Un été avec Balzac (troisième partie) 3/3
Après avoir présenté les analogies entre l’époque de Balzac et la nôtre (voir première partie) et la manière dont petits et grands aigrefins profitent du système capitaliste (voir seconde partie) observons les difficultés quotidiennes du génie littéraire avec le fisc et ses amours.
Quand on parlait femmes, il se gonflait d’orgueil et faisait la roue comme un dindon… Mais il ne racontait jamais rien.
Octave Mirbeau dans son magnifique livre, La mort de Balzac, nous conte l’histoire d’amour entre la gloire littéraire française, et la comtesse Hanska, mystérieuse admiratrice qui lui envoya une lettre qui venait du fond de la Russie, elle était signée : L’Étrangère.
Au cours d’une longue correspondance il apprit, non sans une joie enivrée, que l’Étrangère était une grande dame… Naturellement, elle était jeune, belle, comtesse, « colossalement riche », mariée à un homme qu’elle n’aimait pas, supérieure par l’intelligence et le cœur à toutes les autres femmes.
Reléguée au fond de l’Ukraine, avec un mari plus âgé qu’elle, peu sociable et préoccupé seulement d’intérêts matériels, elle s’ennuyait. C’était la femme incomprise et sacrifiée.
Ce Balzac, qu’elle transforma en icône sans jamais l’avoir vu, devint le moyen de sa libération de ce qu’elle considérait comme la barbarie des mœurs qui l’environnaient.
Ils engagèrent une correspondance échevelée.
Ils s’aimèrent, et pour entretenir, pour exalter leur amour, ils avaient deux toniques puissants, deux excitants admirables : l’imagination et le distance.
1833, première rencontre à Neuchâtel : Madame Hanska est assise sur un banc de promenade avec mari et enfants. Un homme petit, gros, très laid, passe et repasse. « Oh ! mon dieu, se dit Mme Hanska, pourvu que ce ne soit pas lui ! »
L’homme l’aborde. Elle dit, toute pâle, dans un cri de désespoir : « C’est lui !… C’est lui ! … » Et quelques instants après, « à l’ombre d’un grand chêne », ils échangent le premier baiser et le serment de fiançailles !
Mme Hanska rêve d’une vie nouvelle, élargie et, Balzac, lui, r^ve d’une aisance financière qui le libérera de ses tensions.
Le malentendu est total et il est masqué par l’illusion du grand amour.
En 1836, le passif de Balzac a augmenté; il se cache de ses créanciers. Ils sont à l’affût et recourent à la ruse pour le coincer: dissimulé chez l’un de ses amis, il fait savoir qu’il n’est pas là.
Mais on insiste. Le visiteur porte à l’intention de Balzac une sacoche, contenant six mille francs en écus. Balzac se présente, il est aussitôt appréhendé et un garde le somme de payer une dette immédiatement sous peine d’être transféré à la prison de Clichy.
C’est encore une femme qui le sauve de ses dettes. Il lui en est reconnaissant et malgré cela, il entretient sa relation avec sa future femme (l’Étrangère) qu’il croît riche à millions et entreprend de nouvelles liaisons avec ses admiratrices.
Pendant ce temps, Balzac cherche à tromper ses créanciers qui le harcèlent ; il parvient à mettre une somme de côté pour son mariage qu’il convertit en actions du Chemin de fer du Nord. Mais la révolution de 1848 emporte tout.
Il comprend que tout est perdu et part pour la Russie ; sa seule ressource, se marier, et revenir à Paris avec une femme, c’est-à-dire une fortune.
Rencontrant son ami, Victor Hugo, la veille de son départ, il lui dit :
Oui, je vais en Russie…une affaire… J’en rapporterai dix millions.
Un soir de 1850, Balzac rentre à Paris après vingt mois d’absence, marié, presque mourant, et très vite, Mme Hanska et lui, vont devenir ennemis.
Balzac savait maintenant que sa femme n’était point aussi riche qu’il le croyait…
Or, ce n’était pas de la beauté, de l’esprit qu’il était allé chercher au fond de la sauvage Ukraine, mais de l’argent !
Et, il n’y avait plus d’argent, du moins plus assez d’argent.
Et elle ?… Voilà donc où aboutissaient les promesses de triomphes mondains, de gloire littéraire, de vie adulée, enivrée, les rêves de domination universelle, par quoi, durant quinze ans, on l’avait engourdie, leurrée, volée et finalement enchaînée à un cadavre !
Ils s’étaient dupés l’un l’autre, l’un par l’autre, ayant cru sincèrement, qu’on peut transformer, en élans spirituels, en exaltations amoureuses, ce qu’il y a de plus vulgaire et de plus précis dans le désir humain…
“je vois que je ne peux compter que sur une seule ressource: la création perpétuelle qui sort de mon encrier”.
écrit Balzac en février 1848.
En conclusion de cet été avec Balzac qui s’achève ainsi, laissons-le lui-même décrire les tensions qu’un homme de génie doit sans cesse devoir concilier:
“Un homme qui se lève depuis quinze ans tous les jours dans la nuit, qui n’a jamais assez de temps dans sa journée, qui lutte contre tout, ne peut pas plus aller trouver son ami qu’il ne va trouver sa maîtresse, aussi ai-je perdu beaucoup de maîtresses et beaucoup d’amis, sans les regretter puisqu’ils ne comprenaient pas ma position…plus je vais, plus les travaux augmentent, et je n’ai pas de certitude de pouvoir résister à ce travail sans relâche…Je prévois donc pour moi la plus sinistre destinée, ce sera de mourir la veille du jour ou tout ce que je désire m’arrivera…“
Yves HALIFA
26 août 2017
Cet article doit beaucoup à deux ouvrages déjà cités dans les épisodes précédents:
- La mort de Balzac, aux éditions Sillages, par Octave Mirbeau
- Balzac en son pays, aux éditions C.L.D., par P. Métadier
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