Négocier sans négocier est-ce possible?
Une fois de plus les dirigeants politiques du pays se prennent les pieds dans le tapis de la réforme.
1995, Alain Juppé et la réforme des retraites ? Trop vite, trop élitiste, trop secret, trop psychorigide… et c’est le recul et l’enterrement.
2006, Dominique de Villepin annonce que « les conditions ne sont pas réunies » pour que le CPE (Contrat Première Embauche) s’applique, deux mois après son adoption par le Parlement et dix jours après la validation de la loi. Cette loi est alors retirée.
2016, Manuel Valls reporte la présentation du projet de loi, dit El KHOMRI, en conseil des ministres au 24 mars. « ça ne change pas grand-chose par rapport au calendrier parlementaire initial qui était prévu », a insisté le chef du gouvernement. « Le texte pourra être voté comme c’était prévu au mois de mai définitivement à l’Assemblée nationale » avant d’aller au Sénat. Cette loi tiendra t-elle jusqu’au bout ?
La négociation de cette loi est-elle bien emmanchée ?
Comme en 1995 et en 2006, on reproduit apparemment les mêmes erreurs :
- On privilégie les syndicats réformistes en laissant de côté les syndicats dits d’opposition systématique ; un conseiller ministériel ose déclarer à la presse : Martine Aubry, quand elle bouge, quatre personnes quittent la direction du PS. La CFDT, c’est plusieurs centaines de milliers d’encartés sur le fond. Le patron du PS répercute : « Nous dirons ce que les syndicats réformistes diront… » Comment ne pas se sentir méprisé quand on est à la CGT ou à FO ?
- Comme en 1995, on ne s’est pas mis à la place de son allié potentiel en ne bousculant pas ses lignes rouges : Pour la CFDT on ne peut accepter de privilégier le recours à la décision unilatérale du chef d’entreprise en cas d’échec des négociations dans l’entreprise, ni le plafonnement des sommes octroyées par jugement en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ni l’appréciation par le juge de la réalité du licenciement économique au niveau de la filiale France et non plus au niveau du Groupe.
- Troisième erreur, on ne prend pas en compte l’irruption des réseaux sociaux qui bousculent la démocratie représentative en laissant la place à une forme de démocratie participative.
Ne serait-ce que cela ?
Non. C’est beaucoup plus grave. On ne sait pas négocier et on prend tout à l’envers.
Est-ce un problème de culture ? Oui.
On prépare les esprits par quelques tactiques manipulatoires, on discrédite les opposants potentiels, on achète par des compromis opaques des alliances opportunistes, on instrumentalise des intellectuels.
Est-ce un problème de méthode ? Oui.
On pense que pédagogie et explication, que désintoxication et présence dans les medias marginaliseront les opposants.
Expliquer ou négocier ? Face aux compromis introuvables les mêmes déclarations qu’en 1995 et 2006 précèdent le recul en rase campagne :
« Il faut lever un certain nombre d’incompréhensions, il faut expliquer, répondre à toute une série de fausses informations qui sont données sur ce texte. Donc, nous allons nous donner quelques jours supplémentaires avant le passage en Conseil des ministres ».
Est-ce un problème de personnes ? Oui.
On pense qu’afficher une détermination sans failles, « je suis droit dans mes bottes » (Juppé 1995), « j’irai jusqu’au bout » (Valls 2016) impressionnera les réfractaires et la presse.
Est-ce un problème de contexte ? Oui.
Déjà, en 2006, internet et coalitions agglomérés dans un refus jusqu’auboutiste avaient débordé la démocratie représentative.
En 2016, la contestation de l’avant projet de loi sur la réforme du Travail pose le problème de la démocratie participative.
- Une pétition en ligne qui atteint 800 000 signataires en quelques jours.
- Une intersyndicale qui se forme pour rejeter la philosophie générale du texte de l’avant projet de loi.
- Une contestation étudiante qui se forme autour de « l’insécurité sociale ».
- Le délitement du parti au pouvoir sur ses valeurs historiques entre social libéralisme et protection des salariés.
- la démission des intellectuels de gauche emblématiques, comme Thomas Piketty ou Jacques Attali.
- Après les frondeurs, le « Trop c’est trop » de Martine Aubry.
- La contestation de l’un des auteurs de la réforme du Code du Travail, Antoine Lyon-Caen, la synthèse hollandiste devient difficile et les compromis historiques ne sont plus possibles.
Le social-libéralisme serait-il le renard libre dans le poulailler libre?
Comment concilier protection du droit du travail pour les plus faibles et redonner du tonus à la compétitivité des entreprises françaises pour leur donner l’envie d’embaucher ?
Si on veut retrouver des marges de compétitivité en laissant plus de liberté au chef d’entreprise on va laisser le renard faire ce qu’il veut dans le poulailler de l’entreprise. (Négociation d’entreprise plutôt qu’accord de branche).
Si on veut conserver, voire faire entrer le droit syndical dans les PME pour renforcer la protection des salariés, on bride la compétitivité.
Et pourtant, le Président voulait que les renards et la volaille puissent s’entendre.
Et il avait demandé à Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen de rédiger un opuscule sensé préparer les esprits à une simplification du Code du Travail, « les principes essentiels du droit du travail ».
Il ne s’y retrouve plus…
Qui ? Antoine Lyon-Caen.
Pourquoi ? Parce que tout le monde s’en est mêlé, écrit-il, parce que les lignes rouges de protection du salarié se sont dissoutes dans le compromis ?
« La méthode retenue est brouillonne, confuse et va à rebours de la volonté…de redonner confiance dans la loi. »
On devait donner plus de lisibilité au code du travail, faire plus de place à la négociation collective et fixer les règles en matière de temps de travail et d’organisation du travail.
On a quoi ? Un nombre impressionnant de dispositions ajoutées au dernier moment, des mesures opportunistes :
- Des dispositions favorables uniquement aux grandes entreprises
- Un plafonnement des dédommagements empêchant la réparation intégrale du préjudice
- Trop d’exceptions à la règle qui ouvrent la porte à d’innombrables contentieux
- L’arbitraire d’un barème obligatoire au lieu de la sagesse des juges
Un dernier mot :
Le Premier ministre et sa ministre du travail sont au pied du mur, faut-il négocier une réforme de la négociation?
Pourquoi seulement maintenant et pas en amont ?
Pourquoi avoir commencé par la menace en laissant entendre le recours possible au passage en force du 49-3 ?
Probablement comme beaucoup de négociateurs bien intentionnés pressés par le temps…il reste 14 mois de quinquennat pour réformer.
Alors, vous pensez bien qu’on n’a pas le temps de négocier comme on le voudrait!
“Expliquer les choses, cela ne nous semble pas être une perte de temps », a réagi auprès de l’AFP un porte-parole du Medef. Mais « il ne faut pas que ça conduise à un affadissement du texte. La réforme doit rester très ambitieuse », a-t-il insisté.
Yves HALIFA,
avec l’aide des articles de Libération des 29 février et 1er mars 2016 ainsi que le numéro du Monde daté du 2 mars 2016.
1er mars 2016
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