À l’heure où un changement de lunettes provoque un débat, le port d’une marinière ou d’une chemise blanche suscite les sourires et le costume d’un ministre les interrogations , il est opportun de rappeler quelques incontournables réflexions sur l’exercice du pouvoir et la manière de se vêtir. Comment faire pour ancrer mon image auprès de mes interlocuteurs ?
Les négociateurs se posent souvent la question de savoir comment s’habiller. Quel sens veulent-ils donner à leur apparence physique ? Comment veulent-ils que leurs interlocuteurs les perçoivent ?
Négocier, c’est aussi exercer sur l’autre un pouvoir : celui de l’empathie, ou de l’affirmation de soi, celui de la conviction ou celui de la séduction.
Le roi est-il nu ?
Les habits neufs de François
Dans un conte de Hans Christian Andersen, Les Habits neufs de l’empereur, deux escrocs font accepter à un potentat régnant qu’ils peuvent lui confectionner un extraordinaire vêtement qui sera aperçu seulement par les personnes éclairées et intelligentes. Les imbéciles ne verront rien.
Lors de la procession, imaginant qu’il est revêtu d’un somptueux costume de fils d’or, l’empereur est acclamé par une foule ne voulant paraître stupide. Seul un enfant dénonce l’absence de costume :
“Mais papa, l’Empereur est tout nu !”
Les gens passent subitement de la flatterie à l’hilarité, faisant ainsi comprendre à l’empereur qu’il s’est fait berner.
Simon Leys, seul contre tous les intellectuels européens de son époque, reprend cette phrase dans son livre (Les Habits neufs du président Mao, publié en 1971) pour dénoncer le changement brutal de politique de Mao Tsé Toung.
Ce dernier vient d’être écarté du pouvoir après l’échec du Grand Bond en avant et la manipulation des foules, en les incitant à se révolter contre le gouvernement pour le reprendre grâce à la Révolution Culturelle. Le roi était nu devant son échec, il fallait se refaire une virginité politique en faisant :
« Feu, sur le quartier général ! »
Récemment, plusieurs personnalités politiques, françaises et étrangères, ont été brocardées à propos de leurs vêtements, des accessoires de leur parure et plus généralement du décalage entre leurs ambitions, leurs statuts et la manière dont ils s’étaient vêtus.
Le costume du pouvoir revêt une symbolique chargée de plusieurs sens : autorité, respectabilité, devoir, honneur.
Autrefois, le costume du pouvoir était un costume d’apparat. La démocratie impose à ses représentants d’apparaître comme le reflet de la majorité de ceux qui l’ont élu : le pouvoir devient citoyen.
Le costume démocratique
Le dhoti de Gandhi
Dans son ouvrage très documenté, Odile Blanc, auteure du livre Vivre habillé, décrit très précisément l’importance du paraître dans les sociétés humaines.
Toute investiture passe par le vêtement et certaines fonctions en ont davantage besoin que d’autres. Se vêtir n’est pas un acte individuel, c’est un geste social.
Le vêtement possède un langage qui reste contingent à une époque. Le port du jean à ses débuts voulait dire NON. Aujourd’hui c’est un uniforme, mais il n’est pas encore accepté comme représentatif pour un dirigeant. Une personne torse nu et en short qui se promène en ville est choquant ; une personne habillée en costume trois pièces sur une plage bondée est aussi choquant. Une personnalité politique, dans l’exercice de ses fonctions, ne peut pas encore porter de jean. Les citoyens attendent de leur dirigeant le respect de certaines conventions, l’exigence de la représentation.
Le vêtement est une convenance. L’uniforme du pouvoir est perçu comme un rempart contre le relâchement.
En revanche, certains accessoires peuvent mettre en relief un discours, sans pour autant rompre la convenance ou la solennité du personnage démocratique: ils ne rompent pas l’empathie, ils résument la personne et marquent les esprits. La cravate rouge de Mélenchon, l’écharpe rouge du directeur de l’hebdomadaire de l’Express, le dhoti de Gandhi, le costume des traders, le chapeau de Mitterrand, autant de symboles attachés à une personnalité spécifique, un marqueur culturel, social et politique.
Le chapeau de Mitterrand s’est vendu à 7800 euros
A combien seront vendues les lunettes de François Hollande ?
En France, depuis son investiture en 2012, le président François Hollande est en permanence sous le feu des critiques : est-il taillé pour les responsabilités présidentielles ?
Le “Hollande bashing” du début du quinquennat s’est focalisé, depuis les mauvais résultats de sa politique économique et sociale, sur chaque modification de son apparence. Il change de lunettes, mais pourquoi ne change-t-il pas de vision politique ?
Derrière le vêtement du président, trop normal, mal coupé, mal seyant, la presse se déchaîne comme jamais sur les apparences. De même :
- les talons de 15 cm de NKM ou les cuissardes de Nadine Morano,
- Fleur Pellerin et Cécile Duflot et leurs jupes à fleurs,
- la Rolex ou la barbe de Nicolas Sarkozy,
- “Najat Vallaud-Belkacem qui pousse le sens du détail jusqu’à accorder ses tenues aux couleurs de l’habillage antenne de la chaîne qui l’invite…”
“La tenue n’est jamais neutre, elle manifeste une intention“, explique Jean-Luc Mano, directeur associé du cabinet de conseil en communication politique Only Conseil.
Le plus important dirigeant du monde s’est trouvé sous le feu de la critique après être apparu à la Maison Blanche dans un costume jugé inapproprié : couleur sable, épaulettes trop larges… Barak Obama a même suspecté de porter un costume, celui de l’autorité, trop large pour ses épaules. Ses paroles sur l’Ukraine, la Syrie et l’Irak sont passées inaperçues derrière la couleur et la taille de son vêtement.
Le costume de la conviction
Un silence très bruyant
Attention aux faux pas, l’adversaire politique est aux aguets. Churchill commentait la rencontre du vice-roi des Indes avec Gandhi, en 1931, en déclarant qu’il est
“alarmant et parfaitement dégoûtant de voir M.Gandhi, un avocat séditieux, poser maintenant comme un fakir oriental, montant à demi-nu les marches du palais.”
Le costume est une intention. Les dirigeants politiques du XXème siècle le savaient déjà, tel le général de Gaulle en 1958 qui pose debout, de trois quart, le regard au loin. Il est en habit de cérémonie, avec la grand-croix de l’ordre de la Légion d’honneur et le collier de grand-maître de l’ordre de la Libération.
De gaulle a hésité : poser en uniforme militaire, ou en habit civil ? “Le photographe fait 20 photos dans chaque tenue, la moitié en couleur et la moitié en noir et blanc. Il est à 7 m du président, juché sur un escabeau pour être à la hauteur du général et il utilise une longue focale pour gommer l’embonpoint.”De Gaulle choisira la tenue civile et la couleur.
De même, lors du message radiotélévisé du Général de Gaulle du 23 avril 1961, il a revêtu son uniforme de général pour accabler de son mépris le “quarteron de généraux” qui venait de réaliser un putsch à Alger.
Le costume de la séduction (Guigou au Tapie)
“Pourquoi vous avez retourné votre bague ?”
Hommes et femmes passent d’une tenue à l’autre en fonction des situations. Il y a celles et ceux qui changent de tenue en fonction des cibles à séduire : Vladimir Poutine en vêtements de chasse, en tenue de pilote, torse nu en pêcheur…
Celle qui, telle Elisabeth Guigou, n’assume pas leurs accessoires de luxe sous l’assaut déloyal de Bernard Tapie (“pourquoi vous avez retourné votre bague?”) face auquel, durant un débat télévisé, elle tente de dissimuler son diamant en retournant sa bague et qui se retrouve exposée à la vindicte des téléspectateurs par son adversaire politique.
Comment décoder l’investissement de ces signes de pouvoir ? Il en existerait trois :
- celles et ceux qui cherchent à dissimuler leur sexe en se retranchant derrière l’habit de leur fonction; le pouvoir est synonyme d’austérité, de sérieux ; pour les femmes, tailleur pantalon couleur sombre uni, chemise blanche, cheveux ramassés, pas de bijoux. Pour les hommes, costume cravate sans relief, coupe de cheveux nette, chaussures bien cirées, posture rigide.
- celles et ceux qui sont “on doit me prendre comme je suis” ; pour les femmes, jean, blouson, cheveux au vent, petites robes “simples”, décontraction naturelle assumée. Pour les hommes, comme Jean-Louis Borloo, costume un peu fripé de l’homme qui bouge, chaussures un peu fatiguées de l’homme qui marche.
- enfin, celles et ceux qui, pour séduire, se parent avec légèreté, arborent des tenues sexy qui mettent en valeur leur féminité, décolletés, cheveux lâchés, stilettos. Ceux qui jouent un personnage, cheveux souple, teint halé, voix suave, chemise ouverte, comme Dominique de Villepin ou François Baroin.
L’habit fait-il le moine, ou non ? Et s’il n’y a pas d’habit du tout ? En sous-vêtements pour un gouvernement transparent, à Montréal, en 2013, des étudiants manifestent pour plus de transparence et joignent le geste de se déshabiller à la revendication politique. Ma-nu-festation !
Pourtant, “Être nu, c’est être sans parole”, dit le guide dogon de l’anthropologue Marcel Griaule au Mali entre 1935 et 1939.
Être ou paraître
La parure témoigne du pouvoir de celui qui la porte.
Que porter pour se préparer à négocier ? Si le vêtement ne fait pas le pouvoir, il doit le traduire comme, le décrivent François et Dominique Gaulme dans leur ouvrage, Les Habits du pouvoir. Pour eux, il faut que l’habit colle impeccablement à la morphologie. De plus, “Dis-moi ce que tu portes, je te dirais qui tu es”, rapporte un dicton populaire, ils ajoutent :
“je te dirais dans quelle société tu vis…”
Un vêtement ne doit pas “faire de bruit”, c’est à dire ne pas troubler le message qu’il porte pour ne pas troubler l’interlocuteur.
Yves Saint-Laurent évoque le “merveilleux silence du vêtement“, “ce moment de grâce où le corps et ce qu’il porte ne sont plus qu’un.”
Il ne signifie pas la neutralité du vêtement, il précise la cohérence entre la personne, son message verbal, sa posture physique, la peau qu’il porte sans la supporter. Le vêtement n’est ni une contrainte, ni une agression, ni un trouble. Il faut qu’il y ait congruence.
Négocier, c’est créer du lien, unir, comme faire du tissage : la chaîne et la trame sont unis par le tisserand pour en faire une surface cohérente et solidaire.
Se vêtir pour parler c’est aussi se vêtir pour créer du lien.
Un dernier mot : quand vous choisissez vos vêtements pour aller négocier, vous devez résoudre une apparente contradiction : être vous-même et donner les bons signaux à votre interlocuteur.
Pas facile. Le début de la solution ? Être à son aise.
“Less is more” disait Gabrielle Chanel.
Photo : Portrait de Turning Bear, guerrier Sioux, vers 1900. Homme portant un tatouage traditionnel Irezumi, Japon, vers 1880. Portrait de Jean-Baptiste Belley, député de San Domingo (1797)
Source : « LES HABITS DU POUVOIR : Une histoire politique du vêtement masculin » aux Editions Flammarion
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