La question se pose dès lors que la présidence élue et le gouvernement désigné ont annoncé leur volonté de réformer par un dialogue social de qualité.
Réformes concernant le secteur privé, réformes concernant le secteur public, on prône la concertation intensive.
Mais, se concerter signifie-t-il négocier ?
La concertation, c’est : j’écoute et je décide.
La négociation c’est : on définit de part et d’autre nos lignes rouges, on détermine un problème à résoudre et on construit des options.
Mais, on presse le pas et on avertit (menace ?) de légiférer par ordonnances pour aller vite.
« Ça évite que certains jouent la montre ».
Mais, on s’adresse, par-dessus les corps intermédiaires, aux citoyens, salariés, consommateurs et électeurs.
« On sera dans la concertation, mais s’il y a blocage, on aura avancé,
sans ennuyer les français pendant des mois. »
Mais on se défausse de toute responsabilité.
« Il y aura conflit, mais ce ne sera pas de notre fait. »
Première hypothèse : oui, Emmanuel Macron est un bon négociateur.
L’histoire récente et actuelle des réformes engagées laissent à penser qu’il y a une très bonne préparation fondée sur :
- L’analyse fine des rapports de force;
d’un côté une certaine légitimité démocratique venue du fond des urnes, de l’autre des partis et des syndicats qui cherchent à se reconstruire après le séisme électoral de 2017. - Le décodage précis des intérêts de chacune des parties prenantes.
Les exclus de la rente qui se sentent compris par l’exécutif. - Un cadrage franc et direct du non négociable énoncé et assumé;
On fait un diagnostic partagé
On fait connaître le cap
On fait un discours qui fixe le cadre et les étapes de la concertation
On décide et on met en œuvre. - Un déminage rapide des obstacles à l’acceptation;
dès qu’il y a une déclaration publique qui met le feu aux poudres, on organise une réunion bilatérale ou multilatérale s’i le faut ; on passe 12 heures au salon de l’agriculture ; on s’excuse d’avoir heurté des sensibilités.
Les syndicats paraissent décontenancés?Il souffle le chaud et le froid. Il fait des annonces claquantes. Puis il atténue son discours.
- Un jeu tactique tétanisant d’avance toute opposition;
Un représentant de la CGT : J’ai l’impression d’être face à un rouleau compresseur.
Seconde hypothèse : non, Emmanuel Macron est un mauvais négociateur.
- Une succession de passages en force qui irritent les parties prenantes à court terme et qui les transforment à terme en opposants irréductibles.
Laurent Berger de la CFDT : On a fait le job… mais le président fait comme si la question sociale avait disparu avec l’amélioration de la conjoncture… Attention danger… Si on nous piétine, il ne faudra pas ensuite venir chercher pour éteindre l’incendie.
- Une attaque systématique des habitudes, acquis et croyances des institutions intermédiaires représentatives qui, vont finir par se rebiffer.
Toujours Laurent Berger : pendant les nuits de négociation je ne dors pas ; Muriel Pénicaud aurait pu m’appeler… La méthode Macron, c’est vous discutez, et je tranche… Et personne ne sait de quel côté ça va tomber !
- Le creusement d’un fossé déjà profond entre une France mondialisée et des France, en colère, inquiète, dubitative, crispée et abattue. (Premier de cordée)
- Les confédérations sont en voie de dévitalisation, c’est pour cette raison qu’il y a des mobilisations sectorielles : hôpitaux, EHPAD, prisons…
- Les confédérations recherchent une unité entre des fédérations qui jouent à part en contestant la ligne confédérale ou en regrettant l’absence de projet.
- Le contentieux est lourd : la logique financière du sommet s’oppose aux pratiques professionnelles du terrain, par exemple dans les hôpitaux l’incompréhension est à son comble entre gestionnaires, médecins et infirmières.
Troisième hypothèse : Emmanuel Macron n’est ni bon ni mauvais, il a la baraka.
- Il a facilement compris qu’il fallait aller vite et surfer sur sa légitimité électorale dans la première année du quinquennat sous peine de se retrouver immobilisé dans un calendrier contraint comme ses prédécesseurs.
- Il profite de la faiblesse de ses partenaires européens (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie…) en apparaissant comme un refuge de stabilité politique.
- Il profite du retour à la croissance avec les effets positifs des débuts de réformes structurelles initiées par François Hollande.
- Il profite de la division et de la faiblesse des grandes organisations syndicales, tétanisées par les vagues d’annonces successives de réformes qui ne leur laissent pas le temps de la réflexion et de l’organisation. (Éclatement des confédérations, absence de grands projets, réflexes de défense…)
- C’est un opportuniste qui sait seulement saisir sa chance quand elle passe. C’est l’homme du bon moment.
Quatrième hypothèse : on ne peut pas savoir, car il ne négocie pas.
Jean-Marc Canon (SG de la CGT-fonctionnaires: Je me garderai bien d’établir une comparaison, l’histoire ne repasse jamais les plats de la même façon… Les conditions du rapport de force sont d’ailleurs différentes.
- Non seulement il a de la chance, mais il s’est entouré de personnes obéissantes qui ne contestent pas la verticalité du pouvoir et il n’y a de ce fait, pas vraiment besoin de négocier ; il suffit de suivre le chef (Information, consultation, concertation, mais pas de négociation).
- Il va tellement vite qu’il risque de s’essouffler. (Calendrier électoral, européennes, …)
Cinquième hypothèse : Il y a un peu de tout ça
Alors là, ou bien il est très fort et c’est une révolution plus qu’une transformation; ou bien il bouge tellement vite, qu’il y aura de moins en moins de personnes capables de le suivre et il finira comme Sarkozy et Hollande.
Philippe Martinez : Je ne connais aucun gouvernement qui ne recule pas, ça dépend comment on pousse en face.
En conclusion, le calendrier des prochaines semaines sera déterminant. Rendez-vous en Mai 2018…ou en Mai 1968…
Yves Halifa
10 mars 2018
Magnifique analyse Yves ! En analyse systémique on cherche les éléments structurants pour comprendre les comportements des acteurs, et là effectivement il y en a un qui à mon avis joue à fond (et a déjà été dit par beaucoup) : EM est porteur d’un modèle (l’ENA entre autre) qui transpire de tous les pores de sa peau. Et ce modèle est le sien tout comme celui de ses prédécesseurs. Et ce modèle a produit et entretenu le contre-modèle des autres parties prenantes : organisations syndicales, medias, opinion publique…
je vais lire de ce pas ton dernier billet !
Merci, je croule sous tes compliments et j’en suis très heureux.
Je reste néanmoins perplexe et inquiet devant la situation dans son contexte général européen du refus évident de la démocratie représentative et de son absence d’alternative: la république des experts ne peut la remplacer… prochain article sur la démocratie et l’entreprise et sur les modalités de la prise de décision. À bientôt Alain.