En trois actes, une négociation difficile, peut-être impossible s’est débloquée.
Comment ?
En abandonnant des postures statutaires.
En hiérarchisant ses intérêts.
En acceptant de considérer les émotions comme un objet de négociation.
En allant vers l’autre plutôt que se défendre ou combattre.
En ayant le courage de sa fonction.
Pourquoi ça a fonctionné ?
Parce que dans toute situation, derrière des positions, des revendications il y a des personnes.
Parce qu’une personne c’est d’abord une identité, puis des émotions avant d’être porteuse d’intérêts.
Premier acte :
« Mme la ministre de la Réunion, le peuple guyanais vous demande de vous excuser. Nous pouvons comprendre la bêtise, nous ne pouvons pas comprendre le mépris. »[1]
Deuxième acte
« Si j’ai blessé la Guyane, alors ce ne sera pas moi, ultramarine, qui reculerai devant des excuses. Pour beaucoup de choses, si on s’était excusé, peut-être qu’on aurait avancé beaucoup plus sereinement et qu’on n’en serait pas arrivé là. Alors, pour l’intérêt de la Guyane, je le fais, parce que ma petite personne et mon petit ego n’ont aucune importance. »[2]
Troisième acte :
« Nous avons trouvé une dame digne, j’ai un grand respect pour elle ».[3]
La salle a été d’abord en état de sidération puis, une personne de la délégation guyanaise, Gaëlle Lapompe Paironne, se lève et étreint la ministre de la République longuement dans ses bras. En un instant la situation a basculé.
La délégation va au balcon de la préfecture, appelle la ministre, impose le silence et lui tend un mégaphone. Elle renouvelle ses excuses. La foule l’applaudit.
Pour conclure ce moment d’humanité, la ministre déclare :
« Il s’est passé quelque chose de beau et fort ».
Pourquoi est-il si difficile de s’excuser ?
- Parce qu’on ne veut pas reconnaître ses torts.
- Parce qu’on pense qu’on va s’affaiblir.
- Parce qu’on a peur du regard des autres.
- Parce qu’on croit qu’il faut rester focaliser sur le problème et les solutions.
- Parce qu’on pense que les émotions n’ont pas droit de cité dans une négociation.
Et pour beaucoup d’autres raisons ayant trait à une représentation pathogène de la virilité et aussi parce que toute négociation, a fortiori difficile, est vécue comme un combat.
Certains ne parviennent pas à s’excuser.
- «Hier c’était hier. Il y a des joutes politiques, il y en aura d’autres».
François Baroin, alors ministre du Budget, n’a pas présenté ses excuses comme l’avait demandé Jean-Marc Ayrault, le chef de file des députés de gauche à l’Assemblée Nationale.
Des excuses ? «Vous plaisantez !» avait-t-il déjà déclaré un peu plus tôt.
Benoît Hamon, alors député de l’opposition et porte-parole du parti socialiste, interrogé, répond :
«Il a dit une bêtise, qu’il le reconnaisse tout simplement».
Qu’aurait-il dû dire ?
« Cela aurait été très simple, à la place de François Baroin, de dire écoutez, je suis un peu fatigué, je me suis énervé, j’ai dit quelque chose qui n’était pas correct, je m’excuse».
«C’est aussi plus simple de faire cela plutôt que de considérer qu’il faut immédiatement jouer des muscles et qu’il y a plus d’honneur à ne pas s’excuser qu’à dire : oui, j’ai dit une bêtise».[4]
- Après avoir imputé à la droite “le retour du terrorisme” en France, mardi 13 novembre 2016, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a reconnu s’être emporté, sur BFMTV. Mais a néanmoins refusé de “s’excuser”.
“Bien sûr, la droite n’est pas responsable du terrorisme”, explique Valls, mais “dans le chaudron de l’Assemblée nationale, on peut être emporté par le verbe”.
Il ne s’excuse pas, il regrette et se trouve une justification.
- D’autres vont plus loin et assument le fait de ne pas s’excuser.
“S’il faut refaire un bras d’honneur, je le referai volontiers et je paierai. S’il faut payer pour garder sa liberté d’expression et faire son travail de député, je suis prêt à recommencer.”
déclare Noël Mamère, qui reconnaît qu’il a bien adressé un bras d’honneur en direction des députés du Nouveau Centre et de l’UMP, le 2 décembre 2009.
- D’autres, plus rares, savent manier le verbe pour calmer le jeu, mais l’authenticité n’y est pas, car le moment de la sincérité est passé ; on est trop habile dans la tactique.
21 juin 2006 : Dominique de Villepin alors Premier ministre a pris à partie la veille, le patron des députés PS, François Hollande, en pleine séance de l’Assemblée nationale. Dans une tirade très violente il a dénoncé sa “facilité” et sa “lâcheté”, en prononçant ce dernier qualificatif plusieurs fois.
Le lendemain, il faut recoller les morceaux :
“Permettez-moi au début de cette séance de me tourner vers vous Monsieur Hollande : j’ai dénoncé hier une attitude, en aucun cas je n’ai voulu me livrer à des attaques personnelles, que je condamne. Si certains mots vous ont personnellement blessé, je le regrette et je les retire.”
- Plus récemment, François Fillon a donné la désagréable impression de noyer ses excuses dans une justification majoritaire : il ne fait pas de réel mea culpa concernant la rémunération de ses attaché(e)s parlementaires ; Il dit qu’il n’avait pas compris les évolutions de l’opinion en matière de transparence, il rejette même la faute sur la société parce que c’est elle qui aurait changé.[5]
Les termes « regret » et « désolé » sont ainsi moins forts qu’« excuse ». Ils traduisent une émotion, mais sans reconnaissance de responsabilité.
Que faire pour être au niveau humain de la ministre des Outre-mer ?
D’abord être courageux, puis s’interroger sur soi-même, ou autrement dit, négocier avec soi-même.[6]
Et pour aller plus loin, écoutons le témoignage de Tanguy du Chéné, ancien DRH des banques populaires[7]
« Il y a quelques années, j’ai été chargé de négocier les conventions collectives du travail du personnel des banques de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. Je présidais ces réunions de négociation.
A mon arrivée sur le lieu de négociation à Pointe-à-Pitre j’ai été accueilli par des joueurs de tambour et une manifestation houleuse importante. Au lieu de faire comme s’il ne se passait rien, je suis allé vers chacun d’entre eux leur serrer la main et entamer un dialogue personnel sur leurs traditions.
Arrivé dans la salle de réunion, très vite, les syndicalistes présents firent entrer les tambours. Je demandais alors une suspension de séance. Je descendis discuter avec les manifestants qui étaient dehors au grand dam des syndicalistes qui s’insurgèrent de ce qu’ils considéraient comme un contournement inqualifiable de leur représentativité. Je répondis « que nous n’avions pas encore discuté des règles de la négociation » et que « je les trouvais sympathiques » et que je ne m’interdisais pas de faire connaissance avec leur base. A un moment je posais la main de manière amicale sur le bras nu d’un manifestant vêtu d’un maillot, qui recula soudainement, pris par surprise ; en effet, ce recul, réflexe profond surgissant du passé esclavagiste de l’île, signifiait qu’un blanc ne touchait jamais un noir et ce que je venais de faire représentait une telle transgression, que je venais de franchir un tabou permettant un rapprochement tout simplement humain.
Je venais sans le savoir de créer une des conditions de la confiance : la reconnaissance de l’autre.
Plus tard, avec les syndicalistes, je leur proposais de déjeuner ensemble, ce qui, en général, est loin d’être acceptable, y compris en métropole ; comme je les sentais gênés, je leur déclarai : « ce n’est pas une obligation, c’est une proposition… »
Lors de la séance de signatures de la convention collective du travail de la Guadeloupe, les représentants des salariés m’ont demandé de faire entrer les caméras de RFO et de rendre hommage à deux syndicalistes qui étaient décédés pendant la négociation (5 ans). La télévision permettait de montrer aux familles que les disparus n’avaient pas été oubliés. Puis, unanimement ils signèrent le texte proposé.
La reconnaissance de la culture de l’autre est une condition émotionnelle fondamentale pour amorcer un dialogue en situation de crise. »[8]
Yves HALIFA
1er avril 2017
[1] Gaëlle Lapompe Paironne, membre de la délégation reçue en préfecture.
[2] Ericka Bareigts, Ministre des Outre-mer, depuis le 30 août 2016 est née à Saint-Denis (La Réunion).
[3] Davy Rimane, porte-parole du collectif guyanais.
[4] http://www.leparisien.fr/politique/devant-l-assemblee-baroin-ne-s-est-pas-excuse-08-11-2011-1708827.php
[5] http://www.books.fr/les-hommes-politiques-et-lart-de-lexcuse-3/
[6] Le manager négociateur, Yves HALIFA et Patricia CADOUX, Dunod-2017
[7] aujourd’hui, président de L’Odissée, Organisation du Dialogue et de l’Intelligence Sociale.
[8] Dialogue social : Du combat au débat, Yves HALIFA et Philippe EMONT, ESF-2014
OUI , enfin !! les politiques et encore trop rarement les chefs d’entreprise s’excusent , une posture humaine qui devient un mode de communication “moderne” . La porte ouverte pour avancer avec les autres. 🙂
Il m’est arrivé de m’emporter quelquefois avec des élus qui mettaient une pression forte en m’accusant de malhonnêteté. Soit le jour même, soit le lendemain (je pense là à une succession de réunions houleuses lors de la négociation d’un plan social), j’ai présenté mes excuses. Les excuses ont toujours été acceptées, la réunion et la négociation ont toujours repris, la négociation s’est toujours conclu par un accord.