La république est fondée sur la discorde, elle est l’agencement pacifique de la mésentente, écrivait Tocqueville au début du XIX ème siècle.
En cette fin janvier de la 22ème année du XXI ème siècle la discorde est bien présente, mais son agencement pacifique laisse à désirer.
Dans mon ouvrage paru le 6 janvier dernier, La négociation au quotidien, sous-titrée, l’art des victoires sans vaincus (www.editionsmardaga.com), je tentais de mettre à nu le fonctionnement des tacticiens prédateurs qui manipulent le choix des électeurs en citant des références tant dans l’univers de la littérature, de la philosophie ou du cinéma.
Ainsi Corax, sophiste du VI ème siècle avant notre ère, conseillait déjà les manipulateurs contemporains, qui sévissent aujourd’hui dans la campagne électorale pour la présidentielle française, en préconisant huit tactiques utilisées dans cet ordre “vertueux” pour conduire l’électeur démocratique vers un choix manipulé:
– Je ne suis pas spécialiste…mais!
conseil permettant de ne pas laisser le flanc à des critiques en illégitimité…
– La simplification extrême,
permettant de se faire comprendre de tous ceux qui ne veulent pas de “prise de tête”!
– Le grossissement,
qui permet de ne pas montrer les faits et les chiffres qui infirment l’argumentaire manipulatoire.
– L’orchestration,
puissamment développée par des leaders d’opinion en même temps sur tous les supports d’information.
– La transfusion,
grâce aux réseaux sociaux.
– La contagion,
dans tous les espaces de convivialité, marchés, salons de coiffures, ronds-points…
– Des signaux vertueux,
avec l’utilisation de mots-clés, tels démocratie, liberté, famille, justice, patrie, pour montrer son empathie populaire.
– Et enfin, allumer le gyrophare de la peur!
pour alerter sur les conséquences d’un autre choix que le sien: guerre, fascisme, atteinte à la propriété, mise en dangers des pensions de retraite…
Ainsi, suivant les conseils de ceux qui campent sur des positions volontairement inconciliables, en oubliant Tocqueville, et l’agencement pacifique de la discorde, on pourrait se retrouver dans la situation décrite par Nicolas Bouvier, écrivain voyageur, dans son passionnant récit de voyage des années 1950 de la Yougoslavie à l’Afghanistan, L’Usage du Monde (Droz), qui raconte une négociation qui pourrait passer pour absurde.
Il est, avec son compagnon, en Iran kurde, près de la ville de Mahabad :
« Les hommes de deux familles rivales s’étaient réunis au complet dans une maison du village, avec leurs mollah respectifs, pour aplanir un litige qui les opposait depuis plusieurs générations. Pendant tout l’après-midi, les parties avaient banqueté, fumé, parlementé sans dire un mot plus haut que l’autre et sans trouver d’accommodement. On avait alors fait sortir les prêtres et les moins-de-quinze-ans, verrouillé portes et fenêtres, allumé le quinquet de façon à reconnaître les visages, et vidé la querelle au poignard. Six survivants sur trente-cinq convives. Les deux familles, équitablement décimées, s’étaient bientôt fait voler des troupeaux qu’elles ne pouvaient plus surveiller, la leçon avait porté, et les kurdes de la vallée qui savent encore faire la part des choses s’étaient convertis à des procédures moins radicales ».
Selon une structure de négociation raisonnée déjà bien établie, apparaît une première réponse à une problématique fondamentale :
– qu’est-ce qui nous rassemble ? Ici, la volonté de résoudre un litige très ancien en organisant une délibération mêlant tous les acteurs concernés.
Le second temps d’une négociation est lui aussi, posé très clairement :
– qu’est ce qui nous sépare ?
la réponse est probablement, tout ! comment résoudre nos divergences qui paraissent irréconciliables ? par le jeu des rapports de forces. Et, logiquement, le médiateurs, c’est-à-dire les mollahs en l’occurrence, et les mineurs, sont exclus de la séquence règlement de comptes.
La négociation des règles du jeu a été très simplifiée ; comment réglons-nous les litiges quand la palabre a échoué? par la force des armes.
On retrouve ce type de conclusion de négociation dans plusieurs régions du monde. Notons, qu’une étape fondamentale n’a pas été abordée, celle de la question :
– dans ce qui nous sépare, quels sont les problèmes de chacun que nous pourrions aider l’autre à résoudre pour qu’il nous rende la pareille ?
Autrement dit, derrière les intérêts divergents, existe-t-il des intérêts différents?
Et comment les assembler pour construire un problème commun à résoudre ensemble?
Ce ne sera qu’après le bain de sang et après avoir compté les morts, que les survivants découvriront un intérêt partagé qu’ils auraient pu identifier avant leur procédure sauvage de règlement des conflits:
La surveillance des troupeaux nécessite une coopération! Ils auraient pu identifier cet intérêt raisonné avant de se rendre prisonnier de cette procédure sauvage de règlement des conflits.
31 janvier 2022
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