeur de politique internationale à la City University of London. Or, aucun des grands centres financiers offshore prisés par les grandes fortunes et les multinationales ne figure sur la liste noire adoptée par l’Union Européenne.
Ce sont les îles Caïmans, les Bermudes, les îles Vierges britanniques, Jersey et Guernesey, l’île de Man, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse, l’Irlande, Singapour et Hong-Kong.
Trois caractéristiques avaient été définis préalablement à la « négociation » et avait été mis à « l’Ordre du Jour »:
- Système fiscal avantageux réservé aux non-résidents
- Régime fiscal favorable réservé aux multinationales ou entreprises dotées un statut spécifique
- Faibles exigences en matière de reporting
Mais…définir des règles applicables à tous s’est révélé un exercice difficile car chaque pays offshore s’est spécialisé. Il a donc fallu se résoudre à « faire de la politique et « l’Ordre du Jour » a donc été modifié.
Les autres exemples qui ont été ou sont à « l’Ordre du Jour »:
- C’est ainsi que l’écologie est une préoccupation urgente remise à plus tard, (boues rouges déversées dans les calanques; prééminence de la voiture par rapport à la montée en puissance du vélo). « On ne peut pas attendre que tout le monde soit d’accord. Une politique pour le vélo ne sera jamais consensuelle. Mais elle est indispensable. » [3]
- C’est ainsi que la réduction des inégalités devra se faire lentement. Mieux vaut attendre que la croissance et une baisse de l’imposition des riches comblent l’écart, (la trop fameuse, « main invisible du marché »).
- C’est ainsi que la coordination européenne et mondiale laisse la place à la concurrence déloyale entre pays partenaires (règles du jeu remises en cause en permanence en dehors de l’OMC[4]).
- C’est ainsi que les politiques de santé se heurtent aux lobbies du tabac et de l’alcool.
- C’est ainsi que Lafarge a, très certainement, financé des groupes terroristes pour préserver des investissements non encore rentabilisés.
- C’est ainsi que le bon équilibre scolaire des enfants reste assujetti aux besoins de l’économie du tourisme, au confort quotidien des parents et à la préservation du statut des enseignants.
- C’est ainsi que l’on assure les garanties de sa réélection à un mandat de représentation politique ou d’entreprise au lieu de le remplir selon les engagements pris devant ses électeurs, ses actionnaires ou ses salariés.
- C’est ainsi que le C.I.O. suspend la Russie de toute participation aux prochains jeux olympiques d’hiver mais…pas ses athlètes qui seront autorisés à y participer sous une bannière « Athlète olympique de Russie ».
Quand allons-nous mettre à « l’Ordre du Jour » les vrais problèmes ?
Quand nous aurons appris à mettre les divergences sur la table, à les assumer, à les dépasser, à les résoudre en nous mettant d’accord sur les conséquences probables à éviter.
Yves HALIFA
11 décembre 2017
Cet article a été rédigé grâce aux Échos et au Monde.
Le dessin est d’AUREL publié dans les pages intérieures du quotidien Le Monde.
[1] Accords de Munich entre Hitler, Mussolini, Daladier et Chamberlain autorisant l’Allemagne à étendre son « espace vital » en Tchécoslovaquie contre des garanties de paix en Europe.
[2] L’Ordre du Jour, Eric Vuillard, Éditions Actes Sud.
[3] (Fédération des usagers de la bicyclette FUB, Olivier Schneider, cité par Olivier Razemon).
[4] Organisation Mondiale du Commerce.
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