Qui veut des baffes ?
L’enfer est pavé de concessions
La sortie de crise du mouvement des gilets jaunes est pavée de concessions qui s’enchaînent les unes derrière les autres : abandons de taxations, de CSG, primes exceptionnelles, allègement de charges, primes à la casse, augmentations de salaires…
La surenchère est enclenchée. L’addition de la crise va dépasser les dix milliards d’euros. L’Etat va ainsi dépenser, en 2019, 37 % de plus qu’il n’encaisse de recettes !
Et pourtant, les sorties de crise sans concessions existent.
Pour réussir une négociation il faut savoir mettre en ligne trois attitudes.
Les dirigeants, publics comme privés, doivent développer :
Une intelligence rationnelle en ayant du bon sens
C’est le domaine de l’analyse.
La connexion entre technos et politiques n’a pas été excellente.
Une intelligence situationnelle en choisissant le bon moment
C’est le domaine de la tactique.
On ne peut dire que le moment des premières concessions a été bien choisi. Le décalage permanent a donné l’impression que le pouvoir lâchait sous la pression de la foule.
Une intelligence émotionnelle en étant sur la bonne longueur d’ondes
C’est le domaine de la relation.
Il a fallu attendre le discours enregistré du président pour entendre des paroles empathiques et une attitude modeste de proximité.
En second lieu il est légitime de poser la question de savoir quelle était la modalité de délibération qui a été choisie, choisie ou imposée ?
En effet si l’on veut faire adhérer sans trop de résistances encore faut-il prévenir ses interlocuteurs du périmètre du mandat de ceux qui vont décider.
- Information ?
- Consultation ?
- Concertation ?
- Groupe de travail ?
- Négociation… ?
La célèbre Commission nationale du débat public[1]a été choisie pour répondre aux déficiences des décisions prises sans délibération. Est-elle la plus adaptée ? Qui la connaît ?
A part peut-être ses membres et ceux qui l’ont créée ?[2]
Le culte de l’expertise est mis à mal.
Poids de la technostructure, administration déconnectée. C’est le grand retour de l’élu, local de préférence, après des mois de grand froid. La politique primerait donc sur l’expertise ?
« L’emprise de la technostructure nous a empêchés d’avancer suffisamment vite. Eh bien, ça c’est fini »
a déclaré le nouveau patron de La République en marche à l’Assemblée nationale, Stanislas Guérini, [3]pendant qu’un de ses députés disait :« On a besoin des « technos » mais il ne faut pas qu’ils aient le dernier mot. La politique doit être menée avant tout par des élus, »
et qu’un conseiller du chef de l’État n’hésitait pas en disant qu’il fallait :
« repolitiser la technostructure pour la mettre à portée de baffes…Il n’est plus possible de continuer la logique de l’inspecteur des finances sortant de l’ENA qui décide de tout, alors qu’il n’a jamais mis les pieds sur le terrain. »
Quand va-t-on enfin négocier en amont pour ne pas descendre la pente savonneuse du compromis et de la destruction totale de la confiance ?
Quels sont les tabous à remettre en cause pour que cela fonctionne ?
Deux d’entre eux sont essentiels :
Le leadership partagé.
De nombreux négociateurs s’efforcent de conserver le contrôle des discussions, jusqu’à prendre l’ascendant sur l’autre partie. Il faut concevoir une réunion avec la possibilité que chaque partie puisse être représentée par plusieurs personnes sans qu’il puisse y avoir remise en cause des acquis pour que se produise une appropriation collective des problèmes, enjeux, besoins et ressources.
La juste place de l’expertise.
On ne laisse pas, financiers, ingénieurs, juristes, avocats, détenteurs d’expertise de tout poil décider. Seules les personnes détentrices d’un mandat électif dans la direction d’un pays, seules les personnes détentrices d’un mandat de direction doivent être habilitées à décider.
On utilise les experts comme des témoins de compétences qu’on fait entrer et sortir aux bons moments comme de seconds rôles sur la scène d’une pièce de théâtre.
Attendons le second acte, après la trêve des confiseurs…si elle a lieu ?
Yves Halifa
20 décembre 2018
[1]https://www.debatpublic.fr/son-role
La Commission nationale du débat public (CNDP) est une autorité administrative indépendante dont la mission est d’informer les citoyens et de faire en sorte que leur point de vue soit pris en compte dans le processus de décision : « Vous donner la parole et la faire entendre ».
[2]La CNDP se compose de 25 membres provenant d’horizons différents (parlementaires, élus locaux, membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, associations, patronat, syndicats…) qui assurent son indépendance, notamment vis à vis des administrations et des maîtres d’ouvrages. Ces membres sont les premiers garants de sa neutralité et n’ont pas vocation à se prononcer sur le fond des projets. Ce sont eux qui, collégialement, prennent les décisions après examen des dossiers.
[3]Cité par Alexandre Lemarié et Virginie Malingre dans Le monde daté du jeudi 20 décembre 2018.
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