Donald Trump : « Sortez-moi ce fils de pute du terrain, il est viré, viré ! »
Stephen Ross, propriétaire des Miami Dolphins : « Je connais nos joueurs qui se sont agenouillés pendant l’hymne national, ce sont des jeunes hommes intelligents avec du caractère qui voulaient lancer un dialogue. »
Grève dans les cantines scolaires bordelaises contre le retour de la vaisselle en céramique en remplacement de celle en plastique jugée par les syndicats « trop lourde et bruyante ».
Ces deux anecdotes récentes sont lourdes de sens.
Le renard est-il de retour dans le poulailler ?
Au moment où le gouvernement français tente de réformer le droit du travail en affirmant son objectif de conserver un équilibre entre le besoin de flexibilité des entreprises et le besoin de sécurité des salariés, la brutalité des rapports sociaux revient sur le devant de la scène.
Le renard :
D’un côté la tentation de la brutalité, côté dirigeants politiques et patronaux nous ramènent en arrière, avec par exemple, le massacre de Haymarket Square, survenu à Chicago le 4 mai 1886, qui constitue le point culminant de la lutte pour la journée de huit heures aux États-Unis, et un élément majeur de l’histoire de la fête des travailleurs du 1er mai.
Le poulailler:
De l’autre, une attitude défensive qui ressemble à un « mauvais » combat face à une mesure consistant à limiter l’action des perturbateurs endocriniens sur la santé des enfants.
L’histoire du syndicalisme, tant en Europe qu’aux États-Unis, est imprégnée de luttes offensives et souvent défensives.
Offensives, pour créer de nouveaux droits et les syndicats sont alors pionniers par rapport à l’évolution de la société (égalité hommes-femmes, par exemple;) défensives, et ils se font parfois porteurs de crispations et de conservatisme (exemple des canuts lyonnais).
Qu’en est-il aujourd’hui sur la scène sociale française ?
Le syndicalisme apparaît affaibli par des luttes intestines entre tensions contradictoires au sein des grandes confédérations et se trouve souvent acculé à défendre les positions acquises en des combats douteux, décalés avec les évolutions sociétales, mais légitimés par les inquiétudes des salariés, bousculés par les évolutions numériques, commerciales et culturelles.
Les employeurs profitent de ces faiblesses et répondent aux évolutions des modes de vie par des solutions innovantes qui bousculent le syndicalisme (Uber, télétravail, coworking, horaires et rémunérations flexibles…).
La réaction du syndicalisme français est devenue totalement défensive et porte en son sein les frustrations et les colères de ceux qui n’ont pas le sentiment de gagner quoique ce soit dans ces « innovations ».
Et pourtant il existe d’autres salariés qui s’y retrouvent et en profitent, ne serait-ce que parce qu’ils ont l’impression de gagner des emplois, de la souplesse, de l’indépendance ; à court terme, certes, et sans imaginer les conséquences possibles de l’insécurité inhérente à cette indépendance relative.
Que disent les syndicats en ordre dispersé ?
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, Luc Bérille, secrétaire général de l’UNSA, Philippe Louis, président de la CFTC s’expriment dans un communiqué commun pour dire qu’ils souhaitent que la négociation et le contrat soient au cœur de la régulation des relations de travail, à tous les niveaux et notamment dans l’entreprise, au plus près des salariés. Ils expriment aussi leur inquiétude en constatant le déséquilibre des forces entre employeur et salariés en détournant la loi au détriment d’une de ses fonctions protectrices:
« Nous le disons avec force : équilibrer les relations de travail est une question de justice sociale autant que d’efficacité économique. C’est aussi un élément de la confiance et du respect sans lesquels le dialogue social ne peut se développer ».
La CGT se donne la posture du combattant qui systématise son procès d’intention depuis les élections présidentielles et législatives et se réfugie dans une généralisation de ses revendications
Force Ouvrière oscille en fonction des mouvements internes de son organisation et propose des lignes de force difficiles à décoder.
Le gouvernement accélère, pied au plancher, fort de sa légitimité démocratique face à un syndicalisme faible.
Est-ce une situation tenable ?
A court terme en tétanisant les syndicats, le gouvernement risque de gagner son pari de réformes rapides ; encore faut-il qu’il conserve le rythme et que rien ne vienne entraver sa course poursuite pour réformer la « France non réformable. »
A plus long terme, les salariés risquent de se réveiller et de bousculer leurs vieilles organisations ; assisterons-nous à un « printemps syndical » ?
La réforme sans négocier.
Le gouvernement a utilisé l’outil de la concertation pour produire les ordonnances réformant le droit du travail. Il a choisi de ne pas négocier.
La concertation n’implique pas l’obtention d’un accord.
La négociation implique la signature d’un protocole d’accord ou de désaccord.
Le gouvernement veut réformer les corps intermédiaires, et fusionne les instances représentatives du personnel dans l’entreprise.
Que vont devenir les syndicats ?
Est-ce qu’un syndicalisme fort et représentatif est utile ?
Comment va-t-on canaliser la frustration collective, la colère et les revendications éclatées ?
Les modifications apportées, dans ces conditions, au droit du travail, seront-elles perçues comme un PLUS ou un MOINS ?
Le socle conventionnel obligatoire contient des dispositions interprétatives par exemple sur la durée des congés maternités (exemple des banques).
Que va-t-il se passer dans les entreprises de moins de 50 salariés quand l’employeur pourra conclure des accords avec des délégués du personnel non syndiqués ? et dans celles de moins de 20 salariés quand il y aura juste eu une consultation ?
Quand il n’y a plus rien à discuter, faut-il aller dans la rue ?
Pourquoi n’a-t-on pas fait le pari de la confiance en bousculant l’agenda au nom peut-être de l’adage (non vérifié) que si l’on ne réforme pas dans les cents jours c’est foutu ?
“En facilitant les licenciements – au point d’imposer à la justice prud’homale une limitation des indemnités versées aux victimes de licenciements illégaux -, en imposant une instance unique de représentation des personnels dans les entreprises sans garantir les moyens qu’elle et ses élus auront pour exercer leurs missions, en ouvrant la voie à des négociations sans organisation syndicale dans l’entreprise jusqu’à 50 salariés, les projets d’ordonnance déséquilibrent le texte au détriment des salariés.”
« Non, le dialogue social, la négociation collective ne sont ni un « coût à réduire » ni « du temps perdu », malgré ce qu’en pense une fraction rétrograde du patronat. Nous sommes persuadés que le dialogue social est un constituant essentiel du bien-être des salariés et de la performance économique d’une entreprise. C’est ce que nos équipes démontrent chaque jour dans les entreprises. C’est aussi ce qui fait que le syndicalisme réformiste a la confiance des salariés. »
Le gouvernement doit le comprendre et ajuster les ordonnances et les décrets d’application qui viendront afin de donner les moyens à ce dialogue social.
« On fait la part belle au patronat, renchérissait Nathalie Joly Sitruk du SGEN-CFDT. On peut se mettre autour d’une table pour discuter mais quand il n’y a plus rien à discuter, il faut être dans la rue… »
Les deux erreurs du gouvernement
- Ne pas avoir renforcé le poids des syndicats en les légitimant comme corps intermédiaires représentatifs, y compris dans les PME en leur donnant plus de moyens pour exercer leur fonction, en, par exemple, réhabilitant les lois AUROUX.
- Ne pas avoir profité de l’occasion introduire un début de cogestion dans les établissements avant de le faire dans les conseils d’administration.
En effet, le gouvernement, comme ses prédécesseurs, a remis en cause « le principe de faveur », c’est-à-dire, la fameuse mise en place de l’inversion des normes.
En France, la Loi prime sur la convention collective qui prime sur l’accord d’entreprise ; et aucune disposition ne peut être négociée sauf si elle plus favorable pour le salarié.
Les entreprises objectent que le monde a changé et qu’il faut tenir compte des spécificités de chaque entreprise et de la réactivité nécessaire dans la compétition internationale.
Certes, pourrait-on dire, mais si l’on s’accorde sur l’inversion des normes et la remise en cause du principe de faveur, pourquoi ne pas rééquilibrer les forces au sein de l’entreprise ?
On pourra malheureusement conclure sur ce point d’accord terriblement désespérant :
ni les employeurs, ni les syndicats ne sont demandeurs de plus de démocratie dans l’entreprise.
Les employeurs ne sont pas prêts à partager une once de pouvoir de décision et les syndicats ont peur de l’expression directe des salariés.
Quand va-t-on enfin sortir de la verticalité française ?
Yves HALIFA
28 septembre 2017
note n°1 : La cogestion est encore un tabou en France
Observons le cas allemand : La cogestion allemande va à l’encontre du paradigme capitaliste selon lequel seuls les propriétaires du capital peuvent légitimement prendre des décisions pour l’entreprise qu’ils possèdent. Cette cogestion couvre deux réalités. La cogestion d’établissement offre une grande place aux syndicats dans la gestion des questions sociales ; elle fait consensus, à la différence de la cogestion d’entreprise, accusée, entre autres, de leur donner un trop grand pouvoir.
La cogestion d’établissement se situe au niveau de chaque unité de production. Dans chacune d’entre elles, les salariés sont représentés au sein d’un conseil d’établissement qui dispose de droits de décision sur les questions dites sociales (embauches, licenciements, indemnités de licenciement, horaires, conditions de travail…).
La cogestion d’entreprise se situe à une plus grande échelle puisque l’ensemble des salariés de l’entreprise sont représentés au sein du conseil de surveillance, un des organes du modèle de gouvernance des entreprises allemandes dont la principale fonction est de valider les décisions du directoire, l’équivalent allemand du comité de direction. Les représentants des salariés disposent de droits sur les questions de gouvernance et les questions économiques (nomination des dirigeants, investissements, restructuration…).
Ces deux types de cogestion sont, avec les syndicats, les principaux contre-pouvoirs des salariés au sein des entreprises allemandes.
note n°2 Le PRINCIPE DE FAVEUR
Né dans l’entre-deux-guerres, le concept de la hiérarchie des normes a été forgé par un juriste austro-américain, Hans Kelsen (1881-1973). « Pour Kelsen, l’ordre juridique est construit sous la forme d’une pyramide : la Constitution est en haut, puis suivent la loi, le décret, et enfin l’acte individuel et le contrat, explique Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Paris-I-Sorbonne. Ces normes n’ont pas toutes la même valeur : le haut de la pyramide prime sur le bas. L’acte individuel doit donc être conforme au décret, qui lui-même doit être conforme à la loi, qui elle-même doit être conforme à la Constitution. »
Le « principe de faveur » : la loi, qui trône en haut de la pyramide, prime sur l’accord de branche, qui lui-même prime sur l’accord d’entreprise, qui lui-même prime sur le contrat de travail. Il est certes possible de déroger à cette logique mais à une condition : que ce pas de côté offre un bienfait aux salariés. Si une entreprise veut déroger à un accord de branche sur les primes de nuit, il lui faut proposer des primes plus généreuses.
note n°3: ce post a été en partie inspiré par l’excellent article d’Anne Chemin dans le Monde du
Droit du travail : le nouvel esprit des lois
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/14/droit-du-travail-le-nouvel-esprit-des-lois_5185647_3232.html#g8AlEgcc7BQLE5PQ.99
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