Feu ! Négocier ou réformer ?
Sur les retraites, le jour où le gouvernement dit feu, eh bien on fera feu !
déclarait lors d’un entretien en décembre 2022, au journal Les Échos, Frédéric Souillot , secrétaire du syndicat FO. https://www.lesechos.fr/economie-france/social/frederic-souillot-fo-sur-les-retraites-le-jour-ou-le-gouvernement-dit-feu-eh-bien-on-fera-feu-1888519
la confiance règne
2023-2016, sept années de tergiversation et nous y sommes… peut-être au plus mauvais moment des tensions sociales exacerbées, des promesses non tenues, des représentativités douteuses, de la gestion politique du court terme au détriment du dialogue social de long terme.
Le ciel maussade promettait de la pluie, mais comme il le promettait depuis le lever du jour, les gens avaient cessé de regarder en l’air, comprenant bien que les promesses, par les temps qui couraient, ne valaient rien. Même les promesse de la nature.
(Andreï Kourkov, L’oreille de Kiev, éditions Liana Levi, 2022.)
D’abord, lancer une réforme nécessite la confiance. Qu’en est-il en ce mois de janvier 2023 ?
L’enquête du CEVIPOF sur le dialogue social faisait ressortir en 2020, cinq grandes tendances sur la confiance que les salariés investissaient chez leurs représentants:
– question: en qui avez-vous le plus confiance?
– réponse: d’abord, et très largement, à mes collègues immédiats; les syndicats n’apparaissent qu’en huitième position…
– question: à quel niveau la négociation doit-elle se dérouler?
– réponse: dans l”entreprise (52%); dans les branches (27%); par la loi (19%).
– question: quel est le moyen d’action qui aurait le plus d’influence?
– réponse: s’adresser à la hiérarchie (44%); faire grève (28%)…
– question: quels devraient être les objets de négociation prioritaires?
– réponse: les salaires et le pouvoir d’achat (56%) et l’organisation du travail (53%)…
– question: comment voyez-vous votre implication lors des négociations?
– réponse: 90% souhaitent donner leur avis, avant et pendant les négociations.
Le corps électoral et le corps social ont le désir de NÉ-GO-CIER.
Le surgissement des collectifs dont la marée monte dans le pays et dans les entreprises est le révélateur d’une double analyse, besoin de négocier et perte de confiance dans les élites.
Nous y sommes !
Où ?
Au moment ou la démocratie est à l’épreuve du feu. La négociation avec le corps social ne pourra jamais remplacer la négociation parlementaire.
La volonté de montrer sa détermination à réformer conduit inéluctablement à des petits arrangements entre amis d’aujourd’hui, ennemis d’hier et de demain…
On nous brandit le courage de réformer comme un étendard de victoire annoncée grâce à une mâle détermination.
Mais personne ne nous parle du courage de négocier !
Le 29 décembre 2019 je publiai un entretien fictif avec Michel Rocard (déjà disparu) à partir de déclarations réelles au sujet du lancement de réformes nationales, telle celle concernant les retraites : https://yveshalifa.com/allo-monsieur-rocard/
- MR: Je constate surtout, qu’on a inversé le problème à résoudre et les solutions à mettre en œuvre… On aurait pu partir de deux problèmes à résoudre, comment rendre le système plus juste, plus simple et équitable d’une part, et s’attacher, d’autre part, à mieux prendre en compte l’évolution de la pénibilité dans chaque régime particulier.
Or en partant, dès le départ sur deux solutions, supprimer les régimes spéciaux, considérés comme couteux et obsolètes, et faire accepter les bienfaits d’un système à points, proche des régimes des assurances privées on heurtait le mur de plein fouet. - YH : Bon maintenant qu’on ne vous a écouté ni en 1991, ni en 2018, quels conseils pourriez-vous donner à votre jeune successeur à Matignon pour sortir de la grève en 2020 ?
- MR: Très modestement, le paysage social a changé depuis mon époque.
- YH: En quoi, Monsieur Rocard ?
- MR: D’abord les grèves se sont réinventées ; sur le terrain, on observe d’autres manières de se rendre disponible pour un conflit social… la participation à des assemblées générales a eu plutôt tendance à prendre de l’importance, au point de primer sur le fait de se déclarer gréviste, dans une mobilisation.
- YH: Et puis il y a eu la crise des gilets jaunes, qui a dû vous surprendre, du haut de votre ciel bleu…
- MR: Pas si surpris ; quand on gère un pays à la hussarde, quand on cogne, quand on veut passer par-dessus les corps intermédiaires, on récolte le face à face avec les foules.
Que s’est-il donc passé depuis la dernière élection présidentielle de 2022 ? A-t-on pris en compte les conseils de Michel Rocard ?
L’analyse des gouvernants et alliés d’aujourd’hui consistait à dire que, élu pour un nouveau mandat républicain de 5 ans, il y avait une légitimité démocratique à réaliser sa promesse de « sauver le régime de retraite par répartition menacé à plus ou moins long terme. »
La conséquence directe de ce raisonnement a conduit à une concertation et non à une négociation.
L’excellent article du journal Les Échos (https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/retraites-lhistoire-secrete-dune-ineluctable-confrontation-1898538) nous décrit très précisément cette montée aux extrêmes qui caractérise l’absence de volonté de négocier du Fort au Faible.
Et pourtant cela avait bien commencé :
La Première Ministre, représentant le Fort, avait réussi à conquérir une certaine confiance :
« C’est quelqu’un de fiable, exprimait Frédéric Souillot de FO. Elle ne nous donne pas ce qu’elle n’a pas. Du coup, on va plutôt parler de ce sur quoi on peut tomber d’accord. »
Aucun syndicat n’était prêt à toper mais tous ont participé aux réunions gouvernementales jusqu’au bout, sans mise en scène de claquement de porte.
Puis cela s’est dégradé :
La méthode, avec ses étapes au ministère du Travail puis avec la Première ministre et toujours en présence de la conseillère sociale de l’Élysée, Annelore Coury, les a néanmoins interloqués : ni réunion multilatérale, ni relevé de conclusion à la fin de chaque cycle, donc pas d’information au fil de l’eau sur les arbitrages de l’exécutif.
Tout est décidé par le président. Quand on discute avec un ministre, on ne sait jamais ce qui avance ou pas.
Les irritants se sont multipliés :
Fin juin, Frédéric Souillot, tout juste élu à la tête de FO, reçoit un courrier de félicitations d’une figure de la majorité : il l’ouvre et découvre, à la place de son nom, celui de Christian Grolier, un temps candidat contre lui. L’expéditeur n’a pas relu sa missive avant de l’envoyer.
« La CFDT n’est plus aussi courageuse qu’avant» s’est permis de déclarer un membre du parti présidentiel.
Ce qui a eu comme effet d’énerver Laurent Berger : « Continuez comme ça, c’est tout bon pour nous ! Si vous pensez que vous allez me mettre en difficulté dans la CFDT, vous ne faites que renforcer sa cohésion », a-t-il lancé à Élisabeth Borne et à la délégation de l’exécutif lors d’une réunion en décembre.
Et puis le Président a appuyé sur le bouton :
Le chef de l’État a prévenu le secrétaire général de la CFDT : l’unification des 42 régimes dans un système universel s’accompagnera bien d’une mesure « paramétrique » de court terme pour combler le déficit.
« C’est une grosse connerie, et pas seulement pour la réforme des retraites », lâche-t-il. Il invoque « l’état de tension du pays » , les conséquences pour le président « pour 2022 » et conclut : « La CFDT réagira fortement. » « On va regarder, mais ce n’est pas facile, on va essayer de trouver », lui répond en substance le président. Il n’a pas trouvé. Le mardi qui précède les annonces du mercredi, Laurent Berger a, cette fois, un échange avec Édouard Philippe et répète : « C’est de la folie et on va monter fort. »
Mais le Faible avait réalisé une certaine unité imprévisible pour le Fort :
Le communiqué commun avait été négocié dès le matin. Chaque numéro 1 devait en lire un bout, mais Philippe Martinez a finalement proposé que ce soit Laurent Berger qui porte seul la parole commune. Tous les autres ont acquiescé, comme une reconnaissance de la centralité de la CFDT, quatre ans après que la centrale est devenue le premier syndicat de France. Les anciens en frémissent – la CGT qui cède la parole à la CFDT ! – et les habitués de l’opposition entre réformistes et radicaux se frottent les yeux. Qui l’eut cru il y a encore un an ?
La CGT et FO n’ont pas cherché à imposer dans le texte le retour de la retraite à 60 ans, la CFDT a accepté d’écrire le mot « grève »et FO a accepté d’appeler à manifester le 19 janvier et non le 24 afin de ne pas laisser Jean-Luc Mélenchon être le premier à battre le pavé le 21 janvier.
« On se parle, on s’écoute et ça fait du bien », s’enthousiasme Dominique Corona, le secrétaire général adjoint de l’Unsa. Le maintien de l’unité a aussi une raison plus prosaïque : 2023 est une année électorale dans les entreprises. « Quelle confédération peut prendre le risque de se décrocher de l’intersyndicale et de prendre une énorme gamelle ? », interroge François Hommeril, le président de la CFE-CGC. La petite CFTC y a songé mais les autres organisations lui ont fait sentir, parfois de manière peu aimable, ce qu’elle aurait à perdre. Et elle est restée.
Conclusion
Ce que l’on constate d’un côté, c’est la volonté farouche de conserver les acquis d’une époque durant laquelle le contenu du travail était profondément différent d’aujourd’hui et de l’autre, celle de vouloir remettre en cause ces acquis sans en tirer les bonnes conclusions sur la nécessaire remise en cause des hiérarchies et du management tout court.
Cessez le feu et oubliez votre testostérone…
Yves HALIFA
24 janvier 2023
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