Ce que la COP21 nous apprend en terme de négociation
We shall, et non we should…
Nous devrons et non, nous devrions…
l’Accord de Paris entre 195 pays n’a pas résolu le problème, mais il servira à résoudre le problème.
Il comprend :
- Un objectif de long terme, 2050.
- Un mécanisme de révision, tous les 5 ans.
- Des engagements croisés entre pays développés et en développement.
- Un financement.
La dialectique positive des intérêts a été enclenchée très tôt
Les intérêts communs ont été cadrés et acceptés pendant la première phase qui s’est tenue à Lima.
Une formule diplomatique y a été construite, en préparation de la conférence de Paris, pour définir qui est pays riche, qui est pays pauvre, qui paiera, qui recevra : « des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, à la lumière des circonstances nationales différentes».
C’est la France qui a proposé d’organiser cette conférence mondiale en 2015 à Paris. C’est la France qui a proposé au Pérou de former avec elle un tandem jusqu’à la COP 21 pour rassurer les deux parties du monde.
L’organisation des négociations a été confiée à « Laurence Tubiana qui sait casser les codes. Au moment où il faut appeler un chat un chat, c’est important », remarquait Nicolas Hulot, l’envoyé spécial du chef de l’Etat pour la protection de la planète.[1]
Les intérêts divergents (opposés) ont été transformés en intérêts différents.
En novembre 2014 les 195 pays ont abouti à un document final de quatre pages qui invitait les pays participants à présenter, en mars 2015, leurs propres plans nationaux de lutte contre le réchauffement climatique. Les engagements des différents pays seront compilés dans un rapport au plus tard le 1er novembre 2015, afin d’évaluer leurs effets combinés pour freiner la hausse des températures.
Les enseignements de l’échec de Copenhague ont été tirés,
En particulier concernant la présence des décideurs gouvernementaux.
- A Copenhague ils ont été mobilisés à la fin des débats, à Paris ils ont été mis en demeure de s’entendre sur un minimum d’intérêts communs avant de faire débattre leurs mandataires.
- A Copenhague, les pays en développement ont été marginalisés et apprenaient les décisions prises en catimini par les pays du G20 en séance plénière. Les ONG étaient tenues en lisière. À Paris, des coalitions s’étaient structurées en fonction de leurs intérêts spécifiques avec des négociations abouties au sein de chacune d’entre elles. Aucun pays ne devait se sentir écarté.
- Les organisateurs ont du faire preuve jusqu’à la fin d’une parfaite neutralité. « Le président peut dans la dernière ligne droite proposer un compromis. Mais ce fusil à un coup ne se tire que dans la dernière heure de la dernière nuit de la négociation. »
- Il a été acté que croissance et climat ne sont pas des ennemis inconciliables, et les organisateurs ont fourni un plan d’action en dix points à la communauté internationale.
Des engagements ont été pris avant toute négociation multilatérale par des accords bilatéraux
- Les deux premiers émetteurs mondiaux, États-Unis et la Chine prenaient des engagements conjoints de réduction de leurs émissions. Les États-Unis annonçaient une réduction de leurs émissions de CO2 de 26 à 28 % d’ici à 2025 par rapport à 2005. La Chine, quant à elle, s’engageait à atteindre son pic d’émissions de CO2 d’ici à 2030, et à porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans sa production énergétique au cours de la même période.
- Pour montrer la bonne volonté des pays du Nord vis à vis des pays du Sud, une réunion s’est tenue à Berlin qui parvenait à capitaliser le Fonds vert pour le climat, levant près de 9,4 milliards de dollars pour les quatre prochaines années (sur 100 milliards de promesses)
- Il a été décidé de prendre du temps d’écoute, aussi bien en séance plénière qu’en « groupes de contact », ou en « groupes de travail », ainsi que d’accepter la participation des ONG.
Des outils de négociation novateurs ont été développés
- la procédure à texte unique en particulier.
Qu’est-ce que la « procédure à texte unique » ?
5 règles :
1) Ecrire le texte AVEC les partenaires.
Ne pas écrire un projet qui va servir de bases de discussion et faire réagir.
Il s’agit de lister les questions et les objets de négociation ensemble.
Il s’agit d’un avant-projet informel.
2) Négocier la méthode à suivre et les règles du jeu ET les solutions concrètes à apporter.
3) Soumettre le document à la critique et non à l’approbation.
Permettre ainsi de faire apparaître des intérêts sous-jacents non encore exprimés en évitant de répondre aux objections par des arguments.
4) Provoquer des réunions d’amélioration.
5) Décider du OUI ou du NON en rééquilibrant les avantages et les inconvénients pour chaque partie.
- L’élaboration d’un accord sur le désaccord.
Pour bouger à 195 il a été décidé, quand des divergences profondes apparaissaient, de constituer un cadre qui reconnaissait expressément que cela ne suffisait pas et qu’il était impératif de se revoir tous les 5 ans pour travailler sur ces divergences. - Le crantage.
On a prévu des paliers pour formaliser les points d’accord en évitant de revenir en arrière quand on constatait des convergences.
En phase de conclusion on a décidé par la voix du président, Laurent Fabius, d’arrêter de multiplier les options en supprimant le plus possible de phrases entre crochets et de décider par acclamations en profitant de la dramaturgie créée par la pression, volontairement acceptée par tous, sur le temps.
En conclusion
ce qui a été fait pour débloquer la négociation :
- Pénurie de temps ?
Rallonger les délais de préavis.
- Pénurie d’idées ?
Créer une commission mixte de second niveau.
- Pénurie de liens ?
Créer des passerelles avec des tiers non fortement impliqués.
- Pénurie de satisfaction ?
Créer des groupes de travail avec les mandants
Un dernier mot
We shall or we should ?
On ne sait pas aujourd’hui si le SHOULD, moins contraignant, a été volontairement ou involontairement substitué au SHALL, contraignant; mais ce que l’on sait, c’est que l’on a voulu sauver la face du fauteur de troubles, en qualifiant la modification, d’erreur de traduction…
Yves HALIFA
18 décembre 2015
[1] Laurence Tubiana, professeure, directrice de la chaire de Développement durable de Sciences Po, et membre du comité de pilotage de « Paris Climat 2015 : Make it work », avait été nommée représentante spéciale du Ministre des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, pour cette conférence.
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