Facebook, le nouvel ennemi de la négociation ?
Une image ancienne surgit sur les réseaux sociaux, celle de la petite fille au napalm prise en 1972, au Vietnam par le photographe de l’Associated Press Nick Ut. Aussitôt, au nom d’un code moral « bienveillant », Facebook régule, « modère » comme l’on dit aujourd’hui.
Une nouvelle façon de se baigner surgit, le burkini, les politiques « modèrent » en censurant, en interdisant.
Et l’État de droit ? Il répond qu’il existe un contrat social accepté de longue date.
Et la morale ? Elle répond avec difficulté entre bienveillance, émotions, et majorité d’opinion.
La négociation, c’est se forger sa propre opinion.
Sommes nous libres de penser par nous-mêmes? allons-nous vers une opinion mondiale automatisée?
(voir article précédent sur la disruption)
Les négociations bouillonnent de toutes parts à l’aube des primaires de la droite, du centre, des verts, de la gauche. Négociations internes, négociations avec les citoyens, les médias, le peuple et les réseaux sociaux. D’un côté on parle de « renverser la table », de redonner de l’autorité à l’État, de fermer les frontières, de l’autre, de tolérance, de droit à la différence, de bienveillance et des droits de l’homme.
Certains tentent une synthèse en promouvant l’idée « d’identité heureuse », d’autres tel Facebook, se déchargent de toute responsabilité en confiant la régulation des textes et des images à des algorithmes.
C’est ainsi que la nudité est poursuivie de sa vindicte, en particulier la nudité des enfants, sans se préoccuper de contextualisation.
Comment rester libre de son opinion quand une majorité exerce son magistère au nom du bien-pensant algorithmique?
Êtes-vous influençable?
Il faut que les internautes réagissent vite et très fort pour que Facebook rectifie (partiellement) les errances modératrices de sa politique fondée sur la bienveillance :
« Le pouvoir de Facebook dans l’accès à l’information et son rôle dans la formation des idées politiques ou dans la propagation des fausses informations effrait de plus en plus. Il est reproché au réseau social d’enfermer ses utilisateurs dans une bulle en ne les exposant qu’à des idées ou des informations dont ils se sentent déjà proches, jouant un rôle de « rédacteur en chef » qui relaierait non pas des informations pertinentes, mais celles qui sont le plus susceptibles d’être partagées. »
Le message est clair, nous allons tous penser et agir en fonction de ce que la majorité nous renvoie en termes d’émotions.
La dictature émotionnelle de la bienveillance sans réflexion obscurcit progressivement les cerveaux.
Que faut-il penser du burkini, de l’image d’un enfant nu, de seins dénudés lors d’une remise d’oscar ou d’un talk show ?
Comment faut-il organiser sa réflexion, en fonction de ce que pense la majorité, ou bien en fonction du cadre moral qui est le sien ?
Contre la bienveillance
En cette rentrée littéraire, un essai vient à point nommé pour nous alerter des 3 frontières morales qui fausseraient notre vision :
- la distinction entre morale et politique ; l’appartenance à la res publica implique le renoncement de chacun à certaines différences.
- entre relations personnelles et ordre public ; opposition entre justice et soin apporté aux plus faibles.
- entre sphère publique et sphère privée ; la coopération sociale est secondaire par rapport à la liberté individuelle.
Pour son auteur et concernant les polémiques de l’été, il ne s’agit pas d’un débat sur la laïcité mais de la nécessité d’un nouveau débat sur le contrat social.
Yves Michaud, dans son essai, « Contre la bienveillance »[1] nous rappelle que notre situation n’est pas si différente de celle des XVIe et XVIIe siècles : idée de souveraineté à redéfinir, violences religieuses à contenir et à proscrire. Nous avons à définir, de nouveau, les conditions de la communauté, les devoirs du citoyen, les marges d’autonomie qu’il conserve et les principes avec lesquels il n’est pas permis de transiger. Entre autres préconisations, il s’agit pour lui de repenser « de nouveau les conditions de la communauté démocratique et les limites qui doivent être assignées aux religions. »
Plus généralement, il estime que notre période ressemble à l’époque où les doctrines du contrat social sont apparues ; à une époque où l’autorité devenait questionnable …parce qu’on ne savait plus à qui obéir.
Les théoriciens du contrat social entreprennent de définir la nature de la souveraineté, de dire à qui obéir, et de déterminer les limites de cette obéissance.
Obéir et savoir désobéir
Sans nous en rendre compte, notre opinion devient de plus en plus forgée par les émotions majoritaires qui diffusent sur les réseaux sociaux, à force d’émoticons moralisateurs, suintant la bienveillance sans réflexion. Notre opinion personnelle est intégrée et malaxée dans une série d’équations mathématiques qui vont donner naissance à ce qu’on nomme un algorithme qui, enrichi des réactions de personnes que nous ne connaitrons jamais se transforme en formule magique automatique qui va en retour nous dire quoi penser.
Il s’agit bien d’un déni de démocratie. Autant confier nos décisions, nos votes, nos émotions à Big Brother.
Il faut alors redéfinir le contrat social qui lie les collectifs humains.
Paradoxalement c’est une démocratie du Nord de l’Europe, la Norvège, pays de tolérance, qui redéfinit le négociable du non négociable et qui rappelle qu’une nation doit avoir une colonne vertébrale solide, sa morale intégrée dans son contrat social.
Le roi de Norvège a tendu la main aux Norvégiens issus de tous les pays du monde, aux Norvégiens gays et Norvégiennes lesbiennes, et plus généralement, à toutes les personnes, celles qui «aiment gravir des montagnes, tandis que d’autres préfèrent leur canapé»:
«Qu’est-ce que la Norvège… c’est avant tout des personnes. Des gens qui viennent du sud, du nord, du centre du pays. Mais aussi d’Afghanistan, du Pakistan, de Pologne, de Suède, de Somalie, ou de Syrie. Mes grands-parents ont immigré du Danemark et d’Angleterre il y a 110 ans. Ce n’est pas toujours facile de dire d’où nous venons, de quelle nationalité nous sommes. Notre maison est là où bat notre cœur. Et ce cœur bat souvent au delà des frontières.»[2]
Je n’obéirai pas.
Vendredi 9 septembre, la première ministre norvégienne découvre que Facebook a supprimé sur sa page la photo de la petite fille au napalm. Le lendemain, la presse norvégienne s’insurge en publiant la lettre d’un directeur de journal à Facebook: « je vous écris pour vous avertir que n’obéirai pas à votre demande de retrait…Vous abusez de votre pouvoir…Je suis effrayé de ce que vous êtes sur le point de faire subir à un pilier de notre démocratie… » et il conclut en rappelant que le droit d’informer des journalistes ne devrait pas être sapé par u algorithme codé dans un bureau californien.[3]
Un dernier mot
Réfléchissons ensemble à la manière dont se forgent nos opinions et tentons de nous libérer de la bienveillance de Facebook. Quand vous entrez dans une négociation, et que vous y allez pour défendre vos intérêts et ceux que vous représentez, vous êtes vous libérés de l’opinion majoritaire environnante?
Savez-vous identifier le négociable du non négociable?
Si oui, n’allez pas vérifier si ce que vous pensez est conforme à la bienveillance mondialisée:
coupez (momentanément, ou définitivement) votre compte Facebook: vous n’êtes pas un algorithme, n’est-ce pas?
Yves HALIFA
11 septembre 2016
[1] Les essais, Stock
[2] Slate.fr
[3] Morgan Tual et martin Untersinger
Le Monde daté du 11-12 septembre 2016.
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