Vous rêvez de franchir tous les obstacles à votre volonté ?
Vous rêvez d’obtenir des autres un OUI en toutes circonstances ?
dans votre entreprise ? dans votre famille ? face à l’autorité ?
Monter dans un avion quand il est complet ?
Franchir une frontière sans papiers ?
Obtenir un emprunt bancaire rapidement et sans intérêt ?
C’est possible si vous possédez le secret de la 7ème fonction du langage…
Laurent Binet vient de publier un roman, La septième fonction du langage[1] qui, en dehors de l’intrigue échevelée autour du meurtre supposé de Roland Barthes, imagine un mode d’emploi secret pour obtenir un OUI à chaque fois que nous le désirons.
Il nous rappelle les rudiments de la linguistique et de la sémiologie en nous faisant voyager dans le monde des chercheurs en tissant une intrigue policière à la manière d’Umberto Ecco, de Saussure à Derrida, en passant par Bernard-Henri Lévy, Régis Debray, Philippe Sollers, Hélène Cixous et Julia Kristeva, caricaturés dans leurs travers les plus ridicules.
D’abord qu’est ce que parler ?
A quoi sert le langage et au delà comment décrypter les signes qui nous environnent ?
Le cadre de l’intrigue c’est la sémiologie qui est l’étude des procédés de communication, c’est-à-dire des moyens utilisés pour influencer autrui et reconnus comme tels par celui qu’on veut influencer.
L’émetteur, le récepteur, le message, le contexte, le canal et le code synthétisent le processus de communication.
Quelles sont les 6 fonctions du langage ?
- la fonction référentielle : on utilise le langage pour parler de quelque chose. Il s’agit de donner des informations.
Problème : si vous n’avez rien à dire vous êtes plutôt phatique !
- La fonction émotive : elle vise à manifester sa présence et la position de l’émetteur par rapport à son message ; interjections, adverbes, jugements, recours à l’ironie. C’est la fonction du Je.
Problème : exprimer ses émotions sans mettre en cause le récepteur !
- La fonction conative est la fonction du Tu. Impératif ou vocatif qui consiste en l’interpellation du récepteur.
Problème : attention à ne pas être accusatoire !
- La fonction phatique qui envisage la communication comme une fin en soi. Parler pour parler, entretenir la conversation.
Problème : vous devez partager le même plaisir à ne rien dire avec le récepteur !
- La fonction métalinguistique vise à vérifier qu’émetteur et récepteur se comprennent, utilisent bien le même code. Tu comprends ? Tu vois ce que je veux dire ? Tu connais ?
Problème : attention aux tics verbaux !
- La fonction poétique qui envisage le langage dans sa dimension esthétique. La sonorité des mots, les allitérations, assonances, répétitions, effets d’écho, de rythme.
Problème : attention à ne pas trop s’écouter parler !
La septième ?
C’est la fonction magique, incantatoire : quand dire c’est faire.
Par exemple :
- Je vous déclare mari et femme !
- Je te fais chevalier !
- Je vous condamne !
- Je te le promets.
- Que la lumière soit. Et la lumière fut.
- Je suis le président !
- Je suis le chef !
Parler est un acte locutoire, cela consiste à dire, mais aussi à être.
Cela peut consister aussi à imaginer que cette fonction permette de convaincre n’importe qui de faire n’importe quoi dans n’importe quelle situation.
- Se faire élire
- Soulever les foules
- Provoquer des révolutions
- Vendre n’importe quoi
- Obtenir tout.
Fonctionne-t-elle encore de nos jours ?
Pour Umberto Ecco : la cité athénienne reposait sur trois piliers :
- le gymnase qui promeut les sportifs
- le théâtre qui promeut les acteurs
- l’école de rhétorique qui promeut les hommes politiques.
Cette dernière serait la plus forte parce qu’elle implique la maîtrise de l’arme la plus forte, le langage.
Aujourd’hui la 7ème fonction du langage, celle de la parole magique, incantatoire ne fonctionne peut-être plus.
En effet nous serions en crise, et selon Gramsci, elle consiste dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître.
La classe dominante a perdu le consentement des dominés, si elle n’est plus seulement dirigeante mais uniquement dominante et seulement détentrice d’une force de coercition, cela signifie que les grandes masses se sont détachées des idéologies traditionnelles, qu’elles ne croient plus à ce à quoi elles croyaient auparavant.
La magie du verbe a disparu, elle s’est dissoute.
Problème : Machiavel explique au Prince que ce n’est pas par la force mais par la crainte que l’on gouverne : la crainte est le produit du discours sur la force. Celui qui suscite la crainte et l’amour est virtuellement le maître du monde.
Patrons je vous aime disait Manuel Valls ! Vous êtes des voyous dit-il aujourd’hui aux syndicalistes d’Air France.
Comment garder la maîtrise de l’interprétation de ce que je dis par l’autre ?
Peut-on encore maîtriser la septième fonction du langage ?
Jacques Derrida disait que si je sais ce que je veux dire, est-ce que mon interlocuteur le reçoit exactement comme je le pense ?
Est-ce que ce qu’il comprend correspond exactement à ce que je crois vouloir lui dire ?
Et d’ailleurs, lorsque je fais des phrases, est-ce vraiment moi qui parle ?
Comment quiconque pourrait-il jamais dire quelque chose d’original, de personnel, de propre, quand par définition le langage nous oblige à puiser dans un trésor de mots préexistants, quand nous sommes traversés par tellement d’agents extérieurs : notre époque, nos lectures, nos déterminismes socio-culturels, nos tics de langage…
Pour être entendu nous devons répéter des mots qui ont déjà été utilisés, sans quoi notre interlocuteur ne pourra les comprendre.
Se produit alors une modification de notre message, une altération.
Malheureusement le mode d’emploi pour lequel on a essayé d’assassiner Roland Barthes a disparu.
Et même si l’un d’entre vous le retrouvait il serait probablement inefficace.
Un dernier mot :
Arrêtez de manipuler, négociez !
Parce que comme dit Laurent Binet :
La conversation est en somme une partie de tennis qu’on joue avec une balle en pâte à modeler qui prend une forme nouvelle chaque fois qu’elle franchit le filet.
Yves Halifa 16 octobre 2015
[1] Grasset, août 2015
Très bien vu Yves, j’ai commencé cette lecture à mon tour hier soir et j’ai embrayé très fort et très vite. Je vais finir de le lire avant de lire ton billet jusqu’au bout. En attendant je LIKE, oui !
A bientôt,
Je pense donc je suis…n’est ce pas notre héritage cartésien qui nous laisse penser que notre parole est vérité? La perte de cette dernière fonction est peut-être une bonne nouvelle…doit on revenir vers une parole originelle, symbiose de ces 7 langages, qui redonnerait de la magie à notre discours?
Bravo encore une fois pour votre chronique très cher Yves…pleine d’intelligence, d’humour et de sagesse
bravo ,Yves , pour cette démonstration et cette clarification pleines de finesse
je “LIKE”
bernard
Je ne crois pas à la pure magie du mot, je crois à la magie de la communication éloquente. Seulement 7% de notre communiction passerait par les mots, dit une étude sérieuse. La Conviction, l’Honnêteté, l’Empathie passe par mille détails que l’interlocuteur perçoit (ou non)
C’est très français ( et latin) cette attachement aux mots, et admirable. Mais il ne faut s’y arrêter…
Pour être entendu, nous devons répéter, écris-tu ? Souvent, je trouve que nous avons plus intérêt à nous taire et à écouter l’autre : cela nous aide à apprendre comment lui parler pour qu’il nous comprenne. Mais, ça je crois que tu le sais déjà très bien. Merci pour tes billets, Yves.
Laurent Binet, Yves Halifa, deux plaisirs de lecture enfin réunis !
Merci Yves pour ce billet
Le silence est aussi indispensable que la parole, il permet l écoute
N est ce pas essentiel pour qu il y ait échange et peut être négociation