Pourquoi ?
Pourquoi faut-il arrêter de se serrer la main ?
La pandémie du coronavirus va provoquer la peur, l’émergence de réflexes de repli sur soi, et la désignation de boucs émissaires.
Les gouvernements, autoritaires comme démocratiques, ont pris conscience que la bonne gestion de cette crise annoncée nécessitait une forte dose de transparence dans l’information.
Les citoyens du monde entier seront livrés aux peurs ancestrales avec le retour à la barbarie si l’information reste cachée, biaisée, manipulée, tronquée.
La responsabilité de chacun et la confiance nécessaire à la maîtrise de cette pandémie passent par des réponses sincères aux « pourquoi » qui vont envahir l’espace médiatique.
Dans un ouvrage récent, Une question pour découvrir le monde, le philosophe Philippe Huneman [1]analyse les raisons du « pourquoi ».
Il aborde dans son ouvrage ses différents registres, celui des croyances, de l’histoire et de nos rapports aux autres et de la science.
Pour lui, il y a plusieurs raisons du « pourquoi » :
- Celle pour laquelle on croit quelque chose vrai.
- Celle pour laquelle quelque chose arrive.
- Celle pour laquelle on doit, ou on fait, quelque chose.
Le négociateur professionnel devrait s’interroger sur les questions qu’il se pose pendant la préparation d’une négociation et celles qu’il va poser pendant la négociation.
Dans la préparation d’une négociation on se pose trop souvent la question du « pourquoi » des revendications de l’autre sans se poser cette question d’abord à soi-même : pourquoi ai-je besoin de négocier ?
Dans la conduite de la négociation elle-même on a tendance dans 99% des cas à expliquer à l’autre « pourquoi » on a raison et on écoute son interlocuteur pour lui dire « pourquoi » il a tort…
Alors que, considérant l’autre comme une ressource, en multipliant les « pourquoi » on pourrait ainsi recueillir ses raisons, ses motivations.
Mais, surgit le piège de la confusion.
« Expliquer c’est déjà un peu excuser… » disait un ancien Premier ministre, Manuel Valls.
Il considérait qu’en allant rechercher les motivations des opposants on leur donnait un peu raison et on péchait par excès de coopération.
Faux, nous dit le philosophe des sciences, Philippe Huneman : c’est une confusion entre trouver des raisons aux gens (et il faut le faire pour comprendre leurs actes) et, le fait de montrer que ces raisons sont bonnes ou mauvaises.
Si les raisons sont bonnes à nos yeux on pourra alors rechercher une nouvelle solution en tenant compte des motivations de l’autre.
Si les raisons sont mauvaises, il y aura donc une zone de divergence à gérer.
Le négociateur professionnel devrait se rappeler son enfance…
quand il était très bon…
Il y a un âge des « pourquoi », durant lequel les enfants interpellent leurs parents sur l’origine du vent et le langage des chats…
Les enfants entre 2 et 6 ans sont souvent d’excellents négociateurs et obligent leurs parents à se positionner par rapport à une conception du monde.
- Pourquoi on doit mourir ?
- Qu’est-ce qu’on devient quand on est mort ?
- Pourquoi papa et toi maman vous criez tout le temps le soir quand on est couchés ?
- Pourquoi je n’ai pas le droit de manger avec les invités ?
L’acte de demander ou de se demander « pourquoi ?» est tellement naturel, ancré dans notre quotidien, qu’il semble incongru de questionner cette question.
Puis l’adolescence les submergeant progressivement ils gardent leurs questions pour eux et se distancient vis-à-vis de leurs parents, qui, eux-mêmes, ne les interrogent plus sur le pourquoi de leurs silences.
Pourquoi les girafes ont elles un long cou ?
Lamarck répondait à ce « pourquoi » par le fait qu’elle devait l’allonger pour manger les feuilles les plus hautes des arbres et que ce caractère se léguait de génération en génération et devenait héréditaire.
Darwin répondait à ce « pourquoi » différemment : en observant une population d’êtres vivants on constate une hétérogénéité avec des individus différents les uns des autres ; les girafes les plus grandes mangeront plus que les petites, vivront plus longtemps, auront une descendance plus nombreuse et, par sélection naturelle diffuseront ainsi à leurs héritières un avantage différentiel.
Pourquoi tu ne veux pas faire tes devoirs ?
- Parce que je ne comprends rien !
Si je t’aide à les faire tu accepterais de t’y mettre ?
- Non, je ne comprends rien ! tu ne comprends pas ?
Survient alors le carrefour des choix possibles.
- Soit on continue le questionnement en demandant « pourquoi » l’enfant refuse de l’aide, et on découvrira peut-être, une bonne raison : je n’ai pas bien compris ce que le prof disait et j’ai peur d’être définitivement largué.
- Soit on imagine une mauvaise raison qu’on plaque sur notre enfant : il ne veut pas travailler parce qu’il veut du temps pour jouer sur son portable…
Pourquoi maman, y a-t-il une épidémie de coronavirus ?
Attention aux réponses !
Parce que le gouvernement ne nous a pas protégé, mon chéri.
Parce que la maire de Paris n’a pas pris de bonnes dispositions, mon chéri.
Parce que les chinois sont sales et mangent des animaux dégoûtants, mon chéri.
Parce que c’est la faute de la mondialisation du commerce, mon chéri.
Parce que c’est la faute des juifs, mon amour.
Parce que tu ne te laves pas assez les mains, et puis vas-y et arrête de poser des questions idiotes.
Yves Halifa
29 février 2020
[1](Éditions Autrement)Questions posées par Erwan Cario (Libération samedi 29 février).
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