Du 49-3 au P.38 ?
Du compromis à la radicalité ?
Au moment où la chaîne franco-allemande ARTE produit et diffuse une série réalisée par Marco Bellocchio, “Esterno Notte”, qui réinterprète l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, président du parti italien de la Démocratie-chrétienne en 1980 par un groupe d’extrême-gauche, les Brigades rouges, au cours duquel, furent assassinés de sang-froid des membres policiers de son escorte, un télescopage historique se produit autour du mot compromis.
En effet, Aldo Moro tentait de redresser la situation politique et économique de l’Italie des années 1970-1980 pour l’obtention entre les deux grandes formations politiques, Démocratie-chrétienne et Parti communiste italien ce qu’il avait nommé un compromis historique. Une partie de l’échiquier politique de droite ainsi que d’extrême-droite, qui n’en voulait surtout pas, provoqua alors une stratégie de la tension à laquelle répondirent les mouvements d’extrême-gauche.
Des années 1960 aux années 1980, l’Italie fut ainsi le théâtre d’une violence politique de nature exceptionnelle par son intensité et sa durée. Attentats à la bombe perpétrés par l’extrême droite (attenta de la piazza Fontana). Enlèvements, ” jambisations ” (les militants armés de P.38 tiraient dans les jambes de tous ceux susceptibles d’être des « compromis »), assassinats revendiqués par des formations armées d’extrême gauche, telles que les Brigades rouges ou Prima Linea, manifestations violentes et répression policière.
Aujourd’hui encore, cette période de l’histoire italienne, dite des ” années de plomb “, conserve un caractère traumatique, suscitant d’incessants conflits mémoriels. Des procès sont toujours en cours tandis que certains faits sont restés impunis.
L’incapacité d’alors de la démocratie italienne à se réformer et à être plus en phase avec les besoins et les rêves des citoyens renvoie à la disparition totale de la confiance dans les institutions démocratiques françaises et leurs représentants aujourd’hui.
Chacun s’accuse ainsi de n’avoir pas été au rendez-vous d’un compromis sur la réforme des retraites et la violence verbale devenant radicale, préjuge, malheureusement, de violences physiques en devenir.
Mais d’abord, sont-ils, tous ces acteurs, en accord avec la signification du terme compromis ?
Pour la Première ministre qui se satisfait d’un compromis obtenu au Sénat, s’agit-il d’avoir cédé à la marge en acceptant des amendements proposés par les Républicains qui réduisent ainsi l’économie financière envisagée ?
Pour le Président comme pour les syndicats le fait de s’accuser mutuellement de ne pas avoir cédé sur tel, ou tel point ?
Qu’est-ce qu’un compromis ? telle est la question… s’agit-il de couper la poire en deux ? de céder et de faire céder ?
Ou plutôt, d’enrichir ensemble la réforme pour qu’elle comporte le plus possible d’avantages et le moins d’inconvénients pour chacune des parties ?
Cette seconde définition est la seule porteuse de signification positive.
Pour allumer le feu, et pas seulement celui des poubelles dans les rues, les compromis qui compromettent font le lit de la radicalité.
Ils ne passent jamais dans l’opinion quand ils s’obtiennent dans l’opacité des tractations individuelles ; ils sont alors souvent perçus comme des « combines » entachées de corruption, qu’ils soient politiques ou sociaux .
Face à l’utilisation de l’arme constitutionnelle du 49-3, perçue comme violente par une large partie de la population, il faut veiller à ne pas éveiller les démons historiques du P.38 des années de plomb.
Tous les commentateurs s’accordent pour souligner que la dernière intervention du chef de l’État n’a pas été pacificatrice.
Le choix de la négociation politique a supplanté celui qui aurait pu être celui de la négociation sociale.
Et encore, quelle négociation ?
Une autre confusion, volontaire probablement, a été de privilégier la concertation au lieu de la négociation.
Concerter c’est décider sans l’autre en lui laissant l’espoir d’avoir été entendu.
Négocier, c’est construire avec l’autre en enrichissant le contenu du projet en cause et en allant ensemble à la découverte de ce que l’on peut améliorer.
Encore faut-il se mettre d’accord sur les éléments objectifs observés.
Une phrase importante, prononcée deux fois, n’a pas retenu l’attention qu’elle méritait :
« Je regrette une seule chose, c’est qu’on n’ait pas pu partager la contrainte… » a déclaré le Président.
Que voulait donc dire Emmanuel Macron ?
Peut-être faisait-il référence au BA BA de la négociation ? ce qu’on appelle un diagnostic partagé ; c’est-à-dire un état des lieux des besoins élaboré en commun entre experts gouvernementaux, patronaux et syndicaux qui serait devenu ainsi le socle d’une véritable négociation transparente.
Mais la République des cabinets ministériels est passée avant et a élaboré des certitudes non négociables qui crispent aujourd’hui la démocratie et poussent les citoyens à la radicalité.
Il a donc parlé, à 13 h, dans une salle vide de l’Élysée, à une table ronde, sans personnes d’autres que des journalistes tétanisés par le pouvoir.
Qu’attendaient-ils, ces journalistes ?
Que le Président pacifie ?
Je me suis trompé…j’ai voulu aller trop vite…je propose à l’ensemble des organisations syndicales, dès le lendemain de la manifestation et avant la décision du Conseil Constitutionnel, de se retrouver autour d’une table pour améliorer le texte élaboré au parlement.
Mais non…
A la question, pourquoi n’avez-vous pas été compris ?
J’étais prêt au compromis et les syndicats l’ont refusé ; ce sont donc eux les responsables du chaos.
Comment ne pas comprendre qu’aujourd’hui les chiens peuvent aboyer et que la caravane passera quoiqu’il en coutera au niveau social.
Je suis en responsabilité et je suis le garant de de l’intérêt général. Et j’obtiendrai des compromis politiques texte après texte avec des individus et non plus avec des partis.
Et les organisations syndicales ?
Laissons-les manifester c’est leur droit et ensuite je réengagerai des concertations sur les autres thèmes importants pour les français.
Mais Monsieur le Président n’avez-vous pas peur de laisser la radicalité s’installer dans le paysage politique et social ?
J’aurais aimé connaître sa réponse…
Yves Halifa
23 mars 2023
Laisser un commentaire