Pour sortir des crises de légitimité, quand la légalité est contestée, quelles solutions peut-on proposer ?
Les acteurs du drame
Trois catégories d’acteurs s’opposent depuis quelques années sur le front de l’aménagement du territoire : les légalistes, les zadistes et les nimbystes…
Les légalistes sont presque toujours POUR :
À l’image du projet de barrage de Sivens, on constate que chaque projet d’aménagement du territoire est de plus en plus contesté. Ces derniers sont reconnus comme conformes à la légalité, parce que le processus législatif et réglementaire, avec enquête publique et respect des procédures, a abouti à un vote des représentants élus démocratiquement.
Les légalistes sont souvent des élus qui, se considérant investis démocratiquement, estiment avoir droit au dernier mot. Ils ont souvent repris à leur compte les projets initiaux des promoteurs, et accepté les chiffres proposés par leurs experts. Le strict respect des processus réglementaires est un gage suffisant de respectabilité.
Les zadistes sont presque toujours CONTRE :
Le projet est contesté au niveau de sa légitimité :
- quand le temps du débat a été considéré comme insuffisant,
- quand sa qualité a été jugée faible,
- quand les experts sont soupçonnés de conflits d’intérêts,
- quand les décideurs ont agi en coulisses, sans transparence, et en mentant par omission,
- et quand tous les acteurs n’ont pas eu le droit de s’exprimer.
Les zadistes sont des militants, de proximité ou d’ailleurs, de protection des équilibres naturels et du droit des citoyens à interférer dans la conception initiale d’un projet, et défendent le « bien vivre ensemble. »
Les nimbystes ne se réveillent que lorsque leurs intérêts sont directement menacés :
Davantage concernés par leur bien-être et leur environnement immédiat, ils mettent toute idéologie de côté.
Leur slogan ? CONTRE chez nous, et PEU IMPORTE chez les autres. Il s’agit souvent de projets d’enfouissement de déchets radioactifs ou non, d’éoliennes ou de centrales nucléaires… Ils ne s’expriment que lorsque l’on s’approche trop près de chez eux et que l’on met en cause leurs intérêts personnels. Ils peuvent devenir, parfois, zadistes, et parfois, légalistes.
Dans le cas du barrage de Sivens, comme dans le cas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les décisions prises sont considérées comme légales, mais illégitimes.
Pourquoi légalité et légitimité ne correspondent plus ?
Pour Michel Gazay1, il y a une « difficulté grandissante à se comprendre et à s’accepter dans les différences. »
Pour Dominique Bourg2,
« il est rarissime que la légalité suffise à rendre une décision légitime. La légitimité en question est par définition inséparable des caractéristiques de la décision et de son contexte. Pour qu’un barrage soit légitime, il ne suffit pas qu’un élu en décide. Il faut que le dossier sur lequel il s’appuie soit scientifiquement et technologiquement solide, qu’il soit au fait des intérêts en cause et qu’il les aient consultés. La légitimité est ainsi le fruit d’une construction démocratique complexe. »
Qui connaît le projet d’aménagement de la Tour Triangle, au sud de Paris, prévu dans l’enceinte du Parc des Expositions, Porte de Versailles ?
Ne pouvant plus remonter en arrière, le débat étant terminé légalement, les opposants au projet se trouvent contraints d’utiliser des artifices juridiques en appelant à voter contre, lors du prochain Conseil de Paris qui aura lieu les 17 et 18 novembre, une délibération concernant le déclassement de la parcelle sur laquelle est prévue la tour Triangle. Une fois de plus, les projets décidés en amont ne surgissent sur la place publique qu’une fois le débat légaliste terminé.
Les correspondances entre légalité et légitimité ne peuvent plus s’articuler tant que les projets sont conçus et ficelés en amont, sans implication directe des personnes localement concernées : un véritable dialogue, impliquant toutes les parties en question, permettrait de légitimer la légalité du projet.
Le Monde, “Les indégivrables“, 12 novembre 2014
Pourquoi est-il difficile de faire correspondre légitimité et légalité ?
- Parce que les représentations mentales des personnes sont perverties : un élu est « pourri » ; un promoteur est « escroc » ; un agriculteur est « pollueur » ; un défenseur de l’environnement est « un rêveur » ; un militant associatif est « un casseur »…
« On a bu un café, mais tout de suite, quand j’ai dit que j’étais agriculteur, j’ai été considéré comme un pollueur. La deuxième fois, j’ai senti une fin de non-recevoir totale. Ce manque d’écoute me fait mal … » déclare un agriculteur qui a pourtant été militant en d’autres temps pour la défense du plateau du Larzac face aux projets de l’armée.
- Parce que l’on utilise un type de communication irrespectueuse des personnes : Xavier Beulin, qui préside la FNSEA3, a qualifié les manifestants contre le barrage de « djihadistes verts. »
- Parce qu’il y a du non-dit : derrière ce drame, derrière ces guerres de positions, derrière ces incompréhensions se profile peut-être l’essentiel : protection des zones humides, gestion des ressources en eau, application contraignante d’une directive européenne.
- Et surtout, parce que la méthode d’élaboration des projets d’aménagements n’implique pas suffisamment d’acteurs en amont des projets.
« Que la France soit la championne des blocages, des conflits de toutes sortes, est très probablement le meilleur indicateur de la décrépitude de ses institutions démocratiques et de leur inadéquation, » diagnostique Dominique Bourg.
Et si l’on s’inspirait de ce qui se passe ailleurs ?
Que l’on soit LÉGALISTES, ZADISTES, ou NIMBYSTES, on est d’abord citoyens, et avant d’être des électeurs on fait partie de ce que l’on nomme dans les pays peu démocratiques, la société civile, qui
« recouvre toutes sortes d’organisations (ONG, groupes d’intérêt et d’ influence, expression citoyenne, think tanks). La société civile est facilement opposée au domaine de l’étatique ou du politique, comme au marché. Le terme recouvre un entre-les-deux, où s’exprimerait toute la vitalité de la vie sociale, basée sur la libre volonté de tous, hors de tout rapport d’autorité ou d’intérêt privé. Un monde de la solidarité, où se manifesteraient les demandes et évolutions d’une société, tout en concrétisant une forme d’action pragmatique, efficace, plus morale que le marché, plus représentative des intérêts et idéaux des gouvernants. »
Un dernier mot
Vous êtes-vous déjà interrogé, cadre responsable, syndicaliste élu ou désigné, ou dirigeant nommé, sur votre légitimité ?
Votre mandat est certainement légal ; votre mode de prise de décision est-il toujours légitime ?
Que pouvez-vous faire pour vérifier votre légitimité ? Ci-dessous, avec vos commentaires, ouvrons le débat. Prenez la parole !
Photo : © MaxPPP – Images d’archives sur le site de Sivens
Laisser un commentaire