Comment pratiquer l’humour dans les négociations ?
Peut-on rire de tout ?
Oui, mais pas avec n’importe qui !
C’est Pierre Desproges, humoriste le mieux apprécié des Français, qui déclarait :
« Il vaut mieux rire d’Auschwitz avec un juif que de jouer au Scrabble avec Klaus Barbie».
« L’humour est le plus court chemin d’un homme à un autre », disait Georges Wolinski qui en est mort, assassiné par des terroristes.
L’humour rapproche, l’ironie détruit, et la frontière est difficile à cerner. Dans les négociations les plus difficiles un trait d’esprit peut dégeler l’atmosphère ou bien faire perdre la face à certains.
Dans les rapports, familiaux, sociaux, commerciaux, surgissent des opportunités de rire et de faire rire.
Pour se valoriser, pour vaincre, ou bien pour se détendre, pour partager, pour dédramatiser…
Dans les relations au quotidien, pour briser la glace.
Pour socialiser à la pause-café́.
Pour sortir du non-dit, en réunion.
Dans les négociations, quand les relations se tendent.
A quel niveau situer l’humour ?
Sourire ? oui, mais comment… il y a le sourire en coin et le sourire bienveillant.
Rire de soi ? oui, pour montrer aux autres la relativité des enjeux.
Parfois il est involontaire : Gilles Le Gendre, patron des députés LREM, a reçu le prix spécial de l’humour politique pour « sa petite phrase » à propos des mesures sur le pouvoir d’achat.
« Nous avons probablement été trop intelligents, trop subtils ».[1]
Rire de nous ? oui, pour partager l’essentiel de ce qui nous rapproche.
« La télévision est faite pour ceux qui, n’ayant rien à dire, tiennent absolument à le faire savoir ». (Pierre Dac).
Rire ensemble ? oui, pour avancer vers une conclusion heureuse.
“Mon seul regret c’est de ne pas être quelqu’un d’autre”. (Woody Allen).
Rire des autres ? certes, pour se rassembler face aux autres, mais cela risque de n’être qu’une coalition temporaire.
«Les catholiques existent pour acheter au détail ce que les juifs n’achètent qu’en gros». (Coluche).
Rire de l’autre ? non, cela ne peut que dissoudre la qualité de la relation. Si vous décidez de vous valoriser en montrant aux autres que vous avez de l’esprit vous risquez d’humilier.
Provoquer ? pourquoi pas, en faisant attention aux susceptibilités. Pierre Desproges, à nouveau nous alerte :
« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses … »
Quelles précautions à prendre ?
- S’assurer que l’autre comprend bien notre intention.
- Choisir le bon moment, celui qui favorise la détente.
- Prévoir le recadrage de la bonne relation.
Quel type d’humour utiliser ?
Au bas de l’échelle, il y a le bon mot pour faire rire, qui peut confiner à la blague pas toujours comprise dans les négociations interculturelles et qui peut également être connoté d’homophobie, de sexisme, de machisme…
La plupart du temps, il y a des gens qui excellent dans les jeux de mots, les contrepèteries[2], mais qui peuvent lasser par leur abus et qui révèlent parfois le besoin d’exister.
Le trait d’esprit, dit voltairien, serait plus fin ; procédé qui, par le rire ou la surprise, impressionne fortement l’auditeur.
Qu’en est-il dans l’entreprise ?
Dans une enquête sur les avantages provoqués par l’humour dans l’entreprise on constate que plus de 50% des sondés disent qu’il permet de dédramatiser les situations et plus de 70% de mieux vivre au quotidien.
Le philosophe, André Comte-Sponville, écrivait[3]en 2016, que l’ironie porte sur un objet extérieur et que l’humour s’inclut lui-même dans le rire qu’il suscite. L’ironie méprise, exclut, condamne. L’humour pardonne ou comprend. L’ironie blesse.
L’humour soigne ou libère.
Alors ? on valide l’humour comme remède à la mélancolie mais on reste prudent.
« C’est quand on a raison qu’il est difficile de prouver qu’on n’a pas tort. »
Cette maxime de Pierre Dac illustre la réticence des chefs à accepter l’humour dans l’entreprise par peur de perdre toute autorité dans leurs rapports sociaux.
Parfois, la tension est telle, que l’une des parties sort du convenu et, profère des avertissements et des menaces ; l’autre partie sort alors du convenable pour utiliser des tactiques dites paradoxales.
Dans les relations commerciales, il est possible de recadrer une menace en prenant son interlocuteur au mot, après avoir subi la pression de son client pendant une heure…
Ainsi, face à une menace explicite, « si vous continuez à refuser ma proposition, vous ne ferez plus partie des fournisseurs référencés »,
on pourrait répondre, « et si je vous proposais d’effectuer ma prestation gratuitement ? »
Dans les rapports familiaux, il n’est pas rare de constater l’épuisement physique et moral des parents devant les difficultés à se faire obéir de leurs enfants.
Et pourtant des attitudes paradoxales, tel le mimétisme, peuvent remettre le curseur des rapports humains à l’équilibre.
Exemple : l’enfant de 5 ans refuse d’obéir et se roule parterre en hurlant sa révolte devant ce qu’il perçoit comme une intolérable injustice…
Faites pareil, roulez-vous parterre également et vous verrez surgir la stupéfaction sur son visage! Ne manquez pas de saisir ce bon moment pour recadrer la situation :
« Tu t’es vu quand t’as bu ? »[4]
Peut-on rire de la même façon aujourd’hui qu’hier face aux évolutions des mœurs?
Que reste-t-il de Coluche un quart de siècle après sa mort ?[5]
Avant lui, les chansonniers critiquaient ceux qui gouvernaient ; avec Coluche l’humour a changé de terrain de jeu.
On continue à se moquer des politiques, mais aussi, de soi, de ses proches et les objets de dérision peuvent être la police, les voisins, la misère, les immigrés…
Il n’y a plus de différences entre le haut et le bas : lui-même incarne le beauf.
Avec lui, le comique n’est plus simplement une critique du pouvoir mais de ce que l’on vit au quotidien.
« Bon, à part les juifs, sans ça, tous les autres sont égaux… »[6]
Aujourd’hui, l’humour de Blanche Gardin[7]reflète l’explosion du non-dit, l’éclatement de la bulle des tabous de notre époque où la bienveillance met la poussière sous le tapis et où, à force de vouloir absolument respecter l’autre on ne parle plus de ce qui fâche par peur de voir se révéler le conflit que l’on ne sait pas gérer.
Elle est probablement tout, sauf vulgaire, quand, apparaissant en scène avec une allure conformiste et une parole libérée, totalement décalée, elle énonce cette vérité de l’intimité du couple : « La pipe est une arme de négociation majeure dans un couple. »
En effet, gérer un conflit interpersonnel c’est parler de ce qui fâche, et l’autodérision est un bon amortisseur relationnel.
Attention à objectiver, à parler de soi sans mettre l’autre en position ridicule.
Pour conclure avec pierre Dac, il y a un moment où plus personne ne rit :
« Quand celui qui rit le dernier a fini de rire, personne ne rigole plus. »
Yves Halifa, le 10 mai 2019
vous pourrez retrouver cet article dans le prochain numéro de la revue Intermédiés, www.intermedies-mediation.com
[1]© Le Télégramme https://www.letelegramme.fr/france/prix-de-l-humour-politique-et-le-gagnant-est-edouard-philippe-10-04-2019-12256687.php#q5XzYUAwO6Rr2XKo.99
[2]http://phila-soleil.forumactif.org/t83-top-100-des-contrepeteries-celebres
[3]http://www.lemondedesreligions.fr/papier/2015/72/de-l-ironie-a-l-humour-rire-des-autres-ou-de-soi-25-06-2015-4802_216.php
[4]Célèbre message publicitaire de la Prévention routière.
[5]Olivier Mongin, philosophe, directeur de la revue Esprit, auteur de De quoi rions-nous ? (Plon, 210 pages, réédité en poche chez Hachette Littératures).
[6]Philippe Boggio, l’auteur du livre « Coluche, l’histoire d’un mec » publié en 2006 chez Flammarion, explique qui attaquerait aujourd’hui Coluche en justice : « les femmes, les homosexuels, les lesbiennes, les juifs, les arabes, les catholiques, les protestants, les partis politiques… Et j’en oublie ! Je ne sais pas si le jeu l’amuserait encore. On vit dans une société qui a tout vu, il y a une sorte d’auto-usure, de lassitude. Coluche dirait peut-être « On n’a qu’une vie et je retourne dans mon île ».
[7]Blanche Gardin, Molière du spectacle d’humour 2018, est la nouvelle figure de proue de l’humour féminin.
https://www.youtube.com/watch?v=M2_tmKz3gBI
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